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Le voyage très politique du patriarche russe à Strasbourg

Le patriarche Kirill, vendredi à Moscou. SPUTNIK/REUTERS

Kirill consacrera officiellement samedi l’Église de tous les Saints, un édifice situé à deux pas du Conseil de l’Europe auprès duquel le dignitaire religieux ne manque pas de faire valoir ses vues.

Pour la deuxième fois consécutive en deux ans, une église orthodoxe russe parrainée par le Kremlin sera inaugurée en France. Samedi 25 mai, le patriarche Kirill consacrera officiellement à Strasbourg, l’Église de tous les Saints, un édifice d’une hauteur de 42 mètres coiffé d’un bulbe doré, dont la construction, commencée en 2014, a souffert de problèmes de financement. Le dignitaire religieux s’était déjà rendu à Paris en 2016 pour inaugurer la monumentale Église du quai Branly, objet de polémiques avant que le président russe fasse de même en mai 2017. Les deux bâtiments, à vocation spirituelle, se sont également adjoint un centre culturel, lui-même vecteur de la politique de soft diplomatie étrangère engagée par le Kremlin.

À Strasbourg, 300 fidèles pourront assister aux offices, autrefois tenus dans un garage, et aujourd’hui célébrés dans ce bâtiment situé à proximité des institutions européennes. Le choix est symbolique et l’inauguration a lieu le jour même des élections européennes, à l’occasion desquelles la Russie s’est vue accusée de soutenir plusieurs formations populistes. Déjà en 2007, le prédécesseur de Kirill, le patriarche défunt Alexis, avait déjà plaidé en faveur de la construction d’une église orthodoxe au cœur de la capitale européenne, comme c’était notamment le cas à Francfort, où siège la Banque centrale européenne. Hormis via un classique appel aux dons et l’aide de la mairie de Strasbourg - qui a cédé le terrain - la construction de l’église de tous les Saints a été financée par la banque publique russe VTB, perçue comme un bras financier du Kremlin, ainsi que la compagnie pétrolière d’État Transneft et le conglomérat métallurgique de Tcheliabinsk, lui-même propriété de l’oligarque Igor Ziouzin.

L’Église russe fragilisée

A côté de l’événement liturgique lui-même, auquel participera le maire de Strasbourg Roland Ries, le patriarche Kirill doit rencontrer le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjon Jagland, au moment où l’institution se déchire au sujet de l’Ukraine. Après avoir privé la Russie de ses droits de vote à la suite de l’annexion de la Crimée, cette assemblée de 47 membres - à ne pas confondre avec les organes communautaires - est en passe, sous l’influence de la France et de l’Allemagne, de pleinement réintégrer Moscou. Ce qui, en retour, suscite la colère de Kiev. Le patriarcat de Moscou ne manque pas de faire valoir ses vues auprès du Conseil de l’Europe, notamment lorsque Kirill avait publiquement contesté une décision de la Cour européenne des droits de l’homme - organe judiciaire du Conseil - visant à interdire la présence des crucifix dans les écoles italiennes. «L’Église orthodoxe russe a été notre allié le plus important et le plus déterminant» s’était félicité à l’époque l’ambassadeur italien à Moscou, en vantant à l’inverse «l’identité religieuse et culturelle européenne».

« Même si cette image qu’il se donne est fausse, le président russe apparait comme un leader parmi ces groupes, aux côtés de Kirill. »

Sergueï Chapnin, analyste religieux et ancien rédacteur en chef du journal de la Patriarchie

Vladimir Poutine lui-même se fait l’apôtre de ces valeurs, rencontrant ainsi un large écho dans les milieux conservateurs européens. «Même si cette image qu’il se donne est fausse, le président russe apparait comme un leader parmi ces groupes, aux côtés de Kirill», explique l’analyste religieux, Sergueï Chapnin, ancien rédacteur en chef du journal de la Patriarchie. Pour sa part, l’Église russe est fragilisée au sein du monde orthodoxe, depuis l’officialisation d’une Église ukrainienne autocéphale, soutenue par Constantinople, qui vient concurrencer le quasi-monopole spirituel qu’exerçait jusqu’à présent Moscou sur ces terres. «L’un des principaux sujets de discussion avec le secrétaire général du Conseil de l’Europe concernera le problème de la violation des droits des croyants en Ukraine», confirme le porte-parole de Kirill, Alexandre Volkov, qui accuse Kiev et la nouvelle église concurrente de persécuter les croyants ukrainiens restés fidèles au patriarcat de Moscou.

«L’Église russe fait activement appel à l’ensemble des institutions européennes afin de défendre ses intérêts et c’est d’autant plus important aujourd’hui dans un contexte de confrontation avec l’Occident», analyse Roman Loukin, directeur du Centre d’études religieux auprès de l’Académie des sciences. Dans un contexte de schisme au sein du monde orthodoxe, et alors que Constantinople grignote progressivement l’influence de Moscou, Kirill a dû renoncer à un voyage en Finlande prévu en juin. Et espère qu’il sera mieux accueilli à Strasbourg.

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26 commentaires
  • pck

    le

    300 fidèles ! Au secours l'Europe est en danger. C'est un raz-de-marée russe qui va submerger l'Europe en partant de cette église. Ah ce Poutine, qu'est-ce qu'il est fort !
    Au fait. Quelqu'un a-t-il entendu parler d'un attentat commis en France par un extrémiste orthodoxe relevant du patriarcat de Moscou ? Parce que cela ne me dit rien.

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