L. est partie un mardi du mois de mai.
L. est partie et personne ne s’y fait.
L. est partie et on a tous pleuré.
La voiture de Papa et Maman attend devant l’école. Dans le coffre, les quelques affaires ramassées dans la chambre d’hôtel qu’ils occupaient depuis six mois, juste en haut de la rue. Cette chambre d’hôtel dont L. nous disait qu’elle était petite, dans laquelle ils dormaient tous, depuis trop longtemps. Cette chambre d’hôtel qui avait pris la suite d’une autre, et d’une autre encore.
Huit ans. Huit années qu’ils ont quitté leur pays pour venir essayer ici.
Huit années qu’ils ne savent pas s’ils pourront rester mais qu’ils se battent pour en avoir juste le droit.
Au volant de la voiture, Papa attend. Maman est avec nous, elle prend nos mains, nous remercie, s’excuse, encore et encore. On ne sait pas bien de quoi, mais on l’écoute, on accepte les mains qu’elle nous prend, on lui rend le sourire qu’elle nous donne. Elle dit qu’elle ne va pas y aller, y retourner. Qu’ils vont se cacher. C’est pas bien, pour les enfants, je sais, mais on va se cacher. Autour de nous, le petit frère de L. court, rigole. Trop petit pour comprendre, pour savoir ce qui l’attend, et ce qui ne l’attend plus. En retrait, la grande sœur de L. sourit aussi. Calme, sereine, elle croit, elle pense, elle rêve qu’elle va revenir, refuse de nous dire adieu.
Toute la journée, L. s’est contenue. J’ai eu l’impression qu’elle jouait plus fort, qu’elle riait plus vite, qu’elle prenait tout ce qu’elle pouvait. C’était comme si elle avait emmené à l’école un grand sac et qu’elle avait décidé d’y mettre tout ce qu’elle voulait emmener avec elle : les sourires des copains, les mots de la maîtresse, les bruits de la récré. Elle a passé la journée à ouvrir son grand sac et, avec ses yeux qui pétillent et son sourire malin, elle y a mis tout ce qu’elle voyait, tout ce qu’elle entendait. Elle a eu du mal à se résigner à le refermer, quand la cloche a sonné.
Devant le portail, ensuite, L. a sauté dans nos bras, les uns après les autres.
Elle s’y est accrochée, a posé sa tête sur notre épaule, nous a serrés très fort.
Elle a pleuré, beaucoup. Ses longs cheveux noirs la gênaient.
On ne lui a pas dit que ce pays dans lequel elle est née, celui dont elle parle, lit et écrit si bien la langue ne voulait plus d’elle, simplement parce que ses parents ne sont pas nés au bon endroit.
On l’a serrée nous aussi, on lui a dit qu’on ne l’oublierait pas, qu’elle allait vivre encore de belles choses, qu’elle allait continuer à apprendre, à sourire, que sa route était encore longue et qu’elle ne s’arrêtait pas devant le portail de cette école, ce portail qu’elle aurait aimé franchir encore tant de fois.
On ne lui a pas dit que c’était injuste.
Qu’il n’y avait absolument aucune réponse à la question qu’elle n’a pas osé nous poser mais que ses yeux, tout seul, criaient. Pourquoi.
On ne lui a pas dit que ce pays dans lequel elle est née, celui dont elle parle, lit et écrit si bien la langue ne voulait plus d’elle, simplement parce que ses parents ne sont pas nés au bon endroit.
On ne lui a pas dit que cette école qui lui avait ouvert les bras, l’avait regardée briller, pétiller, courir, jouer, aimer n’était désormais plus la sienne, que c’était comme ça et puis c’est tout.
Qu’aucun d’entre nous n’était d’accord avec ça mais qu’aucun d’entre nous n’avait le pouvoir qu’il en soit autrement.
On ne lui a pas dit qu’en plus de pleurer, on avait tous envie de gerber.
On ne lui a rien dit de tout ça.
On l’a serrée dans nos bras, on a chaussé nos lunettes de soleil pour cacher nos yeux rougis, on l’a regardée partir et on a refusé de s’habituer.
Ce billet est également publié sur le blog Merci Maîtresse.
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