«Train surfing», «jeu du torero»… comment la SNCF lutte contre ces jeux dangereux

Depuis plus d’un an, l’entreprise a lancé une nouvelle opération de prévention auprès des jeunes, alors que ces dernières années le nombre d’intrusions sur le réseau et d’accidents parfois mortels a augmenté.

 En 2017, la SNCF a enregistré 10 300 intrusions sur l’ensemble de son réseau, ainsi que 55 décès et 34 blessés graves (Photo d’illustration).
En 2017, la SNCF a enregistré 10 300 intrusions sur l’ensemble de son réseau, ainsi que 55 décès et 34 blessés graves (Photo d’illustration). AFP/Jacques Demarthon

    « Ne devenez pas le cauchemar d'un autre ». C'est avec ce slogan que la SNCF a décidé il y a plus d'un an de lancer une vaste campagne de prévention auprès des plus jeunes contre les défis dangereux qui se multiplient autour des trains et du réseau de la société. Le phénomène n'est pas nouveau - en 2008, déjà, l'entreprise de transport organisait des conférences dans les établissements scolaires - mais il s'est clairement accéléré ces dernières années et touche aussi d'ailleurs le métro parisien.

    Via les réseaux sociaux, notamment, on voit ainsi circuler des vidéos montrant ces jeux dangereux, tels que le « train surfing » ou « le torero ». Le premier consiste à monter sur le toit d'une rame ou à rester accroché à l'extérieur du train alors qu'il roule. Tandis que pour le second, il s'agit d'attendre le tout dernier moment pour quitter les rails avant que la locomotive n'arrive. Pour les deux, des vidéos spectaculaires largement partagées, mais surtout des drames.

    Car la pratique est extrêmement dangereuse, avec deux risques majeurs : se faire heurter par le train, évidemment, ou se faire happer un membre avec le phénomène d'aspiration mais aussi l'électrocution, à cause de l'arc électrique de 20 000 volts qui peut se créer entre la caténaire (qui alimente le train en énergie) et la victime. En janvier dernier, un adolescent d'une quinzaine d'années s'est par exemple très gravement blessé après être monté sur le toit du métro parisien entre deux stations de l'ouest de la capitale. Deux ans plus tôt, un autre, âgé de 16 ans, avait trouvé la mort dans des circonstances similaires, à Paris.

    55 décès après des intrusions sur le réseau en 2017

    Pour 2017, la SNCF a enregistré 10 300 intrusions sur l'ensemble de son réseau, ainsi que 55 décès et 34 blessés graves. C'est chiffres englobent l'ensemble des intrusions constatées cette année-là : des gens qui traversent les voies pour gagner du temps à ceux qui pensent trouver refuge dans des tunnels ou qui fomentent un acte de malveillance. Mais aussi ceux qui jouent à des jeux dangereux.

    Un constat qui a donc poussé l'entreprise à amplifier et moderniser sa campagne de prévention après du jeune public. Baptisée 02H38, elle allie un site web dédié ainsi qu'une vidéo distribuée que les différentes plateformes et, depuis mars 2018, un camion qui sillonne la France pour aller à la rencontre des écoliers, collégiens et lycéens.

    La prévention se fait aussi auprès d'un public plus large, comme celui du festival Solidays, lors de l'édition 2018 et de celle à venir en juin prochain. Avec, toujours, un cheminot présent pour témoigner et échanger.

    Le cauchemar de Philippe D., témoin du drame

    Ce camion, qui a au global permis de toucher 16 000 jeunes, offre « une expérience immersive » grâce à un film diffusé en réalité virtuelle.

    Des lycéens de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) qui attendent leur tour pour entrer dans le camion 2H38. SNCF/Dominique Onillon
    Des lycéens de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) qui attendent leur tour pour entrer dans le camion 2H38. SNCF/Dominique Onillon AFP/Jacques Demarthon

    Casque vissé sur la tête, quatre personnes sont ainsi projetées dans le cauchemar récurrent d'un homme qui, chaque nuit à… 2h38, revit le moment où il a été le témoin d'un drame du rail. L'histoire virtuelle de Philippe D., traumatisé d'avoir assisté à l'accident de trois jeunes qui s'étaient introduits sur les voies ferrées et qui a coûté la vie à l'un d'entre eux.

    Un fait divers virtuel qui colle malheureusement trop bien à la réalité du « train surfing » ou du « jeu du torero ». Car en plus des morts ou des blessés, ils causent aussi des traumatisés. « Les collègues qui ont vécu des accidents de personnes en parlent très peu, raconte au Parisien Olivier Pioche, agent SNCF depuis une vingtaine d'années et volontaire depuis dix ans pour aller à la rencontre des jeunes sur la campagne 02H38. Il y a la cellule psychologique qui est mise en place, mais sur un premier événement, on n'en parle pas ».

    « Le regard de la victime, on le croise et ça reste gravé »

    Une erreur pour ce cheminot qui a fait partie du personnel roulant pendant près de 7 ans et qui a été confronté à des comportements dangereux, comme des traversées imprudentes ou des jeux inconscients. « Quand ça arrive, on est impuissant en fait. On freine et c'est tout », détaille encore Olivier. Même si le drame est évité, l'épisode et la peur marquent les êtres. Et lorsqu'il survient, il laisse alors des traces indélébiles.

    « Il n'y a pas que le conducteur qui est concerné. Parfois, s'il ne se sent pas de descendre, c'est le contrôleur qui y va, puisqu'il faut bien aller voir pour constater et appeler les secours, raconte encore l'agent SNCF. J'ai eu l'occasion de me retrouver dans cette situation et même si on a beau essayer de ne pas regarder la personne qui est sur les voies, le regard on le croise, et ça reste gravé ».

    L'exemple de Jamel Debbouze

    Des conséquences que ne perçoivent pas toujours les plus jeunes, souvent inconscients du danger. « Il y a un mélange entre le goût du risque et la certitude que ça n'arrive qu'aux autres, qu'eux sont capables de sortir assez vite des rails », estime Olivier Pioche, qui a déjà eu en face de lui des ados lui avouant avoir déjà tenté le diable sur les voies. Dans les établissements, le dialogue entre le cheminot est souvent très libre.

    Une intervention de cheminot dans un établissement scolaire de Vierzon (Centre-Val de Loire). SNCF/Dominique Onillon
    Une intervention de cheminot dans un établissement scolaire de Vierzon (Centre-Val de Loire). SNCF/Dominique Onillon AFP/Jacques Demarthon

    Pour évoquer les risques encourus, les jeunes citent souvent l'exemple de Jamel Debbouze, qui en traversant les rails en gare de Trappes (où l'humoriste a grandi), a perdu l'usage de son bras droit.

    Olivier Pioche, lui, s'appuie sur son expérience et mais surtout sur des données techniques et concrètes, pour provoquer une prise de conscience : « Quand je leur dis que pour qu'un train qui roule à 100 km/h s'arrête, c'est 1000 mètres, soit dix terrains de foot, là, ils se rendent compte que la distance de freinage est très longue ».

    Et le message semble passer. Lorsque l'intervention du cheminot est terminée et que la sirène de fin de cours retentit, les élèves ne se précipitent pas pour quitter la salle. À chaque fois, c'est même un nouvel échange qui s'installe. Pour expliquer, encore.