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1915-1935 : Alice Milliat, militante du sport féminin

RetroNews Sportsdossier
par Gilles Dhers
publié le 11 mai 2019 à 14h19

Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur un épisode de l’histoire du sport tel que l’a raconté la presse de l’époque. Ce samedi : 1915-1935, le combat d’Alice Milliat pour le sport féminin.

Un entrefilet dans l'Echo de Paris du 14 mars 1919 informe que la Fédération des sociétés féminines sportives de France a nommé à sa présidence Alice Milliat. Cette dernière n'est pas une inconnue. Sportive aux talents multiples, elle milite pour le sport au féminin sur lequel elle écrit des articles, notamment pour l'Auto. Membre du Fémina Sport, l'un des premiers clubs de sports féminins, fondé en 1912 et dont elle deviendra présidente en 1915, elle est notamment une rameuse émérite, capable d'avaler 80 km à la seule force de ses avirons en moins de douze heures. Son parcours l'amène tout naturellement à la tête de la FSFSF, née en 1917 de la réunion de plusieurs clubs féminins omnisports. Elle organise plusieurs compétitions féminines en foot (le premier championnat de France féminin est créé en 1920), athlétisme, basket-ball, hockey. Selon ses biographes, c'est en Angleterre, où elle a vécu quelques années au début du siècle avec son mari, qu'Alice Milliat, aurait découvert les sports, notamment l'aviron et le foot. Fait rare pour une jeune femme de l'époque, son travail d'interprète lui a permis d'effectuer de nombreux voyages, notamment aux Etats-Unis ou en Scandinavie. L'une de ses premières démarches en tant que présidente de la FSFSF sera de demander au Comité international olympique d'inscrire (CIO) des épreuves féminines d'athlétisme aux Jeux de 1920, à Anvers. Fin de non-recevoir. Pierre de Coubertin, président du CIO jusqu'en 1925 et rénovateur des Jeux n'imagine pas y voir des femmes, si ce n'est pour couronner les mâles vainqueurs.

Deux ans plus tard, le 3 novembre 1921, le Matin, sous le titre «Sports féminins: vive l'international», annonce qu'Alice Milliat exporte son combat avec la création d'un Fédération sportive féminine internationale. On apprend au passage que plusieurs autres mouvements revendiquent de s'occuper du sport féminin mais que «la Fédération féminine, que préside avec autorité Mme Milliat, semble se détacher nettement des autres groupes par l'esprit d'organisation et d'initiative que déploient et la présidente et la Fédération. L'une et l'autre viennent de faire constituer la Fédération sportive féminine internationale qui groupe actuellement la Grande Bretagne, la Tchéco-Slovaquie, les États-Unis d'Amérique, l'Espagne et la France… Le siège de cette internationale féminine - la première - a été fixé à Paris.» L'une des tâches de la nouvelle structure sera d'homologuer les records du monde féminin, notamment en athlétisme, puisque femmes et hommes ne cohabitent pas au sein de la même fédération.

Dans un récent article publié dans la Revue d'Histoire, «Alice Milliat et le premier sport féminin de l'entre-deux-guerres», l'historienne Florence Carpentier détaille la stratégie de la FFSI. Son objectif principal «est de prendre le contrôle des compétitions féminines pour échapper à la tutelle des fédérations d'athlétisme (française et internationale) […]. Alice Milliat décide d'organiser des Jeux mondiaux féminins sur le modèle des Jeux olympiques masculins. Son objectif réel n'est pas de créer une compétition parallèle pérenne […] mais de prouver aux dirigeants du CIO les capacités sportives des femmes afin d'être admises dans l'intégralité du programme olympique»…

En 1923, le sport féminin a toujours droit à une place à part dans les journaux ? Dans l'Auto notamment. Dans le numéro du 22 novembre, Alice Milliat livre un plaidoyer pour le basket féminin : «Parmi les sports d'hiver le basket-ball tient une grande place dans l'activité des sociétés féminines […]. Ce sport a conquis les familles et désarmé la presque totalité des antagonistes du sport féminin parce qu'il est gracieux et peut se jouer en tunique. Sans vouloir nous attarder à discuter la valeur de ce dernier argument qui ne peut guère être invoqué que par les esprits superficiels, permettons-nous de dire que les mouvements harmonieux — pour la plupart — exigés par le jeu de basket-ball, cachent un effort souvent très violent… […] Le sport féminin se propage. Bientôt ses derniers détracteurs n'auront plus qu'à disparaître.»

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Si, pour des raisons stratégiques et pour faire progresser son combat, Alice Milliat doit négocier avec la gent masculine qui régente le sport mondial, elle ne transige pas sur un point. Les fédérations sportives féminines doivent être dirigées par des femmes : «Nul plus que moi ne peut désirer pour nos sociétés une direction et un enseignement totalement féminins», «Souhaitons que le sport féminin trouve dans l'élément féminin toutes ses dirigeantes administratives et technique» écrit-elle dans l'Auto en 1924 (propos rapportés par Florence Carpentier).

Infatigable militante du sport féminin, Alice Milliat la défend sur tous les terrains. Ainsi apprend-on dans la Presse du 4 février 1927, que le lendemain, elle délivrera une «causerie» sur le thème : «Les mœurs et les sports. L'avenir d'une race est-il dans la pratique des sports chez la femme ? Les sports peuvent-ils aider à son évolution intellectuelle et sociale ?»

En 1932, Alice Milliat accorde une interview à Match. Elle revient sur la création de la Fédération sportive féminine internationale, «sans aucune aide des groupements masculins - au contraire même.» Mais, surtout, l'initiatrice des Jeux mondiaux féminins plaide pour la création de Jeux olympiques exclusivement féminins, même si, au grand dam de Pierre de Coubertin, les femmes ont finalement obtenu une petite place aux JO de 1928 à Amsterdam et s'apprêtent à participer à ceux de Los Angeles. Pour le CIO, l'admission des femmes est moins une reculade devant leurs revendications d'égalité qu'une possibilité de les mettre sous tutelle d'institutions sportives (Comité internationale olympique et Fédération internationale d'athlétisme notamment), exclusivement dirigées par des hommes. «Il semble que parmi la trentaine de nations de tous les continents composant actuellement la FSFI l'opinion soit unanimement en faveur de Jeux complets exclusivement féminins, déclare Alice Milliat. L'effort féminin ne gagne pas à être mis en comparaison immédiate avec l'effort masculin et il n'est pas niable que dans des réunions mixtes de cette envergure, la femme dépasse parfois les bornes de ses forces physiques.»

La lecture du Petit Marseillais du 22 mai 1933 est édifiante quant au regard porté sur le sport féminin. Il n'est pas un moyen d'émancipation, plutôt un moyen de faire des femmes de bonnes mères. Un argument utilisé par Alice Milliat dans son combat, moins par conviction que pour des raisons stratégiques et opportunistes pour promouvoir ses idées. «Si l'on considère le sport comme un moyen d'amélioration de la race, n'est-ce pas à la femme d'abord qu'on doit le faire pratiquer, argumente-t-elle dans une interview aux Cahiers de la République des lettres des sciences et des arts en 1927, cité par Florence Carpentier. Soyons logique : au lieu de "rééduquer" un enfant de quinze ans malingre et chétif […] ne vaut-il pas mieux prendre le mal à la racine et rendre la femme capable d'avoir des enfants solides ?»

Dans le Petit Marseillais, cela donne ceci : «En France, on n'a pas encore compris que, loin de nuire au développement de l'esprit, un bon équilibre physique ne peut que le servir, écrit le journal. Il est cependant si simple d'arriver à ce résultat en éduquant physiquement la jeune fille, future maman, qui elle-même transmettra la tradition à tous les siens et donnera au foyer l'atmosphère heureuse créée par la santé et la bonne humeur.» Ce préambule pour annoncer qu'Alice Milliat lance une souscription pour la FFSF : «Pour créer ces terrains qui manquent totalement à l'éducation physique féminine, la Fédération Féminine Sportive de France (reconnue d'utilité publique), organise une souscription nationale placée sous le haut patronage du président de la République, du ministre de l'Education Nationale et du sous-secrétaire d'Etat à l'éducation physique… Enfin, innovation heureuse, chaque souscripteur recevra une prime lui permettant de bénéficier d'un avantage appréciable s'il désire s'attribuer un bon de capitalisation remboursable à mille francs… Aidez-nous, c'est vous aider vous-mêmes, c'est aider le pays, tel est l'appel que vous adresse Mme Alice Milliat, présidente de la Fédération Féminine Sportive de France.»

Car en ce début des années 1930, les finances de la FFSF, sont dans le rouge vif. Et, alors qu'elle va quitter la présidence de sa fédération, le combat d'Alice Milliat n'est pas gagné. L'ambivalence de la société française à l'égard du sport féminin apparaît clairement dans l'Echo de Paris du 7 mars 1935. Le journal déplore tout à la fois, sous la plume d'une femme, l'évolution du sport féminin et le départ de celle qui en fut la plus ardente militante. «Nous sommes plus que quiconque pour le sport féminin mais… pour le vrai sport féminin. Est-ce parce qu'une femme fait du sport qu'elle doit se croire obligée de se coiffer, de se vêtir, de se mouvoir exactement comme un homme ? Pourquoi au contraire, bien que pratiquant les mêmes sports que nos frères, ne pas garder un peu de notre physique féminin et pourquoi ne pas laisser une impression favorable au grand public en se présentant en "femme", c'est-à-dire, avec notre attribut traditionnel : la courte jupe plissée.» Et, quelques lignes plus loin, la journaliste d'écrire : «Une importante nouvelle nous a été réservée cette semaine : Mme Milliat a annoncé qu'elle prendrait sa retraite après la prochaine assemblée générale du 24 mars prochain. Dans 18 jours, la FFSF n'aura donc plus de présidente — Si l'on peut faire certains reproches à Mme Alice Milliat on doit reconnaître qu'elle a été une animatrice convaincue. Trouvera-t-on une femme capable de lui succéder ? Et surtout de relever les finances de la Fédération ? Nous en doutons pour le moment du moins…»

Suite et fin de l'histoire. Quand Alice Milliat, quitte le mouvement sportif, quatre jeux mondiaux féminins ont été organisés entre 1926 et 1934. Mais le CIO et la Fédération internationale d'athlétisme, en la personne de Siegfried Edström (son fondateur suédois qui la présidera jusqu'en 1946 et membre de la commission exécutive puis président du CIO entre 1921 et 1952) ont réussi à étouffer le mouvement en le vampirisant. Alice Milliat retourne à son travail de sténo-interprête. «Au milieu des années 1930, la FSFSF s'éteint faute d'argent, tandis que la fédération internationale et les Jeux mondiaux disparaissent pendant les Jeux olympiques de Berlin en 1936, piégés par le puissant dirigeant Edström, écrit Florence Carpentier. Vingt et un ans plus tard, Alice Milliat décède à Paris, le 17 mai 1957, dans l'anonymat puisque même sa pierre tombale, retrouvée par André Drevon (auteur d'une biographie d'Alice Milliat, ndlr) dans un cimetière de Nantes, ne porte aucun nom.»

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