"Preuves d'amour". C'est le titre de cette série de photographies actuellement exposée sur les grilles de la Gare de l'Est, à Paris. Deux mots volontairement ambigus en écho au traitement des féminicides par la presse, et au champ lexical régulièrement utilisé par cette dernière pour faire état de l'actualité de ces femmes tuées par leurs conjoints.

Souvent, quand ils ne l'euphémisent pas, ils romantisent l'homicide conjugal. Combien de "crime passionnel" avons-nous tous pu lire au cours de notre vie ? De fait, si un crime représente la passion, l'arme du crime est la preuve tangible de cet amour. Une banalisation aussi malheureuse que dangereuse que dénonce ainsi la photographe et architecte de formation Camille Gharbi.

Clichés et légendes sobres pour interpeller en deux temps

Une rallonge électrique, une casserole, un oreiller, une enceinte musicale... Vingt objets du quotidien qui se sont vus détournés en armes de crimes, en France, en 2015, 2016, ou 2017, sont shootés sobrement sur fond bleu clair, à la manière d'un catalogue d'une grande enseigne de bricolage et décoration. Aussi sobre que les clichés sont les légendes : identité de la victime, âge, date et lieu de décès. "Ces artefacts familiers, issus pour la plupart de mon propre domicile et photographiés sur un fond bleu clair sobre, ne permettent pas de saisir de prime abord la violence des faits auxquels ils font référence. Cette prise de distance impose un temps de réflexion", explique Camille Gharbi.

Parfois, la légende honore la mémoire d'une femme tuée par son conjoint ou ex-conjoint. Mais sous certains clichés d'objets, la légende, sous forme de liste de victimes*, semble interminable. À côté du couteau par exemple, symbole des armes blanches, utilisées dans 38,6% des cas de féminicides, ou des balles, pour illustrer l'arme à feu, mode opératoire utilisé dans plus de 22,5% des cas, selon l'analyse des données de Libération, réalisée en mars 2019 à partir du recensement des féminicides que le journal tient depuis deux ans.

Vidéo du jour

*3919 : numéro national gratuit et anonyme pour les violences faites aux femmes.

1/3

Marcelle, 90 ans, tuée par son mari à coup de casseroles le 2 mars 2017 à Limeil-Brévannes (Val de Marne)

Camille Gharbi
2/3

Ce coussin, quant à lui, représente trois récents féminicides : Zenash, 27 ans, Nicole, 80 ans, et Yvette, 91 ans

Camille Gharbi
3/3

Et cette rallonge électrique illustre celui d'une femme de 25 ans, tuée le 2 décembre 2017 au Thoronet (Var)

Camille Gharbi

Sur le parvis de la gare de l'Est (Paris 10e), du 20 avril au 30 juin, dans le cadre du festival Circulation(s) a lieu aux mêmes dates, au 104 (Paris 19e).

La Newsletter Époque

Phénomènes de société, reportages, people et actualités... l'air du temps décrypté.