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Kazakhstan : les autorités locales veulent du pétrole, les villageois de l’eau

Du pétrole ou de l’eau. Un scandale a éclaté dans une région occidentale du Kazakhstan disposant de réserves significatives de pétrole.  Les habitants d’un village empêchent la prospection d’or noir à proximité d’une source d’eau potable, la seule dans tout le district.  Les autorités locales tentent, en vain, de les convaincre.

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"Ce bois est notre oasis. À un mètre ou un mètre et demi de profondeur, l’eau est plus pure que celle en bouteille " affirme Alimjan.

Du pétrole ou de l’eau. Un scandale a éclaté dans une région occidentale du Kazakhstan disposant de réserves significatives de pétrole.  Les habitants d’un village empêchent la prospection d’or noir à proximité d’une source d’eau potable, la seule dans tout le district.  Les autorités locales tentent, en vain, de les convaincre.

Novastan reprend et traduit ici un article publié initialement par Fergana News.

Les habitants d’un village kazakh du district d’Oiyl, situé dans la région d’Aktioubé dans l’ouest du pays, se battent pour préserver une oasis et un accès à de l’eau potable. Leur région est une des plus riches en hydrocarbures et les autorités locales espèrent en tirer profit. Face à cette volonté, les villageois luttent et ne se laissent pas convaincre par les arguments utilisés par leurs élus. Selon ces derniers, l’exploitation du pétrole ira de pair avec le développement des nouvelles technologies dans la région.

La situation est complexe et tendue entre les villageois, les autorités, au premier rang desquels le gouverneur de la région Berdibek Saparbaïev, et la société kazakhe « Firme ADA », en charge de la prospection. Le journaliste du site d’informations indépendant Fergana News rappelle dans un article paru en février dernier que cette région a déjà connu des protestations semblables par le passé. Entre eau potable et pétrole, l’opposition perdure.

Une oasis au milieu du désert

Le district d’Oiyl tire son nom de la rivière Oiyl, qui coule dans ces zones désertiques et semidésertiques. C’est là que se trouve une oasis boisée, objet de la discorde. « A l’origine, nos ancêtres ont planté une pinède, pour enrayer la désertification de l’endroit. Les pins ont poussé, et atteignent à présent une hauteur de 15 mètres » explique Maksat Karbelov, un habitant du village.

L’endroit porte le nom de Barkine. En été, les habitants y cueillent des baies, certains installent des ruches et en récoltent le miel. Des fosses sont creusées dans le sable blanc du bois de Barkine, formant des puits artésiens et approvisionnant en eau potable la population locale, non seulement au centre du district, mais dans tous les villages environnants. Certains puits sont même utilisés pour l’irrigation.

« Le district d’Oiyl est aride. L’année passée, il n’a sans doute plu que deux fois. Ce bois, c’est notre oasis. À un mètre ou un mètre et demi de profondeur, l’eau est plus pure que celle en bouteille », affirme fièrement Alimjan, un habitant de l’endroit.

Le pétrole va-t-il contaminer l’eau ?

Dans le courant de l’automne 2018, il est apparu que la seule source d’eau potable était menacée.  Un jour, les habitants ont découvert un trou blanc à un endroit qui était jusqu’alors boisé. « Nous nous sommes rendus compte que des ouvriers avaient commencé à  nettoyer le site, et nous avons compris plus tard que c’était en vue de son exploitation », poursuit Maskat Karbelov. Les villageois ont alors lancé l’alerte. Ils ont découvert que des travaux d’exploration du pétrole avaient commencé subrepticement.

C’est la société kazakhe « Firme ADA », qui effectuait alors les travaux de prospection. Les prospecteurs étaient déjà venus à Oiyl en 2017. À l’époque, ils assuraient que les travaux auraient lieu à 40 km de Barkine. En réalité, les choses se sont passées autrement, ce qui a poussé les villageois, inquiets, à se plaindre auprès de l’akim, le chef de district. « Nous ne voulons pas permettre de pollution écologique. Nous ne voulons pas que des produits chimiques de toutes sortes contaminent l’eau que nous buvons. Dans le monde, il y a un déficit d’eau douce : pourquoi faut-il nous priver d’eau par l’exploitation pétrolière ? Et, plus généralement, si l’on regarde la carte de la région d’Aktioubé dans sa totalité, on peut voir qu’il n’y a que quelques zones boisées. Et il y a suffisamment d’autres territoires disponibles dans le district », s’indigne Alimjan.

Le territoire où se trouvent les ressources en eaux souterraines représente moins de 4% de la superficie totale du district d’Oiyl, et les habitants ne comprennent pas pourquoi on a décidé d’extraire du pétrole précisément à cet endroit. Certains d’entre eux supposent que les investisseurs ont choisi le lieu pour des raisons de commodité, proximité des routes et de localités. Les militants les plus actifs ne se sont pas limités à se plaindre auprès des autorités locales et se sont adressés au département de l’écologie de la région d’Aktioubé.

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Interrogé sur le sujet, le directeur adjoint du département, Erbolat Kojikov, a déclaré à l’agence de presse Fergana que « suite à cette demande, nous avons procédé à une vérification des activités de la firme ADA. Les documents relatifs au projet ont été analysés, à commencer par les contrats. Il a été établi que cette entreprise ne possédait au moment de la vérification aucune preuve écrite d’un accord ou d’une approbation des autorités locales portant sur la parcelle visée par le projet ».

Selon le directeur, le projet de forage de puits d’exploration mentionnait certaines coordonnées, et la prospection a eu lieu à un tout autre endroit, à la périphérie des sables de Barkine, « s’ils changent les coordonnées, ils doivent changer tout le projet. Cela fait une grande différence, si le projet est situé à trois kilomètres d’une localité, plutôt qu’à cinq. La proximité de sources souterraines, associée à d’autres facteurs, change la nature du projet.  Par conséquent, dans cette situation, un nouvel accord des autorités était nécessaire », précise-t-il.

Comme la compagnie ne disposait pas des documents d’autorisation portant précisément sur l’endroit où elle comptait effectuer des forages, elle a reçu l’ordre de mettre un terme au projet et de procéder à l’assainissement de la parcelle.

Les villageois avaient gagné, semblait-il

Il semblait que l’akimat, l’administration du district d’Oiyl, avait écouté les habitants, puisqu’elle avait publiée un communiqué de presse pour signaler qu’elle avait donnée instruction à la firme ADA de cesser les travaux à cet endroit, tout en continuant la prospection sur d’autres sites.  Toutefois, le même communiqué de presse comportait le passage suivant « pour ces recherches, l’entreprise utilise de nouvelles technologies, qui ne causent pas de dommages à l’environnement et aux réserves d’eau potable, et, pour examiner la légalité des travaux de prospection déjà effectués, un groupe de travail a été créé, composé d’anciens, d’enseignants et d’habitants, de même qu’un groupe de monitoring ».

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Cette partie du communiqué est passée inaperçue, malgré les informations importantes qu’elle contenait. Les habitants ont fêté leur victoire et poussé un soupir de soulagement. Ils ont également remercié l’akim du district pour s’être rangé à leur position.

Les investisseurs ont rassemblé leurs instruments et sont partis. Leur départ n’a pas plu au gouverneur de la région d’Aktioubé, Berdibek Saparbaïev. En janvier dernier, lors de la session élargie de l’akimat, il a interpellé l’akim du district d’Oiyl, Dastan Saguirov, et exprimé son mécontentement, « vous n’avez pas besoin de pétrole, de gaz ? Pourquoi ne menez vous pas une enquête auprès de la population ? Sans gaz et sans pétrole à Oiyl, demain, l’économie chez vous ne progressera pas, les conditions de vie de la population ne s’amélioreront pas. Pourquoi l’akim du district ne peut-il pas expliquer cela à la population ? Il entre dans les obligations d’un akim de donner des explications, d’organiser des enquêtes.  L’eau potable sera-t-elle contaminée ou non ? Le pétrole s’infiltrera-t-il dans les eaux souterraines ou non ? Cela, vous ne le savez pas, et ceux qui font du bruit, non plus. Ils crient et disent que demain, on commencera à forer, et qu’il n’y aura plus d’eau.  Il faut inviter des spécialistes, parler avec eux (…).  Que fait l’akim ? Tu es un jeune akim, mais ton travail n’est pas celui d’un jeune akim ». « Nous le ferons » a répondu Dastan Saguirov.

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A l’origine, nos ancêtres ont planté une pinède, pour enrayer la désertification » explique Maksat Karbelov, un habitant du village.

Le gouverneur de la région d’Aktioubé, regardant le jeune akim, a annoncé qu’il se rendrait lui-même dans le district d’Oiyl  et s’adresserait à la population. À la fin du mois de janvier, Berdibek Saparbaïev est effectivement allé à Oiyl et a rencontré la population. Au début de son discours, il a rappelé aux villageois, qu’il ne fallait pas se laisser aller à la paresse ou à l’assistanat, il faut travailler. Il les a appelés à élever des animaux, car l’Etat accorde une aide très importante aux éleveurs, et il a recommandé d’étendre les cultures, de manière à cultiver des légumes et les vendre dans la région voisine de Manguistaou.

Il est ensuite passé au sujet principal : « nous devons rechercher ce qui se trouve sous notre sol : du pétrole, du gaz ou encore autre chose. En premier lieu, nous nous soucions de vous, et veillons à ce que l’eau utilisée par les habitants du village ne soit pas polluée. Jusqu’à présent, les travaux n’ont pas été effectués comme il le fallait. Maintenant, nous donnons instruction de mener les travaux de prospection en utilisant une nouvelle technologie, qui en aucune manière ne doit affecter votre eau. »

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Il a aussi cité l’exemple d’autres pays, qui extraient du pétrole offshore, sans polluer les océans, et a posé la question suivante aux villageois : pourquoi, nous aussi, n’utiliserions-nous pas la même technologie ? « Pour le développement économique du district d’Oiyl, et pour réduire sa dépendance par rapport aux ressources budgétaires fournies par la région et par l’Etat, nous devons utiliser les richesses de notre sous-sol. En effet, nous ne pourrons pas aller loin, si nous nous limitons à l’agriculture. Comprenez-moi bien : je le répète, nous devons trouver une technologie, qui ne crée pas de dommages pour l’homme et pour l’eau » a conclu Berdibek Saparbaïev.

Aux uns, les bénéfices du pétrole, aux autres, la tuberculose

Les habitants de l’endroit ne sont pas d’accord avec le gouverneur de la région. « Nous ne pouvons pas prendre de risques, même si ce risque est de 1 %. Les autorités cherchent à rassurer, en évoquant des technologies spéciales qui empêchent la pollution des eaux souterraines. Mais il y a toujours le facteur humain, je ne suis pas sûr que les ouvriers respecteront toujours les procédés techniques de sécurité. Par ailleurs, nous n’avons que ce bois, que cette eau, et tout autour, il n’y a que le désert » explique Alimjan à Fergana.

Dans l’ensemble, les villageois ne sont pas opposés à la prospection pétrolière dans le district. Ce qui les inquiète, c’est qu’il est prévu de forer trop près du chef-lieu du district, juste à cinq kilomètres. « Nous nous opposons seulement à des travaux sur le territoire où se trouvent le bois et les eaux souterraines » confirme Alimjan.

« Barkine, c’est une création unique de la nature, une oasis longue de 20 à 25 kilomètres, large de 8 kilomètres, dans laquelle des pins, d’autres arbres et des buissons poussent au milieu des sables. Il n’y a rien de similaire, depuis la Caspienne jusqu’à l’Oural. J’estime qu’il faut protéger cette zone en lui accordant le statut de parc national » affirme Maksat Karbelov, un habitant de la zone.

La population locale craint une répétition de la situation que l’on observe depuis de longues années dans le district voisin de Temirsky. Ce site s’enorgueillissait autrefois de la beauté de sa nature. Par la suite, on a commencé à y extraire du pétrole, on a ouvert des puits, construit une petite ville pétrolière. Le pétrole n’a pas enrichi les habitants du district, qui, à défaut d’humer l’odeur de l’argent, ont respiré celle du sulfure d’hydrogène.

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Des puits de pétrole au milieu de la pinède, c’est que craignent les villageois.

Par ailleurs, le pétrole a contaminé l’eau potable. « Jusqu’alors l’eau était si propre chez eux. Là-bas, sur des dunes de sable on trouve les mêmes surfaces boisées. Maintenant, si on laisse reposer un seau d’eau pendant 24 heures, il se forme à la surface une mince pellicule huileuse. Le vent, lorsqu’il souffle depuis les champs de pétrole, irrite les yeux et la peau. Les arbres commencent à dépérir, en raison du fait que l’eau descend des couches superficielles du sol.  Nous ne voulons pas permettre qu’une telle situation se reproduise. Or, c’est l’issue la plus probable. Nous voulons protéger l’environnement et la pureté de l’eau » s’inquiète Alimjan.

Après la rencontre avec le gouverneur de la région, les habitants, mécontents, ont adressé une lettre à la rédaction du journal indépendant Diapason, l’un de ceux qui informent sur le sujet depuis les premiers jours.

« Aux yeux du gouverneur de la région, le problème d’Oiyl, c’est que la population s’oppose au développement de l’exploitation du pétrole dans le district. Ceci a résonné comme un reproche singulier : alors que le district dépend des dotations, on refuse les investissements.  L’Etat a besoin de pétrole, de beaucoup de pétrole.  Il ne pense pas au fait que la population a besoin de nature, d’eau propre, d’air pur pour la génération suivante. Ceux qui cherchent à séduire par de beaux discours sur une vie prospère,  sur les emplois qui seront créés pour les habitants du district, sur l’accès à l’internet à haute vitesse, oublient que l’extraction du pétrole entraînera une dégradation de l’équilibre naturel même si l’on utilise les technologies les plus avancées. En accusant le peuple de ne pas vouloir travailler la terre ou d’élever du bétail, on oublie que des conditions doivent être réunies pour les bergers et les agriculteurs. Ceci doit faire l’objet d’une réflexion à haut niveau, en tenant compte des intérêts et des besoins des gens simples (…). Mais le problème principal d’Oiyl, c’est la protection de Barkine et de la propreté de l’eau ! Tôt ou tard, le pétrole disparaîtra. Et seulement quelques personnes tireront des bénéfices de sa vente. Et nous, habitants d’Oiyl, nous resterons dans un désert sans eau avec une rivière morte, des tempêtes de poussière, la tuberculose et l’oncologie » peut-on lire dans la lettre reproduite par le journal.

Un conflit semblable

Les spécialistes de l’environnement reconnaissent les nuisances potentielles de l’exploitation du pétrole à proximité d’une agglomération. « Toute activité de production se répercute directement ou indirectement sur l’environnement. Personne ne peut se prononcer sur le niveau du risque sans l’avoir déterminé à travers des études », remarque le représentant du Département de l’écologie d’Aktioubé, Erbolat Kojikov. « Pour l’instant, les travaux à proximité d’Oiyl ont cessé. Après la vérification à laquelle nous avons procédé, aucune demande de reprise des travaux sur ce site n’est parvenue au Département » a-t-il ajouté.

« Nous craignons, à en juger par la position du gouverneur de la région, que les travaux sur cette parcelle ne reprennent » s’inquiète Alimjan, qui annonce qu’actuellement les habitants recueillent des signatures contre l’exploitation du pétrole à Barkine.

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Ces inquiétudes ne sont pas vaines. Le gouverneur de la région d’Aktioubé, Berdibek Saparbaïev, a déjà eu l’occasion de faire prévaloir ses idées sur l’opinion publique. En juin 2016, il a annoncé publiquement que l’exploitation de sels de potasse non loin d’Aktioubé ne présentait pas de danger, après quoi les riverains se sont manifestés et ont lancé une pétition contre le projet. Il a, alors, menacé de poursuites les signataires de la pétition. Deux jours plus tard, des religieux radicaux ont commis un attentat à Aktioubé, en attaquant un dépôt d’armes et une unité militaire, et le mécontentement populaire est passé dans ce contexte à l’arrière-plan.

Il est difficile de prévoir si le conflit actuel va encore s’aggraver. Toutefois, une chose est sûre, aucune des parties n’est prête à des concessions. Combien de temps des villageois peu nombreux pourront-ils défendre une source d’eau potable sans l’appui de la communauté environnementale mondiale, ou, tout du moins, du Kazakhstan ?

Farabi Alibiev
Journaliste pour Fergana news

Traduit du russe par Michel Peetermans

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