politique

Des femmes soudanaises nous ont parlé de leurs révolutions

Plusieurs participantes aux récents rassemblements parisiens nous ont raconté l’oppression que vivent les femmes au Soudan et le racisme qui divise leur communauté.
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Ikhlass. Photos: Théo Englebert 

« S’il y a un état laïc, est-ce qu’une femme pourra devenir présidente ? Non, parce que les femmes soudanaises n’ont aucun droit », s’insurge Ikhlass, 31 ans. Majoritaires dans le soulèvement, les femmes avancent en première ligne des manifestations qui secouent le Soudan depuis quatre mois. Au cours des rassemblements parisiens, des protagonistes féminines du mouvement ont raconté à VICE pourquoi elles se sont engagées. Elles témoignent de l’oppression dont les femmes soudanaises veulent se libérer, mais aussi d’un profond racisme qui exclut les femmes des régions les plus éloignées de la capitale.

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Jeudi 11 avril, l’armée a pris les commandes du Soudan et Omar el-Béchir, qui dirigeait le pays depuis 1989, a démissionné. Pendant quelques heures, les Soudanais ont retenu leur souffle pour finalement déchanter. C’est un coup d’État de l’aile dure du régime, suivi d’un second quelques jours plus tard.

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Hala Babikir

Pour Hala Babikir qui a déjà vu quatre coups d’État, l’événement a un goût amer. « Je viens d’une famille politiquement engagée. Mon père a été exécuté par l’ancien régime de Nimeiri ». Elle est étudiante lorsque le régime du dictateur Nimeiri tombe en 1985. L’éphémère démocratie soudanaise lui permettra de faire ses études et de réussir les concours de diplomate. Mais l’espoir du peuple soudanais et les aspirations de Hala sont douchés par l’arrivée des islamistes en 1989. Halla a vu s’installer le régime actuel de ses propres yeux.

Hala, qui rentre alors d’un séjour universitaire en France pose le pied dans une dictature religieuse. « Beaucoup de choses avaient changé. Les femmes étaient licenciées en majorité, que ce soit au ministère des Affaires étrangères ou ailleurs. Les islamistes nous ont virées », raconte-t-elle. Hala ne peut pas se résoudre à vivre sous la coupe des islamistes et en 1992, elle quitte le Soudan. « Je suis revenue en France en me disant que j’allais finir mes études et rentrer. Pour moi, cette situation n’allait pas durer. Sauf que ça fait 27 ans. J’ai vécu plus de la moitié de ma vie ici ». Désormais franco-soudanaise elle est élue municipale à Créteil (94). Elle participe à tous les rassemblements de la diaspora. Avec la révolution, elle nourrit l'espoir de revoir un jour le Soudan.

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Nihad Siddig

De son côté, la jeune génération excédée par le régime islamiste ne compte pas se résigner. « J’espère voir un Soudan avec des droits égaux pour les hommes, les femmes et tout le peuple soudanais. Une vie de dignité et de liberté. Nous avons les capacités et la passion pour construire notre pays », revendique pour sa part Nihad Siddig, 31 ans, originaire de Khartoum. « Je n’ai connu qu’Omar el-Béchir. Je n’ai jamais participé aux élections parce que je connaissais le résultat en avance », s’épanche-t-elle.

« Je peux aider à faire avancer le travail en publiant des informations sur Facebook par exemple. C’est interdit. Si je publie quelque chose au Soudan, je suis tout de suite arrêtée » – Nihad

La jeune ingénieure a rejoint L’Association des professionnels soudanais (APS) qui joue un rôle majeur depuis le début du soulèvement au Soudan. Pour une femme, cet engagement peut avoir de terribles conséquences. « C’est très dangereux pour les femmes. Tous les activistes sont arrêtés et torturés, mais pour les femmes il y a aussi le harcèlement sexuel dans les paroles et les actes ».

Au Soudan, la mobilisation a connu une courte accalmie après la promulgation de l’état d’urgence en février dernier. En Europe, où les réfugiés soudanais sont nombreux, la diaspora a pris le relais. « Je peux aider à faire avancer le travail en publiant des informations sur Facebook par exemple. C’est interdit. Si je publie quelque chose au Soudan, je suis tout de suite arrêtée », explique Nihad.

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Thoeibia était médecin à Khartoum

Dans l’hexagone, les activistes peuvent s’exprimer. « Avec un petit groupe, on a réuni les informations pour écrire un article sur Wikipedia et on l’a traduit en anglais, en français, en russe, en espagnol et même en chinois », raconte-t-elle fièrement. Dans les rues de Paris, les opposants en exil les plus déterminés se sont mobilisés pendant des semaines malgré l’indifférence générale.

L’engagement des Soudanaises est surtout féministe. La domination masculine étouffe les jeunes femmes autant que le régime. « La communauté est une communauté des hommes au Soudan. Si ce n’est pas le mari qui décide, c’est le père, ou la famille, ou encore la communauté qui va juger les femmes… Donc il y a beaucoup de barreaux », explique Nihad. Ikhlass, qui participe également au mouvement de contestation, partage son constat. « Une femme au Soudan peut vouloir travailler ou faire des études, mais finalement elle restera à la maison à s’occuper des enfants », déplore-t-elle. « Elle n’a pas le droit de parler de politique ni de dire ce qu’elle pense. Elle ne peut pas dire qu’elle est fatiguée, malade ou qu’elle a besoin de quelque chose ».

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Nagat est un pilier du féminisme soudanais à Paris.

« Les femmes doivent pouvoir décider toutes seules », affirme Nihad. Elle illustre son propos avec sa propre histoire. « Ce n’était pas facile de venir en France pour moi parce que je suis une femme mariée et que j’ai un enfant. Mon mari n’était pas d’accord, mais à la fin je me suis imposée et j’ai fait ce que je voulais », raconte-t-elle. Nihad avait travaillé cinq ans comme ingénieur avant de venir poursuivre ses études dans l’hexagone en 2015. Le jeu en vaut la chandelle. Nihad sort seconde de sa promotion à la prestigieuse école Centrale de Nantes. Elle poursuit à présent un doctorat à l’université du Havre.

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« Je veux dire à toutes les femmes et toutes les filles qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent. Parce que moi j’ai dit non et j’ai décidé de venir ici avec mon enfant », clame l’ingénieure qui fait des émules au Soudan. Si Nihad a su faire triompher sa volonté dans une société extrêmement conservatrice, c’est aussi grâce à sa position sociale. « Je viens d’une famille ouverte d’esprit. J’ai été bien éduquée, je sais que j’ai la capacité d’apprendre et de travailler », concède-t-elle. Mais toutes les Soudanaises n’appartiennent pas aux classes aisées de la région de Khartoum.

Parmi ces activistes à la pointe de la contestation, certaines privilégiées demeurent plus audibles. « Avec leur révolution, les femmes qui vivent dans les montagnes de Nuba et au Darfour n’auront pas plus de libertés, elles ne pourront toujours pas dire non au mariage, finir leurs études et choisir un travail… », s’indigne Ikhlass. Les Soudanaises plus démunies socialement sont victimes de racisme et marginalisées. « On a un problème au Soudan entre les gens riches et les noirs », constate-t-elle.

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Dans un pays rongé par le racisme depuis des décennies, certaines se sentent mises de côté. « Il y a beaucoup de femmes de Nuba et du Darfour qui ont des choses intéressantes à dire sur la grève et la révolution. Mais les médias français ne vont pas leur poser de question », s’agace Ikhlass. Pour elle, la révolution est confisquée par les riches habitantes de la capitale et les privilégiées de la diaspora. « On ne choisit que des femmes de Khartoum qui étaient riches et qui sont venues en avion avec un VISA. Elles n’ont pas eu de problèmes, elles n’ont pas traversé la mer sur un bateau pour demander l’asile ».

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« Si le régime tombe et que le pays devient laïque, il faudra dire aux hommes que les femmes ont le droit de faire des choses pour elle-même » – Ikhlass

Ikhlass a d’abord quitté le Soudan pour se rendre au Liban. Sur place, elle s’engage auprès du Haut commissariat pour les réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Arrivée en France en 2015 où elle prépare un bac pro Pilote de ligne de production (PLP), elle a rejoint plusieurs associations. « Maintenant, je cherche comment je vais aider les femmes quand je retournerai au Soudan. J’ai besoin de comprendre exactement comment les associations aident les femmes en Europe », explique-t-elle, déterminée.

L’engagement d’Ikhlass ne relève pas d'un caprice, elle tient à faire la révolution. Elle compte bien tirer profit de son exil européen. « Si le régime tombe et que le pays devient laïque, il faudra dire aux hommes que les femmes ont le droit de faire des choses pour elle-même ».

L’oppression que subissent les Soudanaises dépasse les frontières. « Les hommes continuent de faire la même chose ici en France. D’ailleurs, ils ne laissent pas leurs femmes venir aux manifestations », constate Ikhlass. À présent, la jeune femme des montagnes de Nuba envisage aussi de s’attaquer à ce problème. « Je suis prête à aller taper à la porte de celles qui sont enfermées chez leur papa pour qu’elles aillent prendre leurs libertés, demander la nationalité française et reprendre des études ».

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