Un Hoosier en Bretagne !

L’année 1917 est souvent présentée comme une grande et belle rencontre entre la France et les Etats-Unis. Si ce discours commémoratif n’est pas sans servir certaines arrière-pensées, les relations politiques entre Washington et Paris n’étant pas toujours des plus apaisées, l’histoire se révèle pour sa part plus complexe. C’est notamment ce que montre le journal de Vernon E. Kniptash1, un engagé volontaire américain originaire de l’Indiana, cet état du centre des Etats-Unis dont les habitants sont surnommés les Hoosiers.

Carte postale, collection particulière.

Agé de 22 ans au moment de l’entrée en Grande Guerre de Washington, Vernon E. Kniptash est dessinateur dans un cabinet d’architecte, ce qui témoigne d’un certain niveau socio-culturel. Or celui-ci doit être souligné car le journal qu’il rédige tout au long de la campagne témoigne d’une compréhension du conflit qui est semble-t-il assez singulière. Il s’engage en avril 1917 en étant persuadé que la conscription va être instaurée aux USA, raisonnement qui s’avère effectivement très juste mais qui peut aussi traduire une stratégie d’évitement de l’infanterie. En effet, c’est dans un régiment d’artillerie de campagne qu’il s’enrôle, de surcroît en tant qu’opérateur radio. Plus intéressant encore, il parait très clairement identifier les enjeux du conflit. A cet égard, il explique croire que l’Allemagne est réellement un pays dangereux, militariste, sous l’emprise d’un Kaiser qu’il présente comme un dictateur. Un événement semble l’avoir particulièrement marqué, cette séquence que l’on garde en mémoire aujourd’hui sous le terme d’atrocités allemandes2. Or cette prise de position sans ambiguïté est d’autant plus intéressante que l’auteur de ce carnet est lui-même le petit-fils d’un Allemand, ayant quitté Cologne en 1881 pour s’installer avec sa famille aux Etats-Unis.

Eduqué, disposant d’un certain capital culturel et de racines européennes, Vernon E. Kniptash n’en ignore pas moins tout du vieux continent lorsqu’il y débarque, à Saint-Nazaire, en novembre 1917. Ses premières impressions sont d’ailleurs très positives, entre pâtisseries françaises, gentillesse des populations civiles (sans doute ravies de lui vendre à bon prix ces gâteaux) et observations sur l’architecture bretonne. Restant quelques jours au camp n°1 à Saint-Nazaire, il part ensuite pour celui de Coëtquidan, transformé en base d’instruction pour les artilleurs américains.

Le 2 décembre 1917, Vernon E. Kniptash bénéficie d’une permission qu’il passe en compagnie de deux amis, Perry Lesh et Pete Clift, à Rennes. Or les quelques lignes qu’il consacre à ce court séjour dans le chef-lieu du département disent bien à la fois l’ampleur et les limites des rencontres entre Américains et Français pendant la Grande Guerre. Véritable porte d’entrée du monde en guerre sur le front ouest, la Bretagne est en effet un incontestable lieu de confrontation entre des peuples qui ne se seraient probablement jamais rencontrés sans le conflit. Dans son carnet, Vernon E. Kniptash dit ainsi avoir vu à Rennes « tous les soldats des puissances alliées » :

« Tout le monde depuis le Tommy britannique jusqu’aux Hindous ou tout autre pays où les noirs sont considérés comme des citoyens3. Il y avait des Russes, des Anglais, des Italiens, des Algériens, des Chinois et des Américains. »

Pour autant, l’artilleur admet que du fait des barrières linguistiques, les échanges entre ces différents peuples demeurent compliqués.

Carte postale, collection particulière. L'Hôtel central, invisible sur cette carte postale, se trouve à gauche, à l'emplacement de l'actuel restaurant Le Pavillon.

Une anecdote que narre Vernon E. Kniptash le montre d’ailleurs bien. Résidant en l’Hôtel central, situé place Saint-Michel à Rennes, le Hoosier demande à une employée de lui apporter de l’eau – water – afin qu’il puisse faire sa toilette. Or, dépité, le soldat américain explique dans son carnet que malgré le dictionnaire français-anglais qu’il s’est acheté dès avoir posé le pied en Bretagne, il parvient difficilement à se faire comprendre. C’est en effet une bouteille de cidre – cider – que lui amène cette dame travaillant à l’Hôtel central. Une mésaventure qui constitue assurément une limite à cette rencontre entre Français et Américains pendant la Première Guerre mondiale.

Erwan LE GALL

 

 

1 KNIPTASH, Vernon E. (edited by Geelhoed, Bruce E.), On the Western Front with The Rainbow Division. A World War I Diary, Norman, University of Oklahoma Press, 2009.

2 Sur la question se rapporter à l’incontournable HORNE, John et KRAMER, Allan, Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005. 

3 Intéressante, cette phrase rappelle non seulement que les Etats-Unis sont ségrégationnistes mais que Vernon E. Kniptash est sans doute peu au fait de la réalité coloniale.