Portefeuille (31 juillet 1914 - 20 juillet 1917) contenant les dernières volontés des frères Charoy, trouvé près du corps de Pierre Charoy.

Portefeuille (31 juillet 1914 - 20 juillet 1917) contenant les dernières volontés des frères Charoy, trouvé près du corps de Pierre Charoy.

© Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais/Emilie Cambier

Le 24 janvier 1943, Marie et Simone Alizon, 21 et 17 ans, sont déportées vers Auschwitz-Birkenau. Dans le convoi dit des "31 000", les soeurs rennaises, toutes deux engagées dans la Résistance, griffonnent à la va-vite ces quelques mots qu'elles lancent depuis leur wagon à bestiaux : "Mon petit Papa chéri, nous sommes dans le train pour l'Allemagne (...). Ne t'inquiète pas pour nous. Courage mon Petit Père. (...) Tes deux petites filles qui t'aiment de tout leur coeur." Retrouvé par miracle dans un fossé, le message parvient, un mois plus tard, à son destinataire. L'aînée mourra au camp de concentration, la cadette en réchappera.

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Cet émouvant document figure parmi les 150 manuscrits exposés à la Bibliothèque nationale de France (BnF), sous l'égide de la conservatrice Laurence Le Bras, qui a eu l'idée, inédite, de réunir des textes rédigés par des hommes et des femmes, toutes époques confondues, confrontés à l'enfermement, au désespoir, à la folie ou au manque. Ils se découvrent au fil de quatre sections : prison, passion, péril, possession.

Dans ces situations d'urgence et d'émotions portées au paroxysme, faute de crayon, les mots, parfois, sont inscrits avec les moyens du bord : du sang, une épingle... Les supports varient : carnet défraîchi, bout de tissu, papier hygiénique déchiré, voire écorce de bouleau, telle celle gravée, en 1639, sur les rives de l'Ontario, par un missionnaire français.

Il y a aussi cette chaise en bois, retrouvée, après la Libération, dans l'un des sièges de la Gestapo, avenue Foch, à Paris. Sous l'assise figure l'inscription anonyme : "En toute amitié à mes camarades féminins et masculins qui m'ont précédé et me suivront dans cette cellule. Qu'ils conservent leur foi. Que Dieu évite ce calvaire à ma bien-aimée fiancée." Suit une signature, illisible.

Un demi-siècle plus tôt, en avril 1895, sur l'île du Diable (Guyane), Alfred Dreyfus, fers aux pieds, entamait son Journal sur des feuilles numérotées par l'administration pénitentiaire : "Je commence aujourd'hui le récit de ma triste et épouvantable vie..."

Enfants juifs d'Izieu : "Le retour à la maison"

Dessin enfants d'Izieu

Enfants d'Izieu (anonyme). Dessin du "Retour à la maison et à l'école" (entre 1942 et 1944).

© / BnF © Droits réservés

Le 6 avril 1944, 44 enfants juifs sont raflés à Izieu (Ain) sur l'ordre de Klaus Barbie. Après un passage à Drancy, ils sont déportés puis exterminés. Ils ont laissé des témoignages de vie, dont de nombreux dessins qui traduisent l'insouciance du jeune âge, mais aussi des rêves d'après-guerre, comme cette illustration colorée figurant le trajet en train du "retour à la maison", annotée de détails amusants en anglais et en polonais.

Latude : "Je vous écris avec de mon sang sur du linge"

Chemise Latude

Latude. Chemise écrite avec son sang en 1761 à la Bastille.

© / BnF, L'Arsenal

Il a rendu la Bastille célèbre et la Bastille l'a rendu célèbre. Emprisonné pour "dénonciation de complot imaginaire" puis vol, Jean Henry (1725-1805), autorebaptisé Masers de Latude, est connu pour s'être fait la belle à maintes reprises. Chaque fois remis sous les verrous, il occupe son temps derrière les barreaux à écrire lettres, Mémoires, suppliques. Quand l'encre ou le papier manque, le détenu rédige ses missives avec son sang sur des bandes de tissu découpées de sa chemise.

Bernard Maître : "Courage espoir baisers Bernard"

Bernard Maître

Bernard Maître à la prison de Vesoul. Message réclamant du matériel pour s'évader, écrit à la pointe d'épingle.

/ © Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon

Bernard Maître est arrêté le 20 décembre 1943, à l'âge de 20 ans. Quotidiennement torturé, il refuse de se plier au destin, comme en témoignent ces mots clandestins, chargés d'espoirs d'évasion, adressés à ses grands-parents, qu'il poinçonne à l'aide d'une épingle et cache dans son linge sale. Emmené au poteau d'exécution, le 16 août 1944, il jette sur la route une boulette de papier camouflée au creux de sa main : "A cette dernière heure, mon esprit est calme ainsi que mon corps, mes idées bien définies ainsi que mes actes."

Marie Curie : "Je répète ton nom encore et toujours, Pierre"

Marie Curie Journal

Marie Curie, fragments du journal tenu après la mort de Pierre Curie, portant deux traces de larmes (détail), avril 1906.

© / Dpt. des Manuscrits, BnF

Le 19 avril 1906, Pierre Curie meurt à Paris en traversant la rue, écrasé par un camion. Plus qu'un compagnon de travaux, qui valent au couple le prix Nobel de physique, en 1903, Marie Curie perd l'amour de sa vie. Sur un feuillet de son Journal, auréolé de traces de larmes, la veuve de 38 ans lui adresse des mots déchirants : "Oh ! comme tu as eu mal, comme tu as saigné (...). Quel choc terrible a subi ta pauvre tête que je caressais si souvent, en la prenant de mes deux mains."

Jean Cocteau : "Clinique de St. C. je crève ! minuit 1/2 Jean"

Cocteau Opium

Jean Cocteau, dessin pour "Opium". Clinique de Saint-Cloud, décembre 1928 - avril 1929.

© / BnF © Adagp/ Comité Cocteau, Paris 2019

A 39 ans, le poète touche-à-tout, opiomane invétéré, est en cure de désintoxication à Saint-Cloud. De décembre 1928 à avril 1929, en proie aux affres du manque, il tente de restituer sur le papier les effets procurés par la drogue et le chemin de croix du sevrage : "Il faut laisser une trace de ce voyage que la mémoire oublie", note-t-il dans ce qui deviendra Opium, publié en 1930. Une suite d'instantanés autour de l'art, du sexe, des stupéfiants, mêlant mots et dessins, deux médiums indissociables chez l'artiste en souffrance.

Manuscrits de l'extrême à la BnF, Paris (XIIIe), jusqu'au 7 juillet.

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