Arthur Chevallier - Trump et Bolsonaro, ces fossoyeurs de l'esprit

CHRONIQUE. Le mépris des présidents américain et brésilien pour la culture est une déclaration de guerre à la civilisation du livre. L'Europe doit réagir.

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Jair Bolsonaro et Donald Trump multiplient les attaques contre la vie intellectuelle.

Jair Bolsonaro et Donald Trump multiplient les attaques contre la vie intellectuelle.

© JIM WATSON / AFP

Temps de lecture : 4 min

Les imbéciles prêchent la vulgarité avant d'imposer la barbarie. Ils raillent ce qu'ils s'apprêtent à détruire et moquent ceux qu'ils s'apprêtent à tuer. Face à l'intelligence, la brutalité n'est pas un choix, mais un expédient. Ainsi Jair Bolsonaro, président du Brésil, multiplie-t-il les attaques contre la vie intellectuelle. Sa décision, confirmée le 26 avril, de diminuer les budgets alloués aux sciences sociales et aux humanités est l'aboutissement d'une passion pour la destruction qu'il avait, dès sa campagne, dévoilée. Cette attitude rappelle celle de Donald Trump qui, dès la fin de l'année 2017, annonçait la suppression de subventions pour des théâtres, des cours de musique, de danse, d'ateliers de lecture, etc., que l'État finançait afin que des personnes défavorisées y aient accès. Bolsonaro et Trump présentent ces réformes comme « rationnelles ». Elles sont, en fait, le seul remède à leur ignorance. Parce qu'ils ne comprennent rien à la vie de l'esprit, ils en veulent la mort.

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« L'autodafé de l'esprit » est une expression employée par Joseph Roth dans un article paru en 1933, où l'auteur de La Marche de Radetzky montre comment le Reich s'en prenait aux écrivains, notamment juifs, parce qu'ils incarnaient la liberté : « Il n'y avait de libres et d'indépendants, donc de révolutionnaires dans le vrai sens du mot, que les écrivains véritables. » Les éditions Allia publient, en un volume, ce texte bouleversant et combatif, écrit par un des plus grands auteurs du XXe siècle.

Avant d'être une défaite politique, l'effondrement de la social-démocratie en Allemagne est une défaite de la pensée.

D'après Joseph Roth, le règne de la bêtise porté par le IIIe Reich ne saurait être attribué à Adolf Hitler, un crétin, certes, mais d'abord un opportuniste dont les propos n'auraient pas eu un écho semblable dans un pays civilisé. L'Allemagne des années 1920 et des années 1930 portait en elle un monstre conçu par un État méchant, traître et hostile à la France : la Prusse. Obnubilés par le charme de la république de Weimar (1918-1933), les commentateurs n'ont pas remarqué qu'un régime humaniste et cultivé ne pouvait pas, en quinze ans, conjurer un demi-siècle de militarisme dont les Hohenzollern, une dynastie de bouffons à pointes, s'étaient fait les promoteurs. « Hitler n'effraye le monde européen que parce qu'il a eu l'audace d'accomplir ce que la Prusse avait toujours projeté, à savoir brûler les livres, assommer les juifs, fausser le christianisme. » Et d'ajouter qu'Hindenburg, admiré par les Allemands pour sa probité et son courage lors de la Première Guerre mondiale, président à qui on doit la nomination de Hitler à la chancellerie, était fier de reconnaître publiquement que « de (s)a vie il n'avait jamais lu de livre ». Ah, comme on l'aime, cette Allemagne philosophe et romantique, amie du genre humain…

Joseph Roth, juif et réfugié à Paris, opère une distinction entre « l'Europe », continent où ont prospéré le christianisme et les Lumières, et ses « ennemis », les païens, les incultes, les insatisfaits qui, parce que la vie leur a résisté, ont souhaité la détruire. Un autre écrivain, Curzio Malaparte, dans Technique du coup d'État, identifiait lui aussi la jalousie comme trait commun des tyrans. Avant d'être une défaite politique, l'effondrement de la social-démocratie en Allemagne est une défaite de la pensée. Avec application et minutie, les nazis ont accusé la littérature, la psychanalyse, la philosophie et l'histoire d'être à l'origine d'une décadence morale. Sigmund Freud, Thomas Mann, Klaus Mann, Rainer Maria Rilke, Hugo von Hofmannsthal ou encore Stefan Zweig, Allemands ou Autrichiens, ont été réprouvés. Quant aux autres, une statistique révélée par Roth résume leurs convictions : Hans Carossa, héros de la Première Guerre mondiale et écrivain au talent incontestable, est le seul écrivain allemand non juif qui a refusé de faire partie de l'Académie du IIIe Reich.

Imaginer Donald Trump et Jair Bolsonaro en train de deviser sur la culture revient à imaginer deux illettrés en train d'enseigner l'alphabet. Leur mépris pour l'art et l'intellect n'est pas une simple anecdote, mais une déclaration de guerre à la civilisation du livre dont l'Europe est gardienne et dépositaire. La moindre complaisance à l'égard des fossoyeurs de l'esprit laisserait croire aux barbares qu'ils pourraient agir dans l'impunité. Si l'Union européenne est prompte à répondre, en moins de vingt-quatre heures, à des provocations douanières des Américains, elle est en mesure de défendre la civilisation sur laquelle elle prétend se fonder.

Références :

Joseph Roth, L'Autodafé de l'esprit, Paris, Allia, 2019.

Curzio Malaparte, Technique du coup d'État, Paris, Grasset, Les Cahiers rouges, 2008.

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Commentaires (24)

  • chicago51

    Les rédactions de grands médias comme le Point sont infiltrées par des journalistes d’extrême gauche qui ne donnent aucune information récente mais utilisent leur contrat de travail pour disserter sur des amalgames. Bolsonaro et Trump sont leur cible favorite. Ce qu’ils oublient c’est que ceux qui les lisent sont mieux informés qu’eux et que leur basse propagande personne n’y croit plus. Trump est loin d’être parfait, Bolsonaro a remplacé un régime socialiste et corrompu. Ils n’ont déclaré de guerres à personne. Les ONG bien pensantes ne supportent pas leur remise en cause et sont prêtes à tout pour continuer à exister.

  • Bastogne2

    Qu'il a fait expulser Battisti vers l'Italie, et là, on appris que cet assassin ayant reconnu ses crimes a aussi dénoncé l'"intelligentsia" gaucho-caviardesque qui l'avait soutenu, surtout en France, et avait fait reculer tous les gouvernements qui l'auraient volontiers livré à la justice italienne. Tous ces grands penseurs affirmaient sans rire qu'il était innocent, en rédemption grâce à sa production "intellectuelle" (des romans policiers)... Et ne s'étaient absolument pas posé la question : "est-il coupable ? ".

    (trois morts et un gamin de 15 ans paraplégique... )

    Un "intellectuel de gauche peut-il être coupable d'ailleurs ? Même Battisti trouvait ça un peu cocasse...

    Mitterrand avait bien annoncé que jamais il ne ferait expulser Battisti.

    Merci à Bolsonaro d'avoir mis fin à ce scandale.

  • Filou60

    Le Point veut jetter l'enfant avec l'eau du bain. Cela a commencé avec Trump et se poursuit avec Bolsonaro.
    Il est politiquement justifié de partir en guerre contre des disciplines universitaires marxisées comme la sociologie au Brésil ou en France. De nouvelles générations font semblant d'oublier les terribles effets du stalinisme et de la dictature communiste au XX ème siècle. Cela vaut aussi pour Melenchon et sa " planification " écolo.
    La technique de l'amalgame pratiquée dans un tel article est intellectuellement peu correcte.