Abdellatif Kechiche, un troll sur la Croisette ?

Marie Bernard, Hafsia Herzi, Abdellatif Kechihce, Shaïn Boumedine ©AFP - Sébastien BERDA
Marie Bernard, Hafsia Herzi, Abdellatif Kechihce, Shaïn Boumedine ©AFP - Sébastien BERDA
Marie Bernard, Hafsia Herzi, Abdellatif Kechihce, Shaïn Boumedine ©AFP - Sébastien BERDA
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Dans une sélection aussi unanimement saluée, un seul film aura réellement divisé, celui d'Abdellatif Kechiche « Mektoub my love : Intermezzo », ça ne fait pas de lui le plus intéressant mais le révélateur d’un certain « état » du regard.

Pour le reste du monde, qui n’était pas à Cannes, le film est apparu comme une sorte de « troll » sur la Croisette.

Ne serait-ce que par son caractère pour ainsi dire « déformé » : 3H28 de film dont deux heures et demi de discothèque, une demi-heure de plage, 13 minutes de cunnilingus et 178 plans de fesses féminines si j’en crois le relevé croisé des données. 

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Le troll, pour employer une expression dérivée de la pratique des réseaux sociaux, provoque une crise d’urticaire dans le débat, et polarise des réactions… forcément épidermiques.

Dans le cas de « Mektoub my love : Intermezzo » si je résume nous avons d’un côté des phallocrates qui crient au génie, et à la virtuosité d’une tentative radicale d’épuisement, de l’autre des féministes enragées qui s’en prennent à cet insoutenable gribouillis macho, cette boursouflure patriarcale ou encore ce reliquat de « male gaze ». C’est à dire, la survivance dans un contexte progressiste, du regard masculin dominant, qui règne encore sur la culture visuelle des magazines, de la publicité et des films, faisant de la femme un objet.

Avec cette copie de travail, qui n’a pas finie d’être montée, ni mixée, ni étalonnée, Kéchiche se serait même « trollé » lui-même. Présentant après le superbe « Mektoub My love : canto uno » une suite provocatrice et étirée sans intérêt. Le but du cinéma n’étant évidemment pas pour lui de plaire. Comme il le rappelait dans les interviews : « ce que je vois, et ce que j'aime voir n'est pas aimable ou appréciable pour tout le monde. Heureusement, ce serait désastreux sinon ».

Quoi qu’on pense du personnage Kéchiche, plutôt antipathique, dont les méthodes ont attiré de nombreuses critiques, et qui a vu son actrice principale (pas forcément victime de lui d’ailleurs) quitter littéralement le festival, les réactions suscitées par le film révèlent une sorte d’idéologisation du regard.

Distinction entre pornographie et des scènes de sexe volontairement explicites

La presse a raconté comment en les poussant à bout, Kechiche avait obtenu de ses comédiens et comédiennes des scènes de sexe « non simulé ». A l’heure des « intimicy counselor » les conseillers désormais chargés de veiller à Hollywood sur le consentement des acteurs dans les scènes intimes, ça dénote. Mais pourra-ton réellement tout contractualiser dans le rapport des metteurs et metteuses en scène avec celles et ceux qu’ils ont choisi pour incarner leur projet artistique ? Et comment se fait-il qu’en 2019, on ne fasse pas bien la distinction entre la pornographie et les scènes de sexe volontairement explicites, et pas nécessairement excitantes ?

Enfin si le caractère misogyne du film tient au fait que seules les corps des femmes sont scrutés en longueur et dans le détail, dans le vertige voyeur d’une adoration des callipyges, tandis que les hommes sont présentés avec d’avantage de pudeur, faut-il envisager une parité normative de la nudité et du traitement « moral » des personnages masculins et féminins à l’image ?

Tout se confond et se mélange : les débats de société légitimes sur les violences sexistes, et les obsessions artistiques d’un réalisateur. Et tandis que sans même l’avoir vu, le clan des pro et celui des anti se détachait, on en oubliait que « Mektoub mylove : Intermezzo » n’est qu’un film, et la question de sa moralité absolument inopérante. Pour le reste chacun est libre de détourner son regard.

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