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Non, les deux otages enlevés au Bénin n'avaient pas pris de "risques majeurs"
Le parc de la Pendjari au Bénin, où les deux otages français ont été enlevés, faisait l'objet d'un projet de développement important du pays.
STEFAN HEUNIS / AFP

Non, les deux otages enlevés au Bénin n'avaient pas pris de "risques majeurs"

Décryptage

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Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a pointé la responsabilité des deux otages français enlevés au Bénin, dont la libération ce 10 mai au Burkina Faso a engendré la mort de deux militaires. Sauf que les consignes du Quai d'Orsay n'ont été mises à jour qu'après ce drame.

"La zone où étaient nos compatriotes était considérée depuis déjà pas mal de temps comme une zone rouge, c'est-à-dire une zone où il ne faut pas aller, où on prend des risques majeurs en allant". Invité ce samedi 11 mai sur Europe 1, le ministre des Affaires étrangères*, Jean-Yves Le Drian, a déclenché l'hallali contre le couple d'otages libéré au Burkina Faso au prix de la vie de deux soldats. Il n'en fallait pas plus en effet pour qu'une partie de l'opinion se retourne contre ces deux Français, accusés d'avoir causé par leur "inconscience" la mort des deux militaires. Sauf que ce n'est pas si simple. Explications.

La consigne sur la Pendjari mise à jour le 10 mai

Les deux Français ont été enlevés le 1er mai au Bénin alors qu'ils effectuaient un safari dans le parc de la Pendjari, dans le nord du pays, l’un des derniers sanctuaires de la vie sauvage en Afrique de l’Ouest.

Une zone qui, aujourd'hui, est expressément citée par le site du Quai d'Orsay comme à éviter : "Il est formellement déconseillé de se rendre dans les zones frontalières du Burkina Faso, y compris les parcs nationaux de la Pendjari et du W". Mais cette consigne ne date que d'une mise à jour effectuée le 10 mai, justement à la suite de ce terrible événement.

Auparavant, une simple recherche dans les archives du site du ministère montre que la Pendjari n'avait jamais été citée, comme l'affirme aujourd'hui le ministre, comme "une zone où il ne faut pas aller". Ainsi, en novembre 2018, seul le parc W - bien plus au nord-est - était désigné, et la zone rouge de la carte du quai d'Orsay n'englobait absolument pas la Pendjari :

En avril dernier, soit un mois avant l'enlèvement des deux Français, la frontière avec le Burkina Faso, voisin régulièrement frappé par le terrorisme djihadiste ces trois dernières années et particulièrement en 2018, est teintée de rouge-orangé, sur une carte datée de décembre ("10/12/2018"). Celle-ci n'englobe toujours pas la Pendjari, qui n'est toujours pas citée dans les consignes de sécurité :

Alors, est-ce à dire que c'est le Quai d'Orsay qui a fait prendre des "risques majeurs" aux deux touristes français ? Non, car comme le rappelait vendredi pour LCI Régis Hounkpè, géopolitologue franco-béninois, "le Bénin était jusque-là réellement absent de la cartographie de ce type d’événement alors que ça fait plusieurs décennies que certains pays limitrophes comme le Niger, le Burkina Faso et plus loin le Mali en sont tristement plutôt coutumiers". Et l'expert de rappeler que s'"il y a régulièrement des alertes concernant le Bénin", celles-ci "sont classiques. Il ne s'agit pas plus que de recommandations à l’égard des touristes français qui se voient rappeler que c’est un pays paisible mais qu’il faut quand même d’être vigilant".

Le Bénin développait le tourisme dans la Penjdari

D'où le choc des Béninois, rapporté par RFI, et leur inquiétude quant aux effets que ce drame aura sur leur économie : "Le fleuron du tourisme béninois, c’est ce parc animalier qui est le plus grand de toute l’Afrique de l’Ouest".

Le parc de la Pendjari faisait d'ailleurs l'objet d'une attention sécuritaire particulière, le président du Bénin élu en 2016 en ayant fait un chantier prioritaire de développement du tourisme, troisième pourvoyeur d'emplois du pays, comme le rapportaient en janvier 2018 plusieurs articles dont, sur le site du Point, celui-ci intitulé : "Au nord du Bénin, le parc national de la Pendjari reprend vie". "Nous travaillons sur six projets à travers le pays, et pour l'instant la Pendjari est le plus avancé", y expliquait le directeur du parc. Avec son plan pour le tourisme, le gouvernement comptait en tout "créer 100.000 emplois en dix ans et attirer un million de visiteurs d'ici 2021" et avait pour cela, complétait Jeune Afrique créé notamment dans la Pendjari, "en août 2017, une brigade spéciale composée de rangers et d’opérateurs radio chargée de la sécurité".

La menace venant du Burkina Faso est prise très au sérieux par le gouvernement du Bénin qui a envoyé à la frontière le 18 avril, soit deux semaines avant l’enlèvement des deux Français, environ 1.000 soldats pour sécuriser la frontière et notamment, comme le rapportent les médias béninois "empêcher de présumés djihadistes d’opérer sur le territoire béninois" : "Alerté sur le risque de voir ces djihadistes se replier sur le territoire béninois, le gouvernement a opté pour une méthode préventive".

Le guide des deux Français sauvagement assassiné après leur enlèvement, Fiacre Gbédji, n'était donc pas plus inconscient qu'eux en faisant de la visite du parc son gagne-pain.

*et non plus ministre de la Défense, comme indiqué par erreur dans un premier temps, qui était la fonction de Jean-Yves Le Drian sous François Hollande

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne