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Mexique : un paradis en plastique

Richart Sowa devant son ancien « royaume »  de Joysxee, de 20 mètres de diamètre environ, près  d’Isla Mujeres, au Mexique, le 30 avril 2009.
Richart Sowa devant son ancien « royaume » de Joysxee, de 20 mètres de diamètre environ, près d’Isla Mujeres, au Mexique, le 30 avril 2009. © Chris Maluszynski
Olivier O'Mahony

Un Anglais a bâti une île sur des détritus recyclés en flotteurs. Chez lui, tout pousse.

«C’était ma clé pour le paradis », raconte Richart Sowa. Pendant sept ans, jusqu’à l’automne 2017, cet Anglais a vécu sur Joysxee (Joy pour joie, Key pour clé, en anglais), une île flottante de 25 mètres de diamètre qu’il a confectionnée de toutes pièces. Il y a construit une maison sur deux niveaux avec toit en bambou, aménagé une petite plage avec sable blanc, planté des arbres, de la mangrove, des fleurs multicolores… Sur cet éden amarré à la côte et néanmoins coupé du monde, Richart avait l’impression de vivre libre, sans rien demander à personne et, surtout, en faisant du bien à la planète. Car l’île repose sur 160 000 bouteilles en plastique ramassées dans les rues d’Isla Mujeres, la station balnéaire mexicaine toute proche. La seule île au monde construite sur des détritus en plastique recyclés en flotteurs…

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Chris Maluszynski
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A défaut d’avoir eu de l’argent, Richart, que tout le monde appelle Richie, a toujours eu des idées. « Quand on est pauvre, on apprécie davantage la valeur de l’effort », assure ce drôle d’énergumène né il y a 65 ans à Middlesbrough, dans le nord de l’Angleterre, dans une famille ouvrière de huit enfants. Peu intéressé par les études, il se découvre très tôt un talent pour le travail du bois et un goût pour l’aventure. Il est à la fois charpentier et artiste, un manuel qui a la tête dans les étoiles. Dans les années 1990, il déménage en Allemagne avec sa femme et ses trois enfants. Là, alors qu’il travaille pour un fabricant de cuisines, sa vie bascule. « Je passais par un champ pour aller au travail et, soudain, j’entends un bruit énorme. Je me retourne et je vois une forme étrange dans le ciel. On aurait dit une soucoupe volante. Quand j’ai entendu d’autres témoins raconter cette même scène, j’ai su que je n’avais pas rêvé. » Richie entame alors une quête mystique, se met à lire la Bible, s’interroge sur la fragilité des choses, alors que, peut-être, des extraterrestres hyperintelligents pourraient constituer une menace… Puis il a une vision. « Je vole au-dessus de l’océan, j’aperçois quelqu’un sur une île de déchets recyclés. Le type a l’air heureux. C’est ce qui m’a donné envie de faire pareil. Pour moi. Et pour la planète. » Ça, c’est une autre histoire.

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Robinson Crusoé de déchetterie, il cuisine sur son four solaire et lave son linge avec le ressac des vagues

En tout cas, Richie n’a pas peur de passer pour un exalté, un possédé… Car, oui, il est possédé, mais par sa mission, nous dit-il. Pour lui, l’équation est simple : la Terre est menacée par la surpopulation, les parcelles cultivables vont manquer. Créer des îles en plastique pour augmenter leur surface tout en recyclant les déchets, voilà la solution ! Cap sur le Mexique. Là, il ramasse, ramasse… toutes les bouteilles, surtout les petites. Les gens le prennent pour un clochard, mais ils l’aiment bien : après tout, il fait gratuitement le travail des éboueurs. Il se procure de grands filets en plastique pour y entasser ses trésors, bien serrés les uns contre les autres. Tout cela finit par former des sacs qu’il attache et jette dans l’océan. Evidemment… ça flotte ! Reste à poser dessus des palettes en bois. « Je pourrais y faire monter des éléphants », assure Richie. Puis la mangrove se met à pousser et ses racines solidifient l’ensemble. Comme un radeau, l’île vacille quand un bateau approche, mais Richie adore ce « doux bercement ». Il assure qu’un écosystème est né : « Tout pousse sur cette île : olives, tomates, mandarines, papayes, bananes, citrons, noix de coco, herbes… » Pendant sept ans, Richie vit là, heureux. Et seul, la plupart du temps. Robinson Crusoé de déchetterie, il se lave à l’eau de pluie avec un coquillage, cuisine ses burritos sur son four solaire et nettoie ses habits dans un lave-linge triangulaire de son invention, avec le ressac des vagues en guise de rotor…

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Richie prévoit de créer un sanctuaire pour oiseaux

Richie le démiurge n’en est pas à sa première création. Il a déjà fabriqué deux autres îles. La deuxième, baptisée Spiral Island, a été détruite par l’ouragan Emily en 2005. L’éden s’est transformé en radeau du désastre : des milliers de bouteilles et de filets plastiques disséminés dans l’océan ! On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, dirait Richie. Pour éviter que la catastrophe se répète, il a choisi d’installer Joysxee au milieu d’un lagon, à l’abri, espérait-il, de la colère des vents. A l’automne 2017, il a pourtant dû quitter ses pénates. Sur les raisons de son départ, les versions divergent. Des locaux rapportent que la tornade Irma aurait en partie détruit le refuge, éventrant par endroits son plancher en plastique, et que c’est une nouvelle catastrophe : le poison des microparticules est libéré dans l’océan. Richie, lui, avance une autre explication. Son installation flottante lui avait valu un petit succès local, qu’il entretenait en proposant, moyennant quelques dollars, une visite guidée. Mais les voisins se seraient révélés mauvais joueurs ; ils auraient ramené les touristes, qui tournicotaient autour de son paradis pendant qu’il prenait sa douche. « J’avais l’impression d’être devenu une bête de foire », raconte-t-il, façon Brigitte Bardot… Le ton serait monté et il aurait découvert son île saccagée. Vengeance humaine ou colère des cieux ? En tout cas, il n’est plus le bienvenu.

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La mort dans l’âme, il lui faut retourner en Angleterre. Et se consoler en construisant, avec l’aide d’Eden Jay, son fils de 22 ans, aventurier comme lui, une autre île en plastique… mais mobile, et même munie d’un moteur ! De quoi s’évader en cas de nouvelle menace. C’est un ami, John Beal, un entrepreneur américain, qui la lui a commandée. Trois nouveaux projets pourraient voir le jour près de Bali. L’un serait un sanctuaire pour oiseaux, au moins un repose-pattes… en attendant d’alimenter le cimetière des poissons empoisonnés. 

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