Naufrage de migrants : "ils sont morts un à un", "devant mes yeux"

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Par AFP - Zarzis
Publié le 11 mai 2019 - 17:53
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Ahmed Bilal, un Bangladais rescapé du naufrage d'une embarcation de migrants en Méditerranée, à Zarzis en Tunisie, le 11 mai 2019
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© FATHI NASRI / AFP
Ahmed Bilal, un Bangladais rescapé du naufrage d'une embarcation de migrants en Méditerranée, à Zarzis en Tunisie, le 11 mai 2019
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"Un à un ils ont lâché, il sont partis sous l'eau, un à un", répète sans cesse Ahmed Bilal, un fermier bangladais, rescapé du naufrage d'une embarcation de migrants entre la Libye et l'Italie, qui a fait plus d'une soixantaine de morts.

Après six mois de voyage, Ahmed, 30 ans, est éreinté. Il a passé trois mois en captivité en Libye et huit heures dans l'eau glacée de la Méditerranée jusqu'à ce qu'un bateau de pêcheurs tunisien repère les naufragés vendredi, à plus de 60 kilomètres au large de Sfax.

Mais il était déjà trop tard pour son cousin et son beau-frère, âgés de 22 et 26 ans.

"Je ne peux plus m'arrêter de pleurer", dit Ahmed, interrogé par l'AFP dans un foyer d'urgence du Croissant-Rouge à Zarzis, dans le sud de la Tunisie, où les 16 rescapés sont hébergés depuis vendredi soir.

Originaire de la région de Sylhet, dans le nord-est du Bangladesh, Ahmed, père de deux jeunes enfants, raconte être parti il y a six mois avec quatre autres hommes de son village.

"Ma famille a vendu notre terrain, où nous récoltions du riz une fois par an. Ils espéraient devenir comme les autres familles qui ont un des leurs en Europe", raconte-t-il.

Une vie plus facile, c'est ce que leur a promis un intermédiaire bangladais, leur faisant miroiter l'Europe pour environ 7.000 dollars.

"Les gens l'appellent +Good Luck+ (Bonne Chance), il a dit que nous aurions une vie meilleure et nous l'avons cru", explique-t-il amèrement.

"En fait, je suis sûr que la plupart des gens qu'il envoie meurent en route (...) Je ne le connais que par téléphone mais j'ai vu son frère en Libye", ajoute-t-il.

Ahmed et les siens ont pris l'avion de Dakka pour Dubaï, puis pour Istanbul et enfin pour Tripoli. Ils se sont retrouvés avec un groupe de 80 Bangladais, enfermés pendant trois mois dans une pièce dans l'ouest libyen.

"Je pensais déjà que j'allais mourir en Libye, on avait de la nourriture une seule fois par jour, parfois moins, il y avait une toilette pour tout le monde et on ne pouvait pas se laver, à part les dents. On pleurait, on réclamait tout le temps de la nourriture."

- "On a nagé toute la nuit" -

Jeudi soir, des passeurs emmènent un groupe d'hommes en bateau jusqu'à un canot pneumatique qu'ils surchargent de migrants, direction l'Italie.

A bord, 75 à 80 personnes selon Ahmed, peut-être 90 selon un autre rescapé égyptien. La majorité sont bangladais, mais il y a aussi des Egyptiens, quelques Marocains, des Tchadiens, et d'autres dont le souvenir est déjà presque effacé.

"On a commencé à couler presque tout de suite, vers minuit", se souvient le rescapé égyptien, Manzour Mohammed Metwella, 21 ans. "On a nagé toute la nuit."

"Ils sont morts un à un, chaque minute, on en perdait un", martèle Ahmed, qui a vu mourir ses proches devant ses yeux.

"Moi même j'étais en train d'abandonner mais Dieu a envoyé des pêcheurs pour nous sauver. S'ils étaient arrivés dix minutes plus tard, je crois que j'aurais lâché."

Un bateau de pêche tunisien arrivé vers 8h du matin a pu sauver 16 migrants, dont 14 Bangladais, un Egyptien et un Marocain.

"Si les pêcheurs tunisiens ne les avaient pas vus, (...) nous n'aurions probablement jamais été informés de ce naufrage", souligne Mongi Slim, un responsable du Croissant-Rouge dans le sud de la Tunisie.

Le naufrage a eu lieu alors que les navires de l'opération européenne anti-passeurs Sophia se sont retirés de l'est de la Méditerranée, tandis que la plupart des bateaux humanitaires rencontrent des difficultés pour y accéder.

Les rescapés ont 60 jours pour décider s'ils veulent rentrer chez eux, demander l'asile via le HCR ou rester par leurs propres moyens en Tunisie. Le pays, confronté à d'importantes difficultés, avec un chômage élevé et des services de santé et d'éducation à la peine, n'a pas de loi sur l'asile.

"Nous avons tant perdu, je n'ai plus rien, nous espérons toujours aller en Europe, pour gagner assez d'argent et revenir chez nous", explique Ahmed. "Mais je ne veux plus jamais reprendre la mer."

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