Après une semaine de négociations à Paris, 132 pays ont adopté ce week-end une évaluation sans précédent de l'état de la nature. Elle démontre le besoin urgent de transformer notre système économique et social. Le premier facteur d’effondrement de la biodiversité terrestre est le changement d’utilisation des sols occasionné par l’agriculture et la surpêche. Ce qui doit nous amener à repenser nos modèles agricoles et nos régimes alimentaires.

Trop de viande, trop de gras, trop de sucre, trop de produits transformés… Le régime alimentaire occidental, de plus en plus globalisé, est la première cause de perte de biodiversité dans le monde. C’est l’un des principaux enseignements du Résumé pour décideurs qui a été adopté dans la nuit du samedi 4 mai par les 132 États membres de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité, l’équivalent du Giec sur le climat.
Cette synthèse, négociée ligne par ligne par les délégations pendant une semaine, est issue d’un rapport de 1 800 pages sur lequel ont travaillé 450 experts pendant trois ans à partir de 15 000 références. Il s’agit de l’évaluation scientifique la plus aboutie sur l’état de la nature depuis l’analyse historique du millénaire publiée en 2005. Parmi les nombreuses données qui y figurent, les chercheurs estiment qu’un million d’espèces, sur les quelque huit millions estimées sur la planète, sont menacées d’extinction. Par ailleurs, 75 % de l’environnement terrestre et 40 % de l’environnement marin présentent des "signes importants de dégradation".  
Une agriculture de plus en plus industrialisée et financiarisée  
Le rapport pointe en premier lieu les changements d’utilisation des sols occasionnés par l’agriculture et la surpêche pour les océans. Depuis 1970, il y a eu une augmentation de 300 % de la production agricole depuis 1970. Celle-ci représente un tiers des surfaces émergées quand plus de 55 % de la zone océanique est couverte par la pêche industrielle. En vingt ans, 100 millions d’hectares de forêt tropicale ont été perdus, principalement à cause de l’élevage du bétail en Amérique latine et des plantations, majoritairement de palmiers à huile, en Asie du Sud-Est. Près d’un tiers de la superficie forestière mondiale a été perdu par rapport aux niveaux préindustriels. 
Cette extension accrue d’espaces agricoles est due à la croissance démographique et à l’apparition de nouvelles classes moyennes qui accèdent à des niveaux de consommations particulièrement gourmands en ressources. La mondialisation poussant à une homogénéisation de l’alimentation et de la production agricole. L’alimentation carnée par exemple mobilise un tiers des cultures via les céréales pour l’alimentation des animaux et au total les trois quarts de l’usage agricole du sol.
"La première de cause de la perte de biodiversité est le changement d’usage des sols, au profit d’une agriculture de plus en plus industrialisée et financiarisée, pour satisfaire un régime alimentaire de plus en plus mondialisé, de plus en plus carné, gras et sucré", constate Yann Laurans, directeur du programme Biodiversité et écosystèmes àl’Iddri. L’organisation a récemment publié un rapport prônant que l’agroécologie pourrait nourrir tous les Européens en 2050.
Sauver le climat en sauvant la nature
Parmi les autres facteurs responsables de l’effondrement de la biodiversité, il y a aussi le changement climatique. Les auteurs ont constaté que dans un réchauffement global de 2°C, 5 % des espèces étaient menacées d’extinction contre 16 % dans un monde à 4,3°C, notre trajectoire actuelle. Et même avec un réchauffement planétaire limité à 1,5°C, la majorité des aires de répartition des espèces terrestres devraient se réduire profondément. "Ce qui signifie que nous avons déjà créé des pertes irrémédiables dans notre monde naturel", écrivent les auteurs.
"Les causes du changement climatique et de la perte de biodiversité ont beaucoup en commun, et ce rapport prouve que nous ne pouvons sauver le climat que si nous sauvons également la nature, a réagi Laurence Tubiana, directrice générale de la Fondation européenne pour le climat (ECF). Nous devons transformer nos sociétés, sans quoi nous mettrons en danger notre existence et celle du monde naturel au sens large. De combien d’autres preuves les politiciens ont-ils besoin pour accélérer les efforts pour protéger notre environnement et notre avenir ?" 
Alors que les objectifs d’Aichi pour la protection de la biodiversité, fixés par les États en 2010, ne seront en grande partie pas atteints en 2020, des solutions plus détaillées seront discutées l’an prochain en Chine lors de la 15e réunion de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique. "Ce mois d’avril peut marquer le début d’un tournant parisien similaire à la COP21 pour le climat", a estimé Robert Watson, président de l’IPBES. "Nous devons fixer des objectifs très agressifs pour 2030", plaide Rebecca Shaw, scientifique en chef de WWF, évoquant une ambition de 50 % de la Terre gérée de façon durable d’ici 2030. 
Concepcion Alvarez, @conce1 

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