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L'indulgence de Trump divise la communauté militaire

Le président américain prévoit de gracier plusieurs soldats accusés de crime de guerre. Tandis que certains vétérans saluent son courage, d'autres s’inquiètent des répercussions de cette décision sur l’image de l’armée et la sécurité des soldats à l’étranger

Le président Donald Trump à Washington, le 22 mai 2019. — © Jim WATSON/AFP
Le président Donald Trump à Washington, le 22 mai 2019. — © Jim WATSON/AFP

Après avoir éclairé les divisions de la société américaine, Donald Trump met en évidence celles de l’armée. Lundi prochain lors du «Memorial Day», une journée dédiée aux soldats tombés au combat, il prévoit d’accorder la grâce présidentielle à plusieurs militaires accusés ou condamnés pour crimes de guerre, a révélé le New York Times la semaine dernière.

Meurtres de prisonniers, profanation de cadavres, traitements inhumains : au moins quatre dossiers sont concernés. Le cas le plus emblématique est celui d’Edward Gallagher, commando des Navy Seals. L'homme doit être jugé à partir de mardi 28 mai pour avoir exécuté un prisonnier de 15 ans en Irak, poignardé dans le dos et au cou à plusieurs reprises alors que, selon plusieurs témoins, il se trouvait sans défense. Après son meurtre, Edward Gallagher aurait posé avec le cadavre du jeune homme et envoyé la photo à des collègues, avec ce commentaire : «Le plus beau, c’est que celui-là je l’ai eu avec mon couteau de chasse.»

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D’après le dossier d’instruction obtenu par le New York Times, Edward Gallagher avait pour habitude de tirer en rafale au hasard dans les quartiers peuplés de civils et aurait abattu une jeune femme et un vieillard depuis le toit d’un immeuble. Depuis son arrestation, en septembre 2018, sa famille le dépeint régulièrement en héros sur la chaîne de télévision préférée du président, Fox News. Sans intervention de Donald Trump, il risque la prison à vie.

Encouragement de mauvaises conduites

L’hypothèse de cette grâce présidentielle effraie de nombreux hauts gradés de l’armée américaine, rapporte le Los Angeles Times. Selon ces officiers, traiter avec indulgence ces violations des règles de guerre qui protègent civils et prisonniers encouragerait les mauvaises conduites au sein des troupes. Martin Dempsey, général américain à la retraite, a assuré dans un tweet qu’un pardon de Donald Trump constituerait «un mauvais message, un mauvais précédent, un abandon de notre responsabilité morale, et un risque pour nous».

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Scott Neil, ancien membre des forces spéciales, préfère y voir un message courageux du président adressé aux vétérans. «Le commandant en chef nous prouve qu’il assure nos arrières et qu’il est prêt à rectifier les failles de notre système judiciaire», explique ce retraité de 51 ans.

Un autre cas au centre de l’attention concerne Matthew Golsteyn, un béret vert (les forces spéciales de l’armée de terre) accusé d’avoir exécuté un prisonnier afghan qui venait d’être libéré. Donald Trump l’a qualifié de «héros de guerre» dans un tweet de décembre dernier. Le président devrait aussi gracier Nicholas Slatten, un ancien militaire qui combattait en Irak pour la société privée Blackwater et qui a été condamné pour avoir tué quatorze civils. Le dossier de quatre membres du corps des Marines reconnus coupables d’avoir uriné sur des cadavres de talibans en juillet 2011 a également été évoqué par la presse américaine.

Autorité minée

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Dans toutes ces affaires, Jen Paquette, une des fondatrices de la Green Beret Foundation, estime que «le président a davantage d’informations sur ces cas que le public n’en aura jamais». Mariée à un ancien béret vert et désormais mère d’un soldat, elle pense que «si Donald Trump décide de gracier ces hommes, c’est probablement parce qu’ils ne faisaient que suivre les ordres». Se définissant comme “patriote américaine”, Jen Paquette vise plus particulièrement les forces de commandement de l’armée, qui se seraient égarées «et que Donald Trump essaye sans doute de remettre dans le droit chemin».

La polémique a rapidement atteint les rangs politiques. Vétéran de l’Afghanistan et candidat aux primaires démocrates, Pete Buttigieg a accusé le président de «miner l’autorité morale américaine» et craint que «sur le long terme, cette décision ne mette les troupes en danger» en encourageant les groupes ennemis à lancer des représailles. Un argument repris par de nombreux officiers dans les médias, mais rejeté par le vétéran Scott Neil. Lui qui est allé au combat en Afghanistan, en Irak et dans plusieurs pays africains juge que «les troupes américaines sont en danger en permanence à l’étranger, et personne ne devrait avoir peur de prendre des décisions que nos ennemis n’approuvent pas».

Dans le camp présidentiel aussi, la grâce présidentielle crée des remous. Le républicain Dan Crenshaw, ancien des Navy Seals et élu du Texas à la Chambre des représentants, a dit ne pas comprendre la précipitation du président américain, notamment sur le cas d’Edward Gallagher : «Ces affaires devraient être examinées par un tribunal, où toutes les preuves peuvent être étudiées. C’est seulement une fois que le jugement a été rendu qu’une grâce devrait être envisagée.» Même l’avocat d’Edward Gallagher, Timothy Parlatore, s’est montré surpris par la possibilité d’un pardon présidentiel avant le procès. Au New York Times, il a expliqué désirer «prouver l’innocence de [son] client devant la justice» mais que sa priorité restait «de ramener M. Gallagher à la maison, parmi les siens».