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Le troisième jardin botanique de France menacé par un projet de viaduc

Pour rénover son unique voie de tram, la métropole du Grand Nancy projette la construction d’un viaduc, qui amputerait le jardin botanique Jean-Marie Pelt. Comme l’explique l’autrice de cette tribune, ce projet n’a jamais été soumis à la consultation de la population alors que des solutions alternatives ont été proposées.

Françoise Clerc est retraitée de l’enseignement supérieur, passionnée de jardins et visiteuse assidue du jardin botanique Jean-Marie Pelt.


Baptisé en 2016 jardin Jean-Marie Pelt, le jardin botanique du Montet, à Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle) est depuis 1976 le troisième jardin botanique de France. Il abrite 12.000 espèces sur 35 hectares et 2.500 mètres carrés de serres tropicales. Il accueille des plantes rares et/ou menacées, des plantes insolites, un conservatoire de variétés anciennes, notamment issues des collections de Victor Lemoine, célèbre pépiniériste nancéien, dont les créations sont encore considérées comme parmi les plus importantes par les horticulteurs contemporains. Le jardin a, entre autres, une superbe collection de lilas, de pivoines, d’iris et de fuchsias qui ravissent les visiteurs au fil des saisons. Il accueille environ 100.000 personnes par an car il est considéré comme un lieu de promenade exceptionnel dans un vallon calme et parfaitement exposé. L’équipe du jardin propose en outre des animations et des expositions appréciées. Aux Journées du patrimoine, on peut voir de magnifiques herbiers anciens qui y sont entreposés et entendre des commentaires sur l’évolution de cette technique au cours du temps.

Mais un projet de viaduc pourrait entraîner la destruction de la pépinière, du verger et de l’amputation de la prairie lorraine.

La métropole du Grand Nancy envisage de rénover l’unique ligne de tram de la métropole qui dessert de plateau de Brabois. Sur le parcours se trouvent notamment des bâtiments de l’université de Lorraine et le CHU mais aussi, non loin, un technopôle très actif. Cette ligne a donc bien besoin d’une rénovation en raison de sa fréquentation mais aussi parce qu’elle a connu de multiples incidents du fait d’une conception inadaptée des voitures par Bombardier et d’un parcours accidenté en site partagé avec les voitures. Une concertation publique a été organisée par la métropole en 2017 et 2018, au cours de laquelle plusieurs possibilités ont été envisagées. Trois tracés ont été présentés, dont l’un prévoyait un tunnel sous le jardin Jean-Marie Pelt. Ce dernier tracé a été d’emblée écarté tant il semblait fantaisiste et n’a pas été véritablement discuté. Deux solutions parfaitement viables techniquement semblaient retenues pour accéder au plateau sans rupture de charge au niveau du rond-point du vélodrome à Vandœuvre-lès-Nancy.

À quoi servent les consultations puisque les élus peuvent s’asseoir sur les avis des participants venus nombreux 

Or, le 14 décembre 2018, le conseil métropolitain de Nancy a sorti de son chapeau un viaduc traversant la partie haute du jardin botanique : 335 mètres de long, 15 mètres de hauteur et 12 mètres de large. Le coût estimé est de 100 millions d’euros pour ces 335 mètres, qui doit être comparé aux 442 millions pour les 15 kilomètres de l’ensemble du tracé.

Ce projet de viaduc qui n’a été ni présenté ni discuté lors des consultations entraînerait, s’il était retenu, des dommages inacceptables sur le jardin botanique Jean-Marie Pelt. Problème : le jardin est cogéré par le Grand Nancy et l’université de Lorraine. À l’amputation du jardin, il faut ajouter dix expropriations et une gêne considérable pour les habitants d’un lotissement d’environ deux cents maisons (passage du tram à quinze mètres de haut, soit un immeuble de trois à quatre étages, et à soixante mètres des maisons les plus proches).

D’après le dossier de presse, le viaduc traverserait cette partie du jardin

À quoi servent les consultations puisque les élus peuvent s’asseoir sur les avis des participants venus nombreux — car l’unique ligne de tram intéresse forcément la population nancéienne — et décider unilatéralement de défigurer un patrimoine environnemental exceptionnel ? Le cas n’est pas unique. Mais celui-ci est exemplaire. Dès le début de l’histoire du tram, il lui a fallu composer avec la voiture : pas d’implantation en site propre, renoncement à l’ouverture de nouvelles lignes, coûteuses il est vrai, mais surtout gênantes pour les vaches sacrées que sont devenues les voitures dans l’agglomération de Nancy (stationnement sur les trottoirs, excès de vitesse non verbalisés, passages piétons peu respectés, etc.). En revanche, les îlots de verdure et les parcs (nombreux à Villers-lès-Nancy, mais qui peut s’en plaindre) sont progressivement défigurés par des aménagements non respectueux ou la vente par parcelles à des promoteurs (une partie du parc et le château de Rémicourt). Il a fallu, par exemple, attendre la tempête de 1999 pour qu’enfin l’agglomération entreprenne la remise en état du parc de Brabois, laissé en friche et dont les grands arbres en mauvais état et mal entretenus n’ont pas pu résister au vent.

Certes le tram, malgré ses gros défauts, représente un progrès indiscutable pour les déplacements quotidiens. Le jardin botanique Jean-Marie Pelt a, comme d’autres jardins du même genre, l’immense mérite d’allier savoirs savants et loisirs populaires. Mais il est malhonnête de faire croire qu’il existe une concurrence entre la défense du patrimoine et le développement des transports en commun. Des alternatives existent qui nous ont été présentées et qui ont l’avantage d’un moindre coût. L’habitant moyen de l’agglomération nancéienne a le droit de s’interroger sur les motifs cachés du vote de décembre 2018.

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