En 1873, le Néerlandais Vincent van Gogh a 20 ans. Il est employé depuis quatre ans au sein de la maison de ventes Goupil & Cie à la Haye. Adolphe Goupil, fondateur de la maison, lui propose d’aller travailler dans sa succursale de Londres. Le jeune homme accepte, après avoir obtenu l’accord de sa famille. La capitale de l’Angleterre est alors la plus grande ville du monde. Il y règne une folle agitation et le jeune marchand décrit à son frère Théo le plaisir qu’il a à parcourir, tous les matins et tous les soirs, les rues qui le mènent de son travail à sa boutique, trois quarts d’heure durant. Il observe tout. En janvier 1874, il écrit : « Quant à moi, ça va, j’ai un bon logement et c’est une joie pour moi de découvrir Londres, le style de vie anglais et les Anglais eux-mêmes. Et puis, il y a la nature, l’art et la poésie. Si cela n’est pas suffisant, qu’est-ce qui pourra l’être ? ».
C’est cet intérêt pour la littérature anglaise que met d’emblée en avant l’exposition de la Tate Britain, en présentant quelques éditions anciennes de John Keats, Charles Dickens ou George Eliot face à L’Arlésienne, toile réalisée à quelques mois de son suicide en 1890. Car sur ce célèbre portrait, Vincent van Gogh fait référence à son amour pour les auteurs anglophones en plaçant deux ouvrages devant Madame Ginoux, signés Charles Dickens et Harriet Beecher Stowe (une célèbre abolitionniste américaine). Artiste, il ne l’est toutefois pas encore : certes, il a appris le dessin pendant ses jeunes années et parle souvent d’art dans les lettres qu’il adresse à son frère, mais, durant toute la durée de son séjour à Londres – soit de 1873 à 1876 –, il est avant tout un amateur, contemplatif et collectionneur.
Les artistes qui le marquent sont les peintres de paysages John Constable (1776–1837) et John Everett Millais (1829–1896). Il confiera même en 1884 – soit dix années plus tard ! – penser encore aux peintres anglais découverts à Londres. Il regarde les beaux ciels agités de Richard Parkes Bonington (1802–1828), parle avec chaleur d’une vue de Londres de Giuseppe De Nittis (1846–1884). Il observe, fasciné, les lumières de la ville moderne et ses reflets dans la Tamise – sa célèbre Nuit étoilée de 1888, exposée en majesté, révèle ce regard habité par ses visions électriques de la capitale anglaise.
Il est aimanté par les illustrations de vendeuses de fleurs et de femmes cousant.
La période londonienne est également fondamentale pour comprendre l’humanisme du futur peintre, qui a passé sa vie à portraiturer les petites gens. Vincent van Gogh collectionne les imprimés et les gravures (il en possède 2000 !), qu’il déniche pour la plupart dans des magazines anglais (dont le journal social The Graphic) et qui décrivent la vie quotidienne des travailleurs de rues. Il est aimanté par les illustrations de vendeuses de fleurs et de femmes cousant de Frank Holl (1845–1888) ou les images de miséreux de Luke Fildes (1843–1927), illustrations parfaites des personnages qu’il trouve dans les romans de Charles Dickens. Il va jusqu’à reprendre certains motifs : les prisonniers tournant en rond saisis par Gustave Doré – autre anglophile – dans une prison de Londres en 1872, ou encore l’homme recroquevillé sur lui-même des Hard Times (1866) de l’illustrateur Charles Stanley Reinhart.
Puis, changement total de décor. Les salles suivantes se concentrent sur la fortune des expositions en Angleterre des peintures de Vincent van Gogh réalisées dans les années 1880 et 1890, bien après son séjour londonien. Avec une gourmandise communicative, la Tate Britain ne manque pas l’occasion d’exposer des dizaines de toiles sublimes – parmi lesquelles une remarquable vue arborée de l’hôpital de Saint-Rémy (1889) – quitte à s’éloigner de son sujet… Puis, une salle est consacrée à l’influence de ses Tournesols (1888), sur la peinture de bouquets de fleurs en Angleterre : il est vrai qu’il y a, dans les fleurs volumineuses de Frank Brangwyn, de Jacob Epstein et d’Evan Walters, une sève nourricière venue des célèbres Tournesols.
L’ultime étape révèle quant à elle la place de Vincent van Gogh dans l’imaginaire du peintre Francis Bacon (1909–1992), en présentant notamment deux études pour un portrait de Van Gogh (1957). Le peintre, reconnaissable à son chapeau de paille, marche dans une campagne aux verts, rouges et jaunes très vifs ; perdue dans les couleurs, sa silhouette haute et sombre semble être en proie à une profonde angoisse. Cette nature habitée se retrouve chez Matthew Smith et son Landscape in Provence (vers 1956), ou encore chez Joan Eardley, qui représentent tous deux des paysages expressionnistes, comme agités par un mouvement intérieur… Là encore, la référence est claire. Ainsi, Vincent van Gogh, sa carrière fulgurante, mais aussi et surtout son aura fantasmagorique, auront inspiré bien des peintres anglais – que ce soit dans sa façon de représenter le monde, avec cette facture si particulière, ou dans la figure qu’il incarne, solitaire et puissamment mélancolique.
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