Johnny s’en va-t-en Résistance : histoire d’un réseau de renseignement pionnier

Auteur d’une thèse sur la carrière  d’importateur de vin algérien du finistérien Hervé Nader, également élu parlementaire en 1936 et en 1958, Emmanuel Couanault n’avait pu traiter dans sa recherche doctorale d’une dimension essentielle du parcours de cet individu : son engagement précoce dans la Résistance, au sein d’un réseau de renseignement aujourd’hui largement oublié, Johnny. Délivré de ses impératifs académiques puisqu’ayant – brillamment – soutenu en janvier 2016, l’historien décida manifestement de battre le fer alors qu’il était encore chaud et se plongea dans une enquête approfondie sur cette organisation pionnière, travail publié aujourd’hui par la dynamique maison d’éditions Locus Solus1.

Soldats allemands à Daoulas, sans date. Le livre d'Emmanuel Couanault souligne bien l'importance stratégique de la Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Collection particulière.

On ne dira jamais combien ce type de travail est précieux. En effet, dans une épopée telle que celle de la Résistance, la perspective diachronique est essentielle : résister dès 1941 ne signifie pas – sans pour autant formuler la moindre forme de jugement de valeur – la même chose qu’en 1944. Or Johnny est indissociable de la terrible répression qui conduit à sa perte et au destin tragique de nombreux individus, dont les sœurs Marie et Simone Alizon. Ecrire l’histoire de ce réseau, c’est donc s’interroger sur les raisons d’un échec et revenir sur des pratiques qui paraissent d’autant plus imprudentes que les agents de l’Abwehr qui les traquent sont, eux, d’implacables professionnels (p. 124). En d’autres termes, c’est par l’échec de Johnny – entres autres – que se forgent de nouvelles pratiques qui conduisent aux succès de 1944. C’est donc bien de l’histoire d’un « apprentissage » qu’il s’agit ici (p. 53).

Par ailleurs, avançons que la perspective monographique nous semble, en ce qui concerne l’histoire de la Résistance, d’autant plus indiquée que le resserrement de focale permet de prendre en compte des éléments invisibles à plus large échelle. On ne dira jamais en effet combien l’histoire de l’armée des ombres balbutiante est tributaire de détails. C’est ainsi, en mars 1941, chez un ancien camarade du 19e régiment d’infanterie de Brest qu’Antoine Vourc’h loge Robert Alaterre et Jean Le Roux, les deux premiers chefs de Johnny (p. 45-46), preuve que les ressorts de l’action clandestine plongent leurs racines très profondément, et en des milieux où l’on n’aurait pas spontanément l’idée d’aller chercher.

Le conflit qui oppose Jean Le Roux à André Malavoy vient de plus rappeler combien la Résistance est affaire de relations interpersonnelles. C’est d’ailleurs ce qui nous amène à formuler une – petite – réserve à l’endroit de ce livre puisqu’il nous semble que l’emploi d’une prosopographie détaillée aurait pu conduire à certains résultats intéressants. On est ainsi parfois frustrés de ne pas avoir d’analyse transversale sur les motivations des agents et notamment sur ce qui fonde leur engagement. De même, sans doute qu’une réflexion initiale sur la démarche entreprise aurait pu être profitable. En effet, dans la mesure où, cas de figure partagé en outre par de nombreux réseaux, ce n’est uniquement après la guerre que les membres de Johnny apprennent appartenir à cette organisation, en quoi celle-ci constitue un terrain pertinent de recherche ? En d’autres termes, déconstruire l’objet pour mieux l’appréhender.

Plaque commémorative. Wikicommons.

Pour autant, le volume que publie Emmanuel Couanault est d’autant plus précieux qu’il se lit comme un bon roman d’espionnage, mêlant récit haletant et pages très didactiques sur des points précis du fonctionnement pratique d’un réseau de renseignement. Passionnants sont à cet égard ses propos sur le fonctionnement des postes radios servant à transmettre les messages à Londres (p. 46-48). Et encore plus captivantes sont les dernières pages consacrées à la mémoire, ou plutôt à l’oubli, de Johnny et au rapport ambigu entretenu par un certain nombre de ses membres avec le général de Gaulle (p. 139-140). Bref, un livre à connaître.

Erwan LE GALL

COUANAULT, Emmanuel, Des Agents ordinaires. Le réseau ‘Johnny’ 1940-1943, Lopérec, Locus Solus, 2016.

 

 

 

 

1 COUANAULT, Emmanuel, Des Agents ordinaires. Le réseau ‘Johnny’ 1940-1943, Lopérec, Locus Solus, 2016. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.