Après 17 ans passés derrière les barreaux, le tout premier « taliban américain » sortira aujourd’hui de prison. Or, la preuve n’est pas faite que John Walker Lindh a tourné le dos aux idées radicales pendant sa détention. Le point en sept questions.

Qui est John Walker Lindh ?

Le Californien John Walker Lindh était âgé de 16 ans lorsqu’il s’est converti à l’islam. Selon le magazine The Atlantic, c’est après avoir vu le film Malcolm X qu’il a pris sa décision, inspiré par le pèlerinage à La Mecque du célèbre activiste afro-américain. Au tournant des années 2000, le jeune homme de 19 ans, issu de la classe moyenne, a quitté la maison pour aller apprendre l’arabe et étudier le Coran. Ses voyages l’ont mené au Yémen puis au Pakistan. C’est là qu’il a commencé à s’intéresser au mouvement taliban, d’après un entretien avec le réseau CNN. Il s’est par la suite rendu dans un camp militaire d’Al-Qaïda, où il aurait rencontré Oussama ben Laden. Dans la même entrevue à CNN, accordée après sa capture en 2002, il a avoué que le djihad, la guerre sainte de défense de l’islam, était « sans l’ombre d’un doute » une bonne cause pour lui.

Pourquoi l’avoir condamné ?

Lindh a été capturé en Afghanistan au cours de l’automne 2001, quelques semaines après les attentats du 11-Septembre.

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John Walker Lindh (à gauche) est escorté par un combattant de l’Alliance du Nord après sa capture en Afghanistan en décembre 2001.

Dans l’œil du public, il est devenu le premier « taliban américain ». Il était présent lorsqu’une émeute provoquée par des prisonniers a mené à la mort de l’agent de la CIA Johnny Michael Spann, devenu le premier Américain tué en Afghanistan. Sa responsabilité alléguée dans la mort de Spann n’a toutefois jamais été prouvée. Il a d’abord été accusé de conspiration avec Al-Qaïda, mais a finalement plaidé coupable en juillet 2002 d’avoir fourni des services aux talibans. Il a écopé de 20 ans de prison, avec possibilité de libération conditionnelle après 17 ans – il est aujourd’hui libéré, vu sa bonne conduite. Puisqu’il était citoyen américain, il a été jugé devant la Cour fédérale et envoyé dans un pénitencier américain à haute sécurité plutôt que d’échouer à Guantánamo.

Lindh est-il « déradicalisé » ?

C’est loin d’être clair. Il y a deux ans, citant un document du Centre national de contre-terrorisme, le magazine Foreign Policy précisait que Lindh « continuait à plaider pour un djihad mondial et à transcrire des textes extrémistes violents ». Le même document ajoutait que les autorités s’inquiétaient que des dizaines « d’extrémistes [américains] incarcérés aux États-Unis et qui doivent être libérés d’ici cinq ans se réengagent probablement dans des activités terroristes ». Une évaluation du Bureau fédéral des prisons soulignait par ailleurs en 2017 que Lindh s’était montré sympathique au groupe armé État islamique.

Pourquoi cette libération marque-t-elle l’imaginaire ?

À n’en point douter, voir le « taliban américain no 1 » retrouver sa liberté trois ans avant la fin de sa peine choque l’opinion publique au sud de notre frontière. Sur Twitter, des centaines de personnes ont directement interpellé le président Donald Trump pour lui demander d’intervenir. N’empêche, le cas Lindh n’est pas unique. Selon des chiffres cités par le New York Times, 346 personnes ont été condamnées pour des crimes liés au terrorisme djihadiste depuis les attaques du 11-Septembre. Le quart a été libéré, et la moitié le sera d’ici 2025. « Cela témoigne d’un problème avec lequel doit composer le gouvernement américain : des centaines de personnes ont été arrêtées depuis 2002, mais il n’y a aucun système en place pour s’occuper d’elles », a expliqué au quotidien Seamus Hughes, directeur du programme sur l’extrémisme à l’Université George Washington.

Y aura-t-il des conséquences politiques ?

« À moins que [Lindh] retourne sur le champ de bataille, je doute qu’on en parle très longtemps », estime Rafael Jacob, chercheur en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. « Il n’est probablement pas assez connu du public américain pour qu’il y ait des contrecoups à Washington ; ça ne marquera pas l’histoire », ajoute l’analyste. Des politiciens ont tout de même exprimé publiquement leurs inquiétudes. Le républicain Richard Shelby et la démocrate Margaret Wood Hassan, au nom d’un comité sénatorial bipartisan, ont envoyé au Bureau fédéral des prisons une lettre dans laquelle ils remettent en question la mise en liberté de Lindh trois ans avant la fin de sa peine. La famille de Johnny Michael Spann a aussi multiplié les sorties publiques.

Le président Trump peut-il intervenir ?

Le sénateur Shelby affirmait en avril avoir directement abordé la question avec Donald Trump. « [Le président] appuie ma demande de voir Lindh purger sa peine jusqu’au bout », a-t-il écrit sur Twitter. Mais il serait surprenant de voir la situation changer. « Le président peut mettre fin à une peine en accordant un pardon, mais il ne peut pas l’allonger. Son pouvoir est assez limité en ce sens », note Rafael Jacob.

Quelles sont les conditions de libération de Lindh ?

En quittant aujourd’hui la prison de Terre Haute, en Indiana, John Walker Lindh retrouvera la liberté, certes, mais à plusieurs conditions. Au cours des trois prochaines années, l’homme désormais âgé de 38 ans ne pourra pas consulter l’internet ou utiliser un appareil lui permettant de naviguer sur le web sans l’approbation de son agent de probation. Si cette permission lui est accordée, ses activités seront suivies et ses communications en ligne ne pourront se faire qu’en anglais. Il lui sera en outre interdit de posséder un passeport et de voyager à l’international. Cela l’empêchera notamment de se rendre en Irlande, pays dont il a acquis la citoyenneté pendant ses années en prison en invoquant des liens de parenté dans la famille de son père.