Maurice Culot : « Faisons de Notre-Dame le plus vaste chantier médiéval jamais vu  ! »

ENTRETIEN. Architecte érudit, Maurice Culot juge que la restauration de la cathédrale doit être l'occasion d'un renouveau des techniques traditionnelles.

Propos recueillis par

Le chantier du château de Guédelon dans l'Yonne, où sont employés exclusivement outils et techniques médiévales, attire des milliers de visiteurs. Un modèle, selon Maurice Culot, de ce que devrait être la reconstruction de Notre-Dame. 

Le chantier du château de Guédelon dans l'Yonne, où sont employés exclusivement outils et techniques médiévales, attire des milliers de visiteurs. Un modèle, selon Maurice Culot, de ce que devrait être la reconstruction de Notre-Dame. 

© Manuel Cohen / AFP

Temps de lecture : 5 min

Architecte, Maurice Culot est également auteur et éditeur de livres d'architecture. Parmi ses dernières publications, citons Modernes Arcadies – Domaines, demeures et jardins inspirés, XIXe-XXe siècle, et Montparnasse Art nouveau/Art déco, 1900-1930, dont le succès public entraîne une seconde réédition. Lauréat en mars dernier du prestigieux prix d'architecture américain Driehaus, qui distingue l'ensemble de sa carrière, cet érudit de l'histoire de l'architecture livre en exclusivité au Point son regard et sa vision, au sujet de la rénovation-reconstruction de la cathédrale parisienne gravement endommagée par les flammes et l'eau.

Le point du soir

Tous les soirs à partir de 18h

Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Maurice Culot.

© DR
Le Point : Que préconiseriez-vous pour réparer les dégâts de la toiture et remplacer la flèche détruite  ?

Maurice Culot : Laissons un moment la toiture et la flèche de côté. Et imaginons comment faire d'un désastre un événement porteur de sens et d'humanisme. Sans aller jusqu'à la vision maximaliste d'un Houellebecq, force est de constater que la France, à travers ses monuments, sa culture et son art de vivre, exerce une attraction touristique mondiale exponentielle. Et en même temps, comme le rappelait récemment l'historien Pierre Vermeren, les métiers ouvriers et artisanaux ont été déqualifiés et les savoir-faire liés aux techniques et matériaux traditionnels sont en voie de liquidation. Et si le chantier de Notre-Dame devenait l'instrument d'une renaissance, d'une reconquête patrimoniale et écologique ? Français et touristes sont friands des chantiers. Depuis vingt ans, celui de Guédelon dans l'Yonne, où se construit de toutes pièces un château médiéval sous la supervision d'un architecte en chef des monuments historiques, attire non seulement quelque 300 000 visiteurs bon an mal an, mais constitue aussi un laboratoire de la construction traditionnelle avec machines et outils anciens. Il y a là un trésor de connaissances à disposition immédiate de ceux amenés à construire des voûtes médiévales. Le parvis de Notre-Dame, aménagé en chantier, pourrait devenir un site couru du monde entier, suscitant à coup sûr des vocations d'artisans en tout genre, du bois au plomb, de la pierre au métal, de la menuiserie à la sculpture, de la dorure à la marqueterie, de la mosaïque au vitrail, de la lustrerie à la statuaire, de la stéréotomie aux traités des voûtes et des escaliers.

Et aux abords de l'église ?

Quartier de Notre-Dame

© Jean-Claude Golvin
On pourrait même dépasser la Seine en s'inspirant du plan précis de Vasserot et Bélanger de 1836 et, pourquoi pas, investir le temps qu'il faudra le jardin du chevet, soit au total, plus d'un hectare, le plus vaste chantier médiéval jamais vu. Un salon du patrimoine permanent ! Les meilleurs professionnels sont en France, formés dans des écoles aussi exigeantes que celle de Chaillot qui draine des élèves venant de partout. Rêvons de l'engouement pour un tel projet. Et pour accueillir les visiteurs, pourquoi ne pas reconstruire en bois et stuc, dans la tradition parisienne du simulacre, les volumes de l'Hôtel-Dieu qui flanquaient le côté droit de Notre-Dame. Après tout, ils existaient jusqu'en 1865 et donnaient l'échelle du monument, comme c'est toujours le cas pour la cathédrale de Strasbourg qui échappa à la mode, sinon au vandalisme, du dégagement des monuments. Toutes ces constructions évanouies sont parfaitement documentées. À l'intérieur, on y installerait, dans une ambiance à la fois pédagogique et bon enfant, un centre d'interprétation, des ateliers pour enfants, une librairie spécialisée, des salles de projection, etc. Techniquement, c'est faisable en surplombant les infrastructures ferrées, et financièrement, ce n'est plus un problème.

« Associer le temps des cathédrales au calendrier des Jeux olympiques n'est pas seulement trivial, c'est improductif »

Peut-on tenir le délai de 5 ans de chantier de reconstruction fixé par le président de la République ?

Le temps de l'émotion ne peut supplanter celui de la raison. On comprend qu'au sein du désastre, l'imagination s'envole, on rêve d'une Notre-Dame encore plus belle, comme dit notre président, d'une inauguration du phénix lors de l'arrivée de la flamme olympique dans la capitale et les servants de Dieu imaginent même disposer d'une cathédrale miniature sur le parvis en attendant que la vraie ouvre à nouveau ses portes. Ce ne sont pas là des enfantillages, c'est un reflet spontané d'une émotion poignante et humaine. Mais quand les cendres sont froides, la raison doit reprendre le dessus. Il appartient aux authentiques connaisseurs des cathédrales, architectes, historiens, chartistes, savants… reconnus pour leur science en la matière, de trancher sur le sort de la charpente, de la flèche, de la durée des travaux, et non aux spécialistes autoproclamés de la veille et du jour. Pour la prière, point n'est nécessaire d'ériger un temple provisoire et d'encombrer le parvis, il y a assez d'églises aux abords pour accueillir les fidèles, et Saint-Sulpice, son immense vaisseau et son orgue formidable accueillent déjà avec ferveur les orphelins de Notre-Dame. J'y étais.

Revenons à ce concours international, est-ce la bonne voie à suivre ?

Ce n'est point se déjuger, ou manger sa parole, que de renoncer à lancer un concours pour la flèche, ou alors il faut l'envisager comme une émulation artistique sans conséquence réelle, comme les architectes participaient jadis au concours pour la reconstruction de la villa de Pline, à moins qu'un Wim Delvoye ou un François Schuiten, les plus gothiques des Modernes, ne remportent les suffrages. Ah, ces Belges ! Associer le temps des cathédrales au calendrier des Jeux olympiques n'est pas seulement trivial, c'est improductif, et la hâte en pareil cas est toujours mauvaise conseillère. Pour disqualifier les tenants d'une restitution à l'identique de ce qui a disparu, certains évoquent la querelle des Anciens et des Modernes qui se termina sur la victoire de ces derniers. Mais nous étions à la Renaissance et c'était une controverse, une dispute entre classiques de même culture, pour Rubens ou pour Poussin, pour l'imitation exacte ou nuancée de l'Antiquité. Si, dans le cas de Notre-Dame, on tient à utiliser une métaphore, celle de Jésus est plus appropriée : « Rendez à César, etc. ».

Montparnasse Art Nouveau - Art Déco - AAM Editions

© France de Griessen

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (34)

  • Jean-Louis

    Quand, aujourd’hui cette économie florissante, à l’époque de Maurice de Sully, (1120-1196) s’est épuisée, massacrant toutes les forêts françaises, jusqu’en 1830, en dépit de quelques édits royaux, à l’initiative hommes clairvoyants, Philippe Auguste, Philippe le Hardi au XIIIème siècle, Philippe de Valois au XIVème, François1er, Colbert, Bernard Palissy un vrai protecteur des forêts... Etc.

    Si on songe qu’existaient dans chaque bourg, des bûcherons, un charron, un charpentier, forge de ferronnier, four à chaux, plusieurs maçons tailleurs de pierres, tuilier, potier, poêlier, verrier, sabotier, également arsenaux, papeteries ici et là... Etc. , tous anthropophages de bois de futaies, avec du travail à l’année pleine...

    Il faut se rendre à l’évidence, des outillages, des tours de mains à jamais engloutis, depuis l’ère industrielle, à de quelques exceptions, conservés dans les musées du monde.

    Stylistiquement, si Notre Dame est devenue gothique à partir de la fin XIVème siècle, sa charpente est restée telle quelle, rustique, ordinaire, commune, celle que savait faire le père de Maurice de Sully, on le comprend, sans évolution possible, par souci économique, 1500 arbres à recouper ?, sans pouvoir rivaliser avec les nouvelles charpentes beaucoup plus élaborées caractérisant le gothique des bâtiments érigés aux XIV & XVème, de très belles œuvres à arcs de berceaux brisés supprimant tout risque d’écartement des murs porteurs, exerçant une poussée quasi-verticale, que l’on peut admirer au château de Sully sur Loire et ailleurs, facilitant le coyautage cintré des toitures...

    L’idée, peut-être, serait de faire un petit coucou à cet illustre sullylois ayant fait bâtir cette cathédrale lutécienne, en transposant sur son œuvre, cette admirable technique gothique, dans le présent, mais par l’utilisation des métaux actuels inaltérables et légers dont nous maitrisons parfaitement toutes les mises en œuvre, car d’autres cathédrales seront aussi à reprendre dans le futur.

  • Femme libre

    La hâte, le profit facile du tourisme vont prévaloir dans cette restau-rapide prévue par Macron grâce à la loi votée en vitesse par ses députés -godillots, faite pour court-circuiter le savoir et les préconisations des architectes soucieux d'art et d'histoire.

  • Femme libre

    Pour sa culture toujours si pertinente dans ses contributions impertinentes.