Sommeil des enfants : “Deux heures avant le coucher, il faut arrêter les écrans”

Comme les adultes, les enfants et les adolescents dorment de moins en moins longtemps. Et les écrans LED finissent de dérégler l’horloge biologique. Pour le chronobiologiste Yvan Touitou, membre de l’Académie de médecine, les parents doivent agir face à ce problème de santé publique.

Par Julia Vergely

Publié le 05 mai 2019 à 14h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h56

Les enfants et la surexposition aux écrans, vaste problème et sujet de préoccupation pour bon nombre de parents. La recherche s’inquiète aussi. Le 9 avril 2019, trois académies – de médecine, de sciences et de technologie – ont lancé un « appel à la vigilance raisonnée sur les technologies numériques ». Trop d’écrans pourraient entraîner de déficit de sommeil qui, s’il devient chronique, aurait des conséquences sur la vie adulte. Pour le chronobiologiste Yvan Touitou, membre de l’Académie de médecine, il s’agit ici d’un vrai problème de santé publique.

Quelles sont les caractéristiques du sommeil des enfants ?
Les enfants ont besoin de dormir, c’est un élément essentiel de leur croissance, de leur développement harmonieux et de leur bonne santé mentale et physique. Il y a naturellement des gros dormeurs et des petits dormeurs, mais d’une manière générale, on considère qu’à l’âge de 10 ou 12 ans ils ont besoin de neuf heures de sommeil. Or, actuellement, on en est loin. Parce qu’ils utilisent des écrans à longueur de journée, du matin au soir et y compris la nuit, les enfants dorment désormais en moyenne sept heures par nuit. Des études montrent qu’environ 90 % des adolescents ont un smartphone, et que – c’est ça qui m’inquiète le plus –, le mobile reste allumé en permanence toute la journée chez environ 60 % d’entre eux. C’est un gros problème. Cela entraîne une fatigue liée à une dette de sommeil, qui s'établit nuit après nuit, jour après jour. A force d’être le nez sur leurs écrans (ordinateur, console, téléphone, télévision), aux dépens des heures de sommeil, les enfants s’endorment tard et sont obligés de se réveiller à une heure fixe le lendemain, puisqu’ils vont à l’école, au collège ou au lycée.

“On a affaire à des enfants extrêmement fatigués, d’une humeur massacrante, qui deviennent agressifs.”

En quoi est-ce différent des enfants qui lisaient tard avec une lampe de poche sous la couette ?
On sait désormais qu’en plus de perturber le sommeil, le fait d’être face à un écran entraîne des perturbations encore plus importantes. Tous les écrans fonctionnent avec des LED qui ont une raie lumineuse bleue. C’est la plus toxique pour l’horloge biologique parce qu’elle bloque la sécrétion de mélatonine, qui est précisément l’hormone de la nuit et qui facilite le sommeil et l’endormissement. La mélatonine commence à monter vers 20 h, son pic est à 2-4 h du matin. Quand vous êtes face à une LED bleue, la mélatonine ne monte plus, elle est effondrée.
En conséquence, on a affaire à des enfants extrêmement fatigués, d’une humeur massacrante, qui deviennent agressifs et ça s’accompagne d’une baisse des capacités physiques et mentales ainsi que des résultats scolaires. Cela peut aussi aller jusqu’à l’insomnie, dans le cadre du sommeil, et jusqu’à la dépression dans le cadre des troubles de l’humeur. Normalement, l’insomnie chez l’enfant est rare. Un enfant, sauf s’il est anxieux, va finir par s’endormir. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation telle que 6 % des adolescents prennent des hypnotiques pour induire ou maintenir le sommeil.

On parle d’une dette de sommeil grandissante chez les enfants. De quoi s’agit-il ?
Depuis une vingtaine d’années, les enfants dorment en moyenne cinquante minutes de moins. J’appelle cette situation le cercle vicieux de l’adolescence : les couchers sont de plus en plus tardifs, une dette de sommeil s’installe, et cette dette, contrairement à ce qu’on croit, n’est pas rattrapable. Les parents disent « Oui, mais le dimanche il ou elle se lève tard », mais ce raisonnement est pire que tout, en plus d’être faux. Quand un enfant se lève tard le dimanche, à midi ou à 13 h, il se lève à une heure différente de son heure de réveil habituelle pour aller à l’école – disons par exemple 7 h du matin. Dans ce cas, l’horloge biologique en prend un sacré coup, et elle entraîne ce qu’on appelle une désynchronisation, qui ajoute à la dette de sommeil et enfonce l’enfant encore davantage dans la fatigue. Donc on est dans un véritable cercle vicieux, qui pourra mener jusqu’à l’insomnie chronique. Si un enfant se couche tard, il faut quand même le réveiller à la même heure (ou à deux ou trois heures près maximum) que d’habitude.

“Ce problème de santé publique va nous éclater à la figure dans les années qui viennent.”

Quelles sont les conséquences de la surexposition aux écrans et de la désynchronisation sur le long terme ?
Un enfant qui est trop souvent sur un écran risque, une fois adolescent puis étudiant et adulte, de développer une vraie maladie du sommeil, comme le trouble circadien du sommeil, avec retard de phase dû aux couchers trop tardifs. Et on arrive à un changement de plus en plus flagrant de chronotype – la tendance pour chacun d’entre nous à être « du matin » ou « du soir ». Le chronotype des enfants est en train d’évoluer et ils deviennent « du soir », c’est-à-dire qu’ils se couchent tard et se lèvent tard. Ce n’est vraiment pas ce qu’il y a de mieux pour le développement. Ce problème de santé publique va nous éclater à la figure dans les années qui viennent. Comment seront ces enfants devenus adultes sur le plan de leur santé mentale et physique ? Je n’en sais rien.

Nous sommes des animaux diurnes. Notre horloge est entraînée par la double alternance de la lumière et de l’obscurité. La lumière le matin, et l’obscurité le soir. On est formaté comme cela depuis des siècles et des siècles, des millénaires même ! Et voilà que la civilisation moderne nous entraîne de plus en plus dans un monde nocturne.

Quels conseils donneriez-vous à des parents ?
Les actions de prévention et d’éducation sont difficiles à établir, c’est effectivement d’abord à la famille d’agir. Mais bien malin celui qui pourrait dire « faites ça et ça se passera bien ». Ce qui est certain, c’est qu’il faut dialoguer avec l’enfant et l’adolescent pour lui montrer qu’il y a des heures de coucher et des limites à ne pas dépasser dans l’utilisation des écrans. Il faudrait que les écrans – télévision, ordinateur, console – ne se trouvent pas dans la chambre de l’enfant. Et enfin, arrêter les écrans deux heures avant le coucher : face à une lumière on est en hyperactivité neuronale. La preuve, on éteint pour dormir.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus