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Au Soudan, les « jeunes du tunnel » battent le rythme de la révolution

Depuis un mois, de jeunes Soudanais accompagnent le sit-in révolutionnaire dans la capitale en martelant le fer dans une pulsation énergisante
Abdulraziq, un manifestant soudanais de 19 ans qui bat le rythme sur un pont en métal (MEE/Kaamil Ahmed)
Par Kaamil Ahmed à KHARTOUM, Soudan

Un son émane du centre du sit-in révolutionnaire du Soudan, une pulsation pesante et métronomique qui découle du battement rythmique du fer. 

Des groupes de jeunes soudanais frappent sans relâche le pont de chemin de fer sur lequel ils campent, tandis que d’autres, dans le tunnel situé en dessous, ajoutent une ligne de percussion en martelant des feuilles de ferraille. 

Connus des manifestants qui les entourent sous le nom de « jeunes du tunnel », ils donnent le ton du sit-in qui dure depuis un mois devant le quartier général de l’armée à Khartoum, où des milliers de personnes refusent de partir tant que les forces armées ne remettent pas le pouvoir à un gouvernement civil. 

« Lorsque nous frappons ce tunnel, leur voix devient plus forte », affirme Abdulraziq (19 ans), qui heurte le pont de fer avec un morceau de rail retiré de la voie ferrée. « Cette pulsation est comme le cœur de la congrégation, le pouls de fer du mouvement », estime-t-il. 

Le rythme peut être un coup lourd ou plus rapide. Il accompagne souvent le slogan populaire : « Chute ou pas, nous restons ici », explique Abdulraziq à Middle East Eye, mais l’objectif est toujours de susciter l’enthousiasme des manifestants. 

De jeunes Soudanais battent le rythme sur un pont de chemin de fer en métal à Khartoum (MEE/Kaamil Ahmed)
De jeunes Soudanais battent le rythme sur un pont de chemin de fer en métal à Khartoum (MEE/Kaamil Ahmed)

Sans emploi, comme beaucoup de jeunes Soudanais victimes d’une économie en difficulté, Abdulraziq est parti d’ad-Damazin, dans le sud du Soudan, pour se joindre aux manifestations. Il a fini par rejoindre les jeunes sur le pont. Ils ne cessent jamais de tambouriner, même sous la chaleur accablante pendant le jeûne du Ramadan. 

Ils font désormais partie de l’environnement : le quartier général de l’armée, l’Université de Khartoum et ses environs ont été transformés en un vaste site de contestation semblable à un site de festival.

Les jeunes battent le rythme à tour de rôle et aspergent d’eau les manifestants qui passent sous le tunnel, un acte irritant certains mais apprécié par d’autres. 

« Un message contre les militaires »

Bilal Ahmed (26 ans), diplômé d’université dont la famille est originaire du Darfour, tient un stand représentant les minorités soudanaises à quelques mètres du pont. 

Selon lui, le bruit qu’ils créent est devenu un cri de ralliement, appelant les manifestants à réciter collectivement leurs revendications au début de chaque heure.

« Les percussions représentent notre résistance, c’est emblématique. Un message contre l’armée », affirme Bilal. 

Passage soudanais sous le pont de chemin de fer sur le sit-in de Khartoum (MEE/Kaamil Ahmed)
Passage soudanais sous le pont de chemin de fer sur le sit-in de Khartoum (MEE/Kaamil Ahmed)

Le sit-in a commencé le 6 avril lorsque les manifestants soudanais, qui réclamaient déjà depuis près de quatre mois la démission du président Omar el-Béchir, ont fêté l’anniversaire du dernier soulèvement couronné de succès en 1985. 

Des manifestants ont grimpé sur le pont, suscitant des comparaisons avec des images de 1985 montrant la génération précédente faisant la même chose.  

Les avis sur l’origine de la bande-son du nouveau soulèvement divergent selon les manifestants. 

Certains disent que cela a commencé dans les premiers jours du sit-in, avant que Béchir ne soit renversé par l’armée le 11 avril, lorsque les forces de sécurité et les milices placées sous sa direction essayaient de disperser les manifestants. Selon ces récits, les jeunes ont commencé à taper contre le pont pour avertir les autres manifestants qui arrivaient.

Pour Hamid Khalafallah, qui participe régulièrement aux manifestations depuis qu’elles ont commencé en décembre, le rythme battu est devenu partie prenante du sit-in lorsque des manifestants ont grimpé au sommet du pont pour mieux voir la foule.

« Ils ont ensuite réalisé qu’il rendait un son plaisant », déclare-t-il à MEE, décrivant la façon dont l’énergie créée a exalté les manifestants fatigués.   

« Ce genre d’énergie nous inspire beaucoup. Il y a des moments où vous passez le tunnel et vous ressentez vraiment les ondes positives. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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