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Maroc : bientôt des femmes notaires de droit musulman

Pour la première fois au Maroc, les femmes ont passé le concours d’adoul, une profession jusqu’ici uniquement exercée par des hommes
Salle d’examen pour devenir adoul, à Rabat, en mai 2018 (AFP)
Par Margaux Mazellier à CASABLANCA, Maroc

C’est une première pour le Maroc. Bientôt des femmes exerceront le métier d’adoul (notaire de droit musulman) accessible uniquement aux hommes depuis treize siècles.

Après un bras de fer entre une partie des adouls les plus conservateurs et le ministère de la Justice, Mohammed VI a finalement tranché et décidé d’ouvrir la profession aux femmes cette année. Sur les 7 942 Marocaines qui se sont présentées au concours, 299 ont été retenues. Elles ont commencé la formation le 17 décembre 2018. 

Aux termes d’un an et demi de cours théoriques et de stages pratiques, les étudiantes passeront un examen final et pourront enfin exercer le métier d’adoul. Une nouvelle qui n’a pas manqué de réjouir les étudiantes en droit. Elles témoignent. 

Un changement historique 

Amina, 32 ans, a été classée première au niveau national au concours qui s’est tenu en mai 2018. Elle suit aujourd’hui la formation au métier d’adoul à Fès.

« Nous sommes 111 étudiants dont une trentaine de filles dans ma promotion », précise fièrement l’étudiante à Middle East Eye. Amina a une licence en droit et une autre en physique nucléaire. Avant de s’inscrire à la formation d’adouls, Amina était en deuxième année de master de charia et droit. « Je n’avais jamais pensé faire ce métier. Pour moi c’était un métier d’homme. Mais quand j’ai vu qu’ils avaient ouvert le concours aux femmes, je me suis dit : ‘’pourquoi pas ?’’ », se souvient Amina. 

« Je n’avais jamais pensé faire ce métier. Pour moi c’était un métier d’homme »

- Amina, en formation au métier d’adoul

Même chose pour Mounia, 32 ans : « J’ai toujours été intéressée par les contrats et surtout les contrats immobiliers. Mais ce qui m’a vraiment poussée à passer ce concours, c’est que c’était une première pour la femme », explique l’étudiante qui vient de passer son master de droit de la santé et du travail.

Elle raconte qu’au départ, ses proches étaient un peu réticents : « J’ai essayé de leur expliquer le côté contractuel et professionnel de ce métier, de leur montrer des femmes qui travaillent dans le milieu de la justice. Ils ont fini par accepter et en sont même fiers maintenant ! ». 

Au sein de la formation aussi, les étudiantes semblent être soutenues par leurs collègues masculins : « Les professeurs ne font aucune différence entre nous et les garçons. Au contraire, tout est fait pour qu’on se sente à l’aise », se réjouit Hafida.

« Comme nous sommes la première promotion mixte, les enseignants et nos camarades nous encouragent. C’est très stimulant », complète Mounia. Un accueil qui n’était cependant pas gagné il y a encore quelques mois. 

Une féminisation qui fait débat 

En effet, lorsque le ministère de la Justice, Mohamed Aujjar, avait déclaré en juillet 2017 l’ouverture de la profession aux femmes, l’annonce avait suscité un vif débat au sein de la profession.

Le même mois, un groupe d’adouls avait créé un front national pour protester contre la féminisation du métier. Pour eux, introduire les femmes au sein de la profession risquait de mettre fin à cette fonction sacrée. 

Or, la loi marocaine autorise les femmes à exercer cette fonction – l’article 4 de la loi 16-03, promulguée en novembre 2008, ne prévoit plus la masculinité comme critère d’accès à la profession – et l’article 19 de la Constitution garantit l’égalité entre les hommes et les femmes. 

De jeunes Marocaines à l’entrée du centre d’examen, le 6 mai 2018 à Rabat, la capitale, pour passer le concours d’adoul (AFP)

Les détracteurs du projet se fondent en fait sur une ancienne interprétation du verset 282 de la sourate Al Baqara, selon lequel le témoignage de deux femmes vaut celui d’un homme : « Prenez deux témoins parmi vos hommes, à défaut de deux hommes, faites appel à un homme et à deux femmes parmi ceux des témoins que vous agréez, ainsi, si l’une d’elle se trompe, l’autre lui rappellera. Et que les témoins ne se dérobent pas quand ils sont requis ». Un élément qui apparaît d’ailleurs dans l’article 27 de la loi 16.03 stipulant qu’un adoul doit toujours être secondé par un confrère pour recevoir les témoignages.

Pour mettre fin à toute polémique, Bouchaib El Fadlaoui, président du corps national des adouls explique à MEE qu’il travaille actuellement avec les différentes directions du ministère de la Justice concernées par une réforme de la loi 16.03.

Le nouveau texte autoriserait les adouls femmes et hommes à travailler seuls, sans la présence d’un témoin. « On ne peut plus répondre à cette condition imposant un duo d’adouls. Sinon, il serait question d’une équipe formée d’un homme et de deux femmes ? Ça n’aurait pas de sens », admet Bouchaib El Fadlaoui. Selon lui, le ministre aurait demandé « à toutes les directions concernées que la loi soit prête avant la sortie de l’actuelle promotion ».

Une féminisation indispensable 

« On a longtemps cru que la femme pouvait ressentir plus d’émotions que les hommes et qu’elle ne pouvait pas prendre de décision sensée, seule, sans l’aide d’autres personnes notamment des hommes. Maintenant on sait que l’aspect émotionnel n’a plus rien à faire là-dedans. Ce que l’homme peut faire, la femme le peut aussi », s’agace Hafid alors qu’on aborde ce fameux verset de la sourate Al Baqara

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Cette féminisation du corps de métier devait arriver tôt ou tard selon Amina : « Aujourd’hui, de nombreux métiers dans le domaine de la justice sont ouverts aux femmes. Elles ont montré leurs compétences. Petit à petit, différents métiers dits réservés aux hommes vont s’ouvrir aux femmes et cela finira, je l’espère, pas être considéré comme quelque chose de normal ». Avant d’ajouter : « En ce qui concerne le métier d’adoul, il n’y a rien dans le Coran qui dit que les femmes ne peuvent pas l’exercer. Ce sont juste des rumeurs misogynes ».

Comme ses consœurs, Mounia pense que la société a évolué en faveur du droit des femme. Mais, selon elle, c’est aussi parce que le métier tend aujourd’hui davantage vers le droit que vers le religieux qu’une évolution a été permise : « Avant, le métier d’adoul alliait le social et le religieux, aucune femme n’aurait pu espérer exercer ce métier. Aujourd’hui il s’agit juste d’un métier de droit et d’application des lois. C’est quelque chose que n’importe quelle femme peut faire ».

Dans un article publié sur Tel Quel, Asma Lamrabet affirmait : « Il n’y a aucun texte, ni au sein du Coran ni dans les hadiths, qui interdit cette fonction aux femmes. Il s’agit juste d’un interdit qui est le produit de l’imbrication entre l’interprétation juridique – fiqh – et les coutumes sociales – ada et urf –, qui ont fini par être assimilées comme relevant du sacré ».

La spécialiste du droit des femmes dans l’islam rappelait ainsi que « dans les premiers temps de l’islam, cette fonction n’était pas interdite puisqu’Aïcha, épouse du prophète, a elle-même marié ses nièces ».

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