Chronique

Printemps 1789 : quand la presse officielle du royaume occulte le début de la Révolution

le 08/11/2019 par Guillaume Mazeau
le 03/05/2019 par Guillaume Mazeau - modifié le 08/11/2019
Affaire Réveillon : fusillade au fauxbourg Saint Antoine le 28 avril 1789 - source : Gallica-BnF

Mai 1789, les états généraux s'ouvrent dans un contexte social tendu. Depuis le début de l'année 1789, les émeutes se succèdent ; quelques jours plus tôt, les 27 et 28 avril, « l'affaire Réveillon » faisait des centaines de morts faubourg Saint-Antoine. Une actualité révolutionnaire en décalage avec les nouvelles officielles publiées dans La Gazette. 

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« De Versailles, le 3 mai 1789 […]. Les députés des trois ordres aux états généraux ayant été avertis par une proclamation, faite le 1er de ce mois, dans toutes les places & tous les carrefours de cette Ville par le Roi-d'armes de France, précédé de quatre Hérauts-d'armes, que le Roi les admettrait, le 2, à l'honneur de lui être présentés, se sont rendus, ce jour, en habit de cérémonie, dans le Salon d'Hercule, à l'heure qui leur avait été indiquée ».

C’est par cette description froide et consensuelle du protocole que la Gazette de France résume le début d’une des plus graves crises que traverse le royaume de France depuis longtemps : les états généraux, jamais réunis depuis 1614 et dont l’ouverture est prévue pour le 4 mai. Dans son journal, le député Adrien Duquesnoy, venu de Lorraine, donne une description tout-à-fait différente de ce moment :

« En tout, la Noblesse passe pour vendue à la cour, le Clergé est nul ; reste donc le Tiers, qui ne vaut guère mieux que le Clergé. On se ferait difficilement l'idée des figures comiques et ignobles qui abondent ici ; demain nous nous verrons en groupe ».

Au printemps 1789, la presse officielle de la monarchie française garde ses vieilles habitudes. Pourtant, au moins depuis l’été 1788, le royaume ne se ressemble plus. Les Français rédigent leurs cahiers de doléances, prennent pour la première fois librement la parole et, dans plusieurs provinces, entrent dans la révolte. Pourtant, dans les lignes de la « Gazette », comme on l’appelle, rien de tout cela : les numéros du début du mois de février, ne donnent aucune information sur ce bruissement général, ni sur les violents affrontements qui ont éclaté le 27 janvier à Rennes entre les nobles et les jeunes « patriotes » du tiers état.

Ce qui intéresse la Gazette, ce sont au contraire les nouvelles des Cours étrangères, qui occupent la Une du journal, mais aussi celles de la fine fleur des sociétés européennes. La vie des grands, leurs nominations, leurs mariages, carnets roses et avis de décès, résume la vie de la nation tout entière : ce sont eux qui font l’histoire, et non le peuple, semble dire le journal.

 

Après avoir donné des nouvelles de la santé de l’empereur d’Autriche et de la famille royale d’Angleterre, au milieu d’informations sur les tensions militaires, le numéro du 1er mai 1789 décrit l’indisposition d’Elisabeth de France, dite « Madame », la sœur du roi. L’arrêt du Conseil d’État du Roi du 23 avril portant sur l’approvisionnement des marchés est également publié : plutôt que de parler des nombreuses émeutes qui traversent le royaume en raison des inégalités sociales, le journal vante la « puissante intervention » de Louis XVI contre les « spéculateurs » qui profitent de l’inflation pour s’enrichir.

Des quelques 300 morts et des centaines de blessés que les troupes viennent de faire dans le faubourg Saint-Antoine, après que les populations se sont soulevées contre une possible baisse des salaires ouvriers, la Gazette ne dit pas un mot. Pour avoir des informations sur ce grand massacre, il faut recourir à la rumeur, lire les brochures et feuilles volantes non autorisées ou bien consulter la presse francophone publiée à l’étranger, comme la Gazette de Leyde.

 

« Ce jour, Leurs Majestés ont soupé à leur grand-couvert, & la Musique du Roi a exécuté plusieurs morceaux de Musique fous la conduite du sieur Martini, Surintendant de la Musique de Sa Majesté ».

Publié quelques jours plus tard, le 13 mai, ce récit des habitudes de la Cour ne donne aucune idée de ce qui se passe pourtant à Versailles : le tiers état a pris le nom de « Communes » et a engagé le bras-de-fer avec les députés de la noblesse et du clergé, faisant basculer les états généraux dans une crise totalement imprévue.

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