Quand la sexualité des rats en dit long sur celle des humains...

LA SCIENCE DANS SES MOTS / En matière de sexe, soyons humbles, nous sommes similaires… aux rats.


En effet, lorsqu'il est question d’activité sexuelle — et peut-être même d’orgasme — les rats ont des réactions physiologiques semblables à celles des humains. En fait, nos connaissances au sujet des processus cérébraux de l’orgasme nous viennent surtout d’études sur le rat de laboratoire.

Si une bonne part de ce qui se produit dans le cerveau durant l’orgasme chez l’humain demeure un mystère, des décennies de travaux scientifiques ont contribué à percer certains secrets.

L’une des principales raisons pour lesquelles certains aspects de la recherche dans ce domaine ont tant progressé à ce jour est l’utilisation de modèles animaux. Dans notre laboratoire, dirigé par James Pfaus, au Centro De Investigaciones Cerebrales et à l’Université Concordia les animaux nous aident à mieux comprendre en quoi consiste exactement un orgasme.

Nous espérons que la présente étude nous permettra de mieux comprendre les interactions sexuelles chez l’humain et la raison pour laquelle nous ressentons une attirance pour certaines personnes, certaines odeurs ou certains lieux. Comment se déclenche l’excitation ? Comment ce phénomène peut-il se produire sans qu’on s’en aperçoive ? Les sons que nous produisons durant l’acte sexuel ont-ils une signification ?

Qu’est-ce qu’un orgasme ?

La plus grande difficulté que comporte l’étude de l’orgasme chez l’animal réside dans la nature subjective du phénomène. De toute évidence, on ne peut pas demander aux sujets animaux s’ils ont ressenti un orgasme à la suite d’une stimulation sexuelle d’une certaine intensité ou d’un certain type.

En matière d’orgasme, les choses paraissent simples : on sait lorsqu’on en a un.

Mais, comment peut-on définir l’orgasme d’un point de vue scientifique ? La plupart des définitions font référence aux sensations physiologiques et aux caractéristiques émotionnelles qui convergent en un instant de détente et d’extase. Plus précisément, on peut définir l’orgasme comme la libération de la «tension sexuelle» accumulée durant la période de stimulation qui précède l’orgasme.

Représentation des vocalisations ultrasoniques d’une femelle en réponse à une stimulation clitoridienne. Les différents tracés sont associés à des affects positifs.

On suppose souvent, à tort, que l’orgasme coïncide nécessairement avec l’éjaculation. Or, en effet, les deux se produisent simultanément de façon assez systématique chez l’homme (quoique certains hommes n’éjaculent pas durant l’orgasme). Mais, ce n’est généralement pas le cas chez la femme), bien que certaines femmes «éjaculent» durant l’orgasme.

En réalité, à l’heure actuelle, il n’existe qu’une seule façon de savoir si une personne a un orgasme : par les contractions des muscles pelviens).

Mais la subjectivité a son poids. Ce qui correspond au meilleur orgasme possible pour une personne peut paraître ordinaire pour une autre. Par ailleurs, la stimulation nécessaire à l’atteinte de l’orgasme varie énormément d’une personne à l’autre.

Ces facteurs rendent difficile la conduite d’expériences contrôlées chez l’humain. Les différences génétiques et environnementales occasionnent sans doute aussi d’importantes variations dans la perception et le signalement de la stimulation sexuelle, de même que du point de bascule où la «tension sexuelle» est libérée.

Les questionnaires uniformisés qui servent à évaluer l’intensité et la fréquence des orgasmes présentent les mêmes lacunes que toutes les études comportant un volet d’autodéclaration, par exemple la possibilité que le sujet mente ou ne comprenne pas bien ses propres états subjectifs.

À l’heure actuelle, nous — les neuroscientifiques — faisons face à un obstacle de taille. En effet, nous ne disposons que d’un seul marqueur de l’orgasme chez l’humain et n’avons à notre portée aucune technique d’imagerie assez fiable pour explorer les mécanismes biochimiques propres au phénomène dans le contexte en constante mutation que représentent les expériences subjectives.

Modèles animaux

Chez les mâles de différentes espèces animales, l’éjaculation est synonyme d’orgasme. De façon similaire, les femelles peuvent éprouver une tension ou des contractions utérines et musculaires rythmées. Bien qu’on ne puisse supposer que les animaux éprouvent un orgasme, il est possible, par triangulation, de déterminer s’ils en ont un sur le plan physiologique.

Qu’en serait-il si l’on pouvait dégager des comportements analogues chez l’humain et l’animal, et s’en servir pour déduire la survenue d’orgasmes chez les animaux ?

Les chercheurs qui tentent de combler cet écart entre l’humain et l’animal ont mis de l’avant trois grandes caractéristiques de l’orgasme humain que l’on pourrait évaluer chez l’animal, puis mettre en comparaison avec l’humain : les changements physiologiques; les comportements à court terme; les comportements à long terme;

Comment ces critères peuvent-ils être appliqués au rat ?

Combattre, fuir ou... forniquer

Les humains comme les rats subissent de nombreux changements physiologiques avant, durant et après l’acte sexuel. En réaction, notre corps se prépare à combattre, à fuir ou à forniquer.

En matière d’orgasme, les rats ont des réactions physiologiques semblables à celles des humains. Quand la stimulation est d’ordre sexuel, sur le plan physiologique, les humains réagissent à peu près de la même façon que les rats — par une augmentation de l’excitation physiologique et de l’apport sanguin aux organes génitaux ainsi qu’une contraction musculaire.

Un rat au laboratoire de l’Université Concordia.

Comportements à court terme : les femelles prennent l’initiative

Dans le monde sexuel des rats, c’est la femelle qui sollicite le mâle. C’est elle qui choisit son partenaire ainsi que le moment auquel elle souhaite un rapprochement. Elle encourage activement le mâle à la poursuivre en se précipitant vers lui pour ensuite se retourner brusquement et s’enfuir. Elle arque le dos quand le mâle touche ses flancs pour l’inviter à accomplir l’acte sexuel.

Ce cycle se répète jusqu’à ce que le mâle éjacule.Après coup, le mâle s’endort parfois. Pour relancer les ébats, la femelle sautille autour de lui afin de lui signaler son désir.

Tout le long de ce marathon sexuel, mâle et femelle émettent des sons ou des «appels» à une fréquence inaudible pour l’humain. Il est toutefois possible d’enregistrer ces ultrasons au moyen d’un appareil spécial et de les analyser.

Au moment de l’émission du sperme, les appels du mâle sont longs et distinctifs, ce qui permet de les corréler à l’éjaculation, et possiblement à l’orgasme. Les appels de la femelle sont différents : ils sont plus variés et surviennent à des moments distincts, rien ne permet de les associer à un orgasme.

Comportements à long terme : schémas sexuels

On observe des mécanismes d’apprentissage tant chez les rats mâles que chez les femelles. Par exemple, après des expériences sexuelles répétées avec des partenaires dégageant une odeur d’amande, les mâles comme les femelles tendent à préférer des congénères qui sentent l’amande à d’autres partenaires sexuels potentiels.

Les rats et d’autres animaux ont conscience des stimuli sexuels qui leur sont adressés et se comportent de manière à obtenir un maximum de satisfaction.

Toutefois, quand les scientifiques entrent dans la sphère des expériences subjectives, ils naviguent en eaux troubles.

Leçons des études animales

Durant l’orgasme — état de grande satisfaction — les humains ont tendance à associer l’environnement à des sentiments positifs. Nous relevons certains signaux et aspects de notre environnement et sommes susceptibles de voir nos orgasmes associés à ces sentiments. Quand nous avons des rapports sexuels et arrivons à l’orgasme, nous captons rapidement l’information ambiante – lieux, gens et autres facteurs contextuels.

Par exemple, quand vous respirez le parfum d’une personne qui vous est familière ou qui évoque l’activité sexuelle, les souvenirs rejaillissent rapidement, et votre corps «s’emballe», parfois même sans que vous vous en aperceviez.

Ces mécanismes d’apprentissage peuvent façonner nos préférences sexuelles pour certaines personnes, endroits ou objets . Ils influencent ainsi nos choix de partenaires et de cadres pour les relations sexuelles.

Un modèle animal de l’orgasme permettrait aux scientifiques d’explorer les raisons pour lesquelles certaines personnes ont de la difficulté à atteindre l’orgasme et de concevoir en conséquence des interventions comportementales et pharmacologiques. D’un point de vue plus fondamental, la compréhension de l’orgasme chez l’animal peut contribuer à faire la lumière sur ce qui se produit dans le cerveau humain au moment de l’orgasme.

Nous ne serons jamais vraiment en mesure d’évaluer objectivement un état subjectif chez le rat au moyen des techniques de recherche actuelles. Mais en combinant l’étude des réponses physiologiques, des changements à court terme dans la motivation sexuelle et les états indicateurs de la récompense sexuelle, ainsi que des préférences sexuelles stables à long terme, nous pouvons dégager certains indices à propos de l’orgasme, et nous commençons à observer ces comportements sexuels chez les rats.

Déjà, c’est un bon début.

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Ce texte est d'abord paru sur le site franco-canadien de The Conversation. Reproduit avec permission.