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Laurent Bouvet: «La gauche n’a tiré aucune leçon de sa défaite en 2017»

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour le professeur de science politique et fondateur du Printemps républicain, le Parti socialiste n’a pas su trouver un second souffle malgré la candidature de Raphaël Glucksmann. «La gauche française a perdu l’attention des électeurs», ajoute-t-il.


Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a notamment publié L’Insécurité culturelle chez Fayard en 2015. Son dernier essai, La nouvelle question laïque, est paru chez Flammarion en janvier dernier.


FIGAROVOX.- En perte de vitesse dans les sondages, le PS a comme dernier recours… Christiane Taubira. Retour vers le passé?

Laurent BOUVET.- Le recours à des personnalités à la fois bien connues des Français et emblématiques pour le cœur de l’électorat est un grand classique des campagnes électorales. C’est clairement le cas ici avec Christiane Taubira, devenue une véritable icône à l’occasion du débat parlementaire sur le mariage pour tous en 2013.

Ce qui reste toujours un sujet d’étonnement pour moi, concernant Christiane Taubira, c’est non seulement qu’elle n’est pas membre du Parti socialiste - elle ne l’a jamais été - mais surtout qu’avant son entrée au gouvernement en 2012, son nom a été associé, par deux fois pour les socialistes, à de cuisantes défaites électorales! Lors des européennes de 1994 lorsqu’elle figurait sur la liste de Bernard Tapie qui avait contribué à la défaite de celle du PS conduite par Michel Rocard, ou encore, évidemment, en 2002 lorsqu’elle a directement contribué, comme candidate radicale, à la défaite de Lionel Jospin lors du premier tour de la présidentielle.

Il s’agit donc moins d’un retour vers le passé que d’une illusion toujours entretenue au sein du Parti socialiste: celle qui consiste à penser que l’évocation, par icône interposée, de la grande réforme de société du quinquennat Hollande peut suffire à mobiliser sans même parler de faire revenir des électeurs. Ce qui s’est passé lors de toutes les élections depuis 2014 et évidemment en 2017 aurait quand même dû convaincre qu’un PS qui réduit son discours unificateur au «sociétal» n’a rien de mobilisateur.

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Le parti socialiste peut-il encore parler aux classes populaires?

La question n’est pas tant de savoir si le Parti socialiste peut encore parler aux classes populaires que s’il peut être entendu par des Français qui, bien au-delà des classes populaires, l’ont massivement rejeté lors des élections de 2017.

Cette gauche dite de gouvernement se contente de s’adresser à un électorat qu’elle considère comme le « sien », avant tout celui des grandes villes et des CSP+.

Or rien dans les thématiques abordées dans cette campagne européenne ne semble susceptible de mobiliser nos concitoyens en faveur du PS. En effet, ni l’insistance sur l’enjeu écologique ni celle sur une Europe sociale ne sont propres à la liste conduite par Raphaël Glucksmann. La proximité idéologique avec la liste de Benoît Hamon d’un côté et celle d’Europe Écologie - Les Verts de l’autre ne permet pas de distinguer la liste socialiste.

Et plus fondamentalement, cette gauche dite de gouvernement se contente de s’adresser à un électorat qu’elle considère comme le «sien», avant tout celui des grandes villes et des CSP+, en privilégiant des orientations de politiques publiques sans jamais s’interroger sur le cadre même dans lequel elles s’inscrivent. Ainsi en appelle-t-elle sans cesse à davantage de régulation publique et de normes dans de nombreux domaines de la vie quotidienne (santé, environnement, transports…), au point d’apparaître souvent comme tracassière voire moralisatrice sans pour autant s’intéresser avec la même insistance aux besoins fondamentaux de nos concitoyens, par exemple en matière de sécurité (à la fois physique, économique, sociale et culturelle) tels qu’ils s’expriment de manière très large et récurrente dans le pays sous différentes formes: tranquillité publique, autorité, justice sociale, identité collective, continuité territoriale et qualitative du service public, etc.

C’est d’ailleurs dans un tel décalage que se sont engouffrés ces dernières années tous les mouvements réclamant un renouvellement en profondeur du paysage et de «l’offre» politiques, chacun avec des réponses plus ou moins radicales à ces besoins fondamentaux: de la France Insoumise au Rassemblement national, du macronisme aux «gilets jaunes».

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Les leçons de 2017 n’ont donc pas été tirées?

Assurément non. Prenons le cas de Benoît Hamon, exemplaire en la matière. Voilà quelqu’un qui était ministre de l’Éducation nationale en 2014 et candidat à l’élection présidentielle pour le parti majoritaire sortant (le PS) en 2017, et qui aujourd’hui se bat pour obtenir 3 % à une élection européenne afin de voir ses dépenses de campagne remboursées!

Aucune réflexion de fond n’a été menée sur les raisons de la défaite de 2017 au sein de la gauche de manière générale. Certains, en son sein, considèrent qu’elle est seulement la conséquence des choix et de l’action de François Hollande ; d’autres qu’il s’agit d’un complot de l’oligarchie financière et médiatique pour porter son champion au pouvoir… L’importance des scores électoraux des différentes droites (libérale avec Macron, conservatrice avec Fillon, extrême avec Le Pen…) n’y est quasiment jamais relevée et surtout jamais analysée comme le signe d’un rejet profond et durable de la gauche sous ses différentes formes en France.

Réinvestir le terrain médiatique n’est pas réinvestir le terrain des idées.

Plus encore, les raisons de ce rejet profond et durable ne sont jamais interrogées, en particulier dès lors qu’il est question de la définition et de la fabrication du commun français. En clair, la gauche française, toutes familles confondues, a massivement perdu l’attention des Français non en raison de ses propositions d’orientation dans tel ou tel sens des politiques publiques, notamment économiques, mais parce qu’elle est incapable de proposer une alternative à la définition même de notre cadre commun, de notre identité commune, face à celles avancées par les différentes droites.

Pourtant, avec Glucksmann, le parti semblait avoir trouvé du sang neuf pour réinvestir le terrain des idées…

Réinvestir le terrain médiatique n’est pas réinvestir le terrain des idées. C’est encore une illusion dévastatrice pour la gauche, et en l’espèce pour le Parti socialiste. Raphaël Glucksmann, malgré toutes ses qualités, n’incarne en rien le début du commencement d’une solution politique à la question que je soulevais plus haut. Il est en revanche un excellent produit, une conséquence médiatique exemplaire, de cette gauche incapable de répondre aux préoccupations fondamentales de nos concitoyens que j’ai rapidement décrite. Dans ces conditions, il ne peut bien évidemment pas «sauver» le Parti socialiste. C’est tout simplement absurde.

Il faut quand même se rendre compte que l’enjeu, le 26 mai prochain, pour ce parti qui a été pendant 30 ans le grand parti de gouvernement de gauche, est simplement de réussir à dépasser la barre des 5 % pour conserver des députés au Parlement européen. On mesure ainsi l’ampleur du problème, et symétriquement l’illusion que représente la tête de liste confiée à une personnalité comme Raphaël Glucksmann, même si l’on ne peut que lui souhaiter, personnellement, de réussir son coup.

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Laurent Bouvet: «La gauche n’a tiré aucune leçon de sa défaite en 2017»

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41 commentaires
  • Antoine Victor

    le

    Je voudrais juste attirer l'attention sur l'interrogatoire d'une journaliste du Monde après son enquête sur l'affaire Benalla. Les agissements de la police avaient déjà posé question après la révélation d'armes françaises au Yemen. Ceux qui affirment que la France n'est pas une dictature devraient y réfléchir à deux fois...

  • didier perdrix

    le

    Laurent Bouvet et la droite elle a tirer quoi de sa défaite en 2012 certain son chez macron comme la gauche d'autre chez lepen et la gauche chez Mélenchon et les autres perdu a plus savoir ou il habite et oui monsieur Bouvet droite gauche même combat a la recherche de lors électeurs

  • 2595651 (profil non modéré)

    le

    "Le parti socialiste peut-il encore parler aux classes populaires?", demande Monsieur Bouvet. Mort de rire ! Parce que c'était dans leur programme ? Jamais de la vie ! La stratégie du PS a été définir par Terra Nova il y a plus de 10 ans. Il s'agissait de segmenter l'électorat en groupes d'intérêt (et non plus en couches sociales) : LGBT, fonctionnaires, bobos parisiens, écolos.. Puis ensuite, de faire un "programme" qui contienne des mesures propres à satisfaire chacun de ces groupes : mariage pour tous, taxe carbone etc etc. En aucune façon le PS ne souhaitait ni ne voulait s'adresser aux classes populaires, son approche était essentiellement DEMAGOGIQUE.

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