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« Le pouvoir de Mark Zuckerberg est sans précédent » : un de ses cofondateurs appelle à démanteler Facebook

Chris Hughes, qui ne travaille plus pour l’entreprise depuis des années, propose de la scinder en trois : Facebook, Instagram et WhatsApp.

Par  et

Publié le 09 mai 2019 à 15h09, modifié le 30 mai 2019 à 18h37

Temps de Lecture 5 min.

Chris Hughes, lors d’une conférence à Boston (Massachusetts), en 2010.

« Le pouvoir de Mark est incroyable, et dépasse de loin celui de n’importe qui au gouvernement ou dans le secteur privé. (…) Le pouvoir de Mark est sans précédent et antiaméricain. (…) Il est temps de démanteler Facebook. » Les mots sont durs, surtout lorsqu’on sait qu’ils ne viennent pas d’un militant anti-Facebook, mais de quelqu’un qui peut se permettre d’appeler l’un des plus puissants patrons du monde par son prénom. Ce texte, publié dans le New York Times mercredi 9 mai, a été écrit par Chris Hughes, qui a été l’un des cofondateurs de Facebook après avoir rencontré Mark Zuckerberg à Harvard.

Dans un long réquisitoire, Chris Hughes, qui ne travaille plus pour l’entreprise depuis des années, dresse la liste des problèmes que pose selon lui Facebook au fonctionnement de l’économie et de la société américaine.

« Léviathan »

A commencer par la toute-puissance de Mark Zuckerberg sur le réseau social, qui compte plus de deux milliards d’utilisateurs dans le monde. « Mark est quelqu’un de bien, quelqu’un de gentil », reconnaît M. Hughes. Mais il a trop de pouvoir :

« Le conseil d’administration de Facebook est plus proche d’un panel de conseillers que d’un contre-pouvoir, car Mark contrôle 60 % des droits de vote. Mark seul peut décider comment configurer l’algorithme qui choisit ce que les utilisateurs voient dans leur fil d’actualité, avec quels paramètres de vie privée… »

Or, ces dernières années, cette toute-puissance a été utilisée à mauvais escient, écrit M. Hughes, estimant que Mark Zuckerberg « a créé un Léviathan qui nuit à l’entrepreneuriat et limite la liberté de choix du consommateur ».

M. Hughes n’épargne pas non plus, au passage, les responsables politiques « qui se sont pendant trop longtemps émerveillés de la croissance de Facebook et ont oublié que leurs responsabilités consistaient à s’assurer que les Américains sont protégés et que le marché reste libre ». Pourtant, estime-t-il, tous les outils nécessaires pour améliorer la situation sont déjà là, à commencer par le Sherman Act, la grande loi antitrust américaine, adoptée au XIXe siècle pour limiter le pouvoir des magnats du chemin de fer, et qui pourrait tout à fait s’appliquer à l’empire Facebook.

L’entreprise se trouve dans une telle situation monopolistique qu’il « n’y a aucun contrôle du marché », écrit M. Hughes. « A chaque fois que Facebook commet une erreur, nous répétons cette routine épuisante : l’énervement, la déception, et, pour finir, la résignation. »

Et tous les signaux d’un monopole contraire à la loi sont là, estime M. Hughes, qui cite pêle-mêle les statistiques d’utilisation de Facebook, d’Instagram et de WhatsApp (les applications sociales les plus utilisées au monde) ; le fait que Facebook ait pu aisément racheter des entreprises qui menaçaient de le concurrencer, comme Instagram, imiter les fonctionnalités de celles qu’il ne parvenait pas à acquérir, comme Snapchat, ou même bloquer les outils d’autres concurrents potentiels, comme Vine.

« Facebook n’a pas peur de quelques règles de plus »

Cette domination sur l’Internet social, couplée à la capacité de Facebook d’agréger toujours plus de données sur ses utilisateurs, a un prix, écrit M. Hughes. « Le marché ouvert et dynamique qui a permis à Facebook et à d’autres entreprises de créer de meilleurs produits a quasi disparu. Il y a aujourd’hui moins de chances de voir de nouvelles start-up développer de meilleurs produits, qui soient plus sains. »

Mais le problème est loin de se limiter à la sphère économique, et à une question de libre entreprise. La question est avant tout politique, estime le cofondateur du réseau social. « L’aspect le plus problématique du pouvoir de Facebook est le contrôle qu’il donne à Mark sur la capacité de surveiller, d’organiser, et même de censurer les discussions de deux milliards de personnes. »

Les gages donnés récemment par le réseau social en matière de vie privée ou de liberté d’expression ont été faits de bonne foi, juge M. Hughes. Mais ils ne résoudront pas le problème systémique posé par la puissance du réseau social : « Facebook n’a pas peur de quelques règles de plus », écrit-il.

La seule solution, radicale, serait de scinder l’entreprise en trois parties, Facebook, Instagram et WhatsApp, pour en faire trois entreprises cotées distinctes, estime M. Hughes, rejoignant la proposition faite par la sénatrice Elizabeth Warren, candidate à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine de 2020.

Cette séparation forcée pourrait être complétée par une interdiction, limitée dans le temps, d’acquérir de nouvelles entreprises, propose M. Hughes. Et devrait être complétée par la création d’une agence fédérale spécifiquement chargée de réguler la Silicon Valley. « Mark Zuckerberg ne peut pas réparer Facebook, mais le gouvernement en a le pouvoir », conclut-il.

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M. Hughes n’est pas le seul ancien responsable ou investisseur du réseau social à avoir, ces derniers temps, pris ses distances avec l’entreprise. Roger McNamee, un investisseur qui comptait parmi les premiers à avoir misé sur le succès de Facebook, a publié en février un livre titré Zucked, dans lequel il détaille sa déception vis-à-vis de ce qu’est devenue l’entreprise, avec des arguments proches de deux de Chris Hughes.

Mark Zuckerberg de passage à Paris

« Nous acceptons chez Facebook que notre succès implique un devoir de rendre des comptes », a réagi Nick Clegg, responsable des affaires publiques de Facebook, dans un communiqué transmis à la chaîne américaine CNN. « Mais vous n’imposez pas la responsabilité en appelant au démantèlement d’une entreprise américaine qui a réussi », poursuit-il.

« La responsabilité des entreprises de nouvelles technologies ne peut être renforcée qu’en introduisant de nouvelles règles rigoureuses pour Internet. C’est exactement ce que Mark Zuckerberg demande. Et cette semaine, il rencontre d’ailleurs des chefs de gouvernements pour avancer vers cet objectif. »

Mark Zuckerberg sera notamment reçu vendredi 10 mai par Emmanuel Macron à l’Elysée. Ils aborderont lors de cette réunion le bilan de la mission lancée en début d’année : une poignée d’experts et de hauts fonctionnaires français ont examiné les pratiques de Facebook en matière de modération des contenus. Un rapport doit être publié et donner des pistes pour une régulation plus ferme des contenus illicites.

Comme en 2018, le créateur de Facebook passera plusieurs jours à Paris, à l’occasion du sommet Tech for Good qui se déroulera en milieu de semaine prochaine. C’est dans ce contexte que sera dévoilé « l’appel de Christchurch », un texte porté par la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, et soutenu par Emmanuel Macron, qui appellera les grands réseaux sociaux à lutter de manière plus incisive contre les contenus terroristes et extrémistes violents.

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