Punk avant l’heure, dandy dada puis surréaliste, Francis Picabia était un provocateur inventif, qui se proclamait être avant tout « un loustic, un idiot, un clown », plutôt qu’un peintre. Du fauvisme à l’art abstrait, son œuvre est à son image : toujours à contre-courant. « Je ne peins pas ce que voient mes yeux, je peins ce que voit mon esprit, ce que voit mon âme », déclarait-il alors que le dédoublement des traits caractéristiques de certaines de ses peintures – comme Ligustri (1920), Le Sphinx (1929), Héra (1929) ou encore Aello (1930) – évoque les hallucinations que lui confère l’usage des opiacés.
Henri Michaux, peintre, écrivain et poète de son état, cultivait un faible pour la mescaline ! La substance hallucinogène aux effets synesthésiques est ainsi le personnage principal de Misérable Miracle, journal de bord – agrémenté de dessins et documents manuscrits – des hallucinations d’un auteur qui plonge le lecteur dans les méandres d’un monde nouveau, aux confins de la perception et de l’imagination. Au travers de ses états et dérives, Henri Michaux chroniquait sa soumission à une substance dont les effets décuplaient sa présence au monde, l’initiant à un langage nouveau mais affectant à chaque prise son équilibre psychique.
Le grand dramaturge du Théâtre et son double a noué tout au long de sa vie une addiction profonde pour l’opium et ses déclinaisons exotiques, héritée d’une méningite précoce qu’il combattit en s’oubliant dans les univers parallèles de la chimie. Explorateur infatigable au royaume des substances, Antonin Artaud découvre au Mexique une drogue nouvelle, le Peyotl, à laquelle des chamanes l’initient. De ses dessins griffonnés à la mine – dont de nombreux autoportraits aux traits asymétriques et inquiets – transparaissent la folie qui le mènera à de nombreuses reprises en hôpital psychiatrique.
Impossible de ne pas faire figurer dans cette sélection la sexagénaire japonaise atteinte depuis l’enfance d’un trouble obsessionnel pour les pois : Yayoi Kusama. Artiste renommée, performeuse et plasticienne, celle qui vit depuis plus de quarante ans en hôpital psychiatrique est sans aucun doute l’une des dignes représentantes du mouvement psychédélique. Ses environnements immersifs, peuplés de ballons, de diodes lumineuses, de phallus et évidemment de pois, donnent à voir des mirages qui font imploser nos référentiels cartésiens et nous invitent à pénétrer des mondes parallèles et merveilleux, hallucinés et hallucinants.
Singulière trajectoire que celle de l’artiste allemand Carsten Höller, docteur en biologie et spécialiste de la communication olfactive chez les insectes. C’est avec pareil bagage qu’il conçoit des œuvres déroutantes, à l’image d’Upside Down Mushroom Room (2000), une installation de champignons hallucinogènes suspendus au plafond, mais également des « machines à confusion ». Le but ? Générer le doute dans l’esprit du public, dont il observe les attitudes et réactions. En 1993, il réduit l’amour à une formule chimique dans sa pièce Love Drug en présentant une fiole de phényléthylamine : la drogue de l’amour, censée provoquer empathie et altération des sens. En 2013, il récidive à la Maison Rouge en présentant un couloir blanc, dont la perspective troublante vient symboliser les portes de la perception.
Chez la Française Jeanne Susplugas, on trouve du Lexomil, des médicaments à revendre, des boules à facettes moulées à la forme de la structure chimique d’anxiolytiques ou d’anesthésiques, ou des néons à la gloire du Doliprane. Jeanne Suspluglas n’est pas lobbyiste pour l’industrie pharmaceutique, mais une plasticienne qui sonde nos désordres mentaux et moraux pour les projeter dans des formes aussi dérangeantes dans ce qu’elles disent de nos paradoxes que jubilatoires par l’humour qu’elles recèlent.
Performeur et musicien américain, Bryan Lewis Saunders dresse chaque jour son autoportrait depuis 1995, compilant sans mégalomanie près de 9000 représentations de lui-même dont les styles et les ambiances varient. En 2001, il fait parler de lui en s’essayant durant quelques semaines au même exercice sous influence d’une drogue nouvelle chaque jour. Xanax, valium, absinthe, cocaïne, toutes y passent et l’on suit les dérives cognitives de l’artiste dont la vision est troublée, déformée, remodelée dans un voyage aux mille visages explorant les limites de la perception et de l’identité.
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