A ladybird on crawls on the leaf of a thistle in Neuhaus, Germany, 7 August 2015. Foto: Nicolas Armer/dpa (MaxPPP TagID: dpaphotostwo405064.jpg) [Photo via MaxPPP]

Parmi les insectes célèbres de la biodiversité et ses services rendus, les coccinelles aident les jardiniers et agriculteurs à protéger les cultures.

MaxPPP/dpa/picture-alliance

L'homme scie la branche sur laquelle il est assis. Par ses activités et son développement, il surexploite et détruit progressivement les milieux naturels, y introduisant par ailleurs des pollutions et déréglant leur climat originel. Soit autant de pressions sur tous les écosystèmes de la Terre, où meurt une richesse d'espèces animales et végétales, appelée biodiversité, bien plus utile qu'il n'y paraît. Et cette extinction alarmante s'accélère, selon des centaines d'études récentes venues alimenter une évaluation globale, la première du genre depuis quinze ans, qui sera dévoilée lundi 6 mai à Paris lors du sommet de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, une sorte de "GIEC pour la biodiversité").

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À son ouverture, lundi dernier, son président, Robert Watson, a synthétisé ainsi l'enjeu : "Notre destruction de la biodiversité et [ses] services [...] atteint des niveaux qui menacent notre bien-être au moins autant que les changements climatiques." En effet, cette abondance d'espèces nous offre une multitude d'aides aussi invisibles qu'inestimables.

Le plus connu est la pollinisation, c'est-à-dire la reproduction essentielle des plantes, permise par les insectes volants attirés par les fleurs, comme les abeilles. Elle est vitale pour les trois quarts des cultures agricoles mondiales, et donc pour parvenir à nourrir l'humanité.

Services rendus par les écosystèmes agricoles

Les relations entre les services rendus, dans le cas des écosystèmes agricoles.

© / Inra / Efese

En France, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a étudié, à la demande de l'Etat dès 2012, ces aides insoupçonnées de la nature aux agriculteurs et également à l'ensemble de la société. Il liste en particulier 14 "services écosystémiques rendus" par les animaux et les végétaux, allant de la diminution de l'usage des pesticides grâce à la prédation d'insectes ravageurs, au filtrage de la qualité de l'eau sans besoin d'usine, en passant par la stabilisation des sols pour tous, ou leur fertilisation dans les champs.

La vraie valeur de la biodiversité

Et encore : les scientifiques ne cessent de découvrir, chaque jour, les apports concrets et les intérêts d'une biodiversité vivante, et les façons de la préserver. Cette conservation passe parfois par la simple organisation des terres. "Nous avons par exemple mis en évidence les effets des lisières, à la frontière entre les forêts et les milieux agricoles, explique Marc Déconchat, chercheur spécialiste de l'écologie des paysages à l'Inra. Ici, toute la famille des insectes appelés carabes s'avère beaucoup plus nombreuse que dans les bois. Or ils sont les prédateurs des limaces et des pucerons, dont ils limitent la population attaquant les récoltes, sans qu'on s'en rende compte." Autrement dit : ces petites bêtes permettent d'adoucir l'usage des pesticides et le travail des agriculteurs.

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Ces "services rendus" à l'homme par la richesse de la nature vont bien au-delà de l'approche agricole. En mer, les récifs coralliens, qui abritent 30 % d'espèces marines, empêchent l'érosion des côtes et nourrissent des millions de personnes. A terre, l'amélioration de notre santé dépend de la nature : un médicament sur deux est issu de la connaissance scientifique des espèces. Enfin, la végétation au sens large permet de filtrer la pollution, de capturer et stocker le CO2 rejeté par nos activités ce qui lutte contre le réchauffement climatique, et de fournir gracieusement une infinité de loisirs.

De Rugy

Le ministre de l'Ecologie François de Rugy lors de l'ouverture du sommet IPBES à Paris, le 29 avril.

© / AFP PHOTOS / FRANCOIS GUILLOT

Ces apports de la biodiversité sont tels que, pour combattre les pressions humaines qui la ronge, des économistes prônent d'estimer leur valeur. Ou plutôt, la perte occasionnée par leur destruction : en 2010, une étude sur l'Économie des écosystèmes (TEEB) avançait par exemple un prix pour le service de pollinisation : 153 milliards de d'euros, chaque année.

Une "assurance" de résistance au climat

Au sein de la communauté scientifique, cette approche est toutefois loin de faire l'unanimité. Parce que la méthodologie, déjà, est discutable. "En prenant le cas des insectes carabes, tout dépend des grilles d'évaluations, note Marc Déconchat. Si on regarde sur une saison, il n'y a pas photo : ils sont moins performants qu'un bon pesticide. Mais sur une décennie leurs effets sur la stabilité de la production agricole sont beaucoup plus intéressants."

Ensuite, lui donner une valeur capitalistique - une approche dénoncée comme "anthropocentrée"-, revient aussi à ignorer le fait que la biodiversité se suffit à elle-même. Nicolas Gross, chercheur à l'Inra, travaille sur ces liens entre l'état des espèces et le fonctionnement propre des écosystèmes. "Notre équipe étudie un réseau de 323 sites naturels, répartis dans 27 pays, qui ont la particularité d'être des milieux arides, allant de la garrigue près de Marseille ou de Montpellier aux steppes eurasiennes, à la pampa en Argentine, les forêts sèches en Australie, etc." Leurs travaux montrent que la stabilité de ces écosystèmes - comprendre, leur vie ou leur mort - dépend directement de la diversité des plantes présentes, à l'origine de toutes les chaînes alimentaires.

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Plus impressionnant encore : une bonne biodiversité se révèle aussi importante que l'état du climat ou du sol. Et en la matière, toutes les espèces ont un rôle crucial. "Celui des plus rares et les moins visibles est fondamental", précise Nicolas Gross. Comme au jeu de Mikado, toute les pièces sont liées les unes aux autres, et un nouvel effondrement menace à chaque perte de diversité. "Ce foisonnement d'espèces n'est pas un caprice de la nature pour faire joli, c'est le fonctionnement intrinsèque des écosystèmes, et ça, on commence à peine à s'en rendre compte", se désole le chercheur.

"Un équilibre général"

"Au final, ce débat sur la valeur de la biodiversité, je le trouve ridicule, tranche Marc Déconchat. Les crises écologique et climatique sont d'une telle ampleur qu'il ne s'agit pas de discuter des différentes options économiques ! Soit c'est la fin, soit on parvient à continuer non sans mal."

D'autant que chaque crise peut aggraver l'autre. "Leurs causes et leurs solutions se chevauchent", soulignait Robert Watson le 1er mai, auprès de l'Agence-France Presse (AFP). Ainsi, la biodiversité est essentielle face au changement climatique : "Elle représente une assurance, celle de la bonne réaction des écosystèmes au dérèglement, résume Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l'Inra. Chaque espèce qui disparaît est un élément en moins dans cet équilibre général sur la Terre." Plus que ses services, la biodiversité nous offre un dernier recours. Encore faut-il en avoir conscience.

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