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«Juicing», «fooding»... Cette mode ridicule des mots en «-ing»

FOTOLIA

Connaissez-vous le «phubbing», cette attitude qui consiste à ignorer une personne en consultant son téléphone? Comme lui, des dizaines de mots hybrides ont vu le jour dans la langue française. Le Figaro revient, grâce aux éclairages de Linda Giguère, sur ces termes bizarroïdes.

«Soyez cool et laissez-vous tenter par le juicing.» Cette phrase pourrait être une blague. La réplique d’un film parodique ou bien la citation d’un auteur français en mal d’amour anglais. Mais non. Cette nouvelle tendance, tout droit venue de nos voisins anglophones, n’est ni une «infox» - le mot français pour «fake news»- ni une plaisanterie - un autre mot français pour «gag». Elle existe vraiment et désigne l’art de «consommer des jus de légumes ou de fruits». Vous trouvez cela ridicule? Il y a pire encore: le «souping». Ce qui caractérise ni plus ni moins le fait... de se faire de la soupe.

En même temps, éplucher des légumes, pour les faire cuire dans l’eau, les préparer et les gober, ça devient tout de suite plus «cool» si on ajoute un «-ing», non? Cette faculté à ajouter des terminaisons anglophones est une tendance qui se généralise depuis quelques années, ainsi que le rapporte Linda Giguère dans L’humeur de Linda, diffusé sur TV5 Monde. Un exemple très concret: «On ne va plus au bureau mais on se rend dans un espace de co-working.» On ne fait plus de «remue-méninges», mais des «brainstormings». À prononcer sans le «s», au risque de dire «brainstorminx»...

Shopping!

À l’origine, rappelle la journaliste qui cite Le Monde, «les premiers mots en ‘‘-ing’’, sont apparus il y a une vingtaine d’années dans le monde de l’entreprise, du marketing et de la communication: coworking, colunching...». C’est le cas aussi des termes camping, parking, zapping... qui, en entrant dans la langue française, ont pris un sens différent de leurs homonymes anglophones. On parle ainsi de «camp site», «car park» et «channel surfing» pour ce qui est de l’équivalent du mot «zapping».

Jusque-là tout va bien. La langue française, comme toute langue moderne, vit et se nourrit donc d’emprunts. «Mais on en a créé d’autres», note avec pertinence Linda Giguère. «On a pris des mots français auxquels on a ajouté le suffixe -ing.» Et c’est alors que les choses se compliquent. Ainsi, on a donné naissance à des mots hybrides tels que «forcing», «listing»... Des termes qui possèdent bien pourtant leurs équivalents en français. Ceux-là rejoignent alors la liste des anglicismes qui pourraient être évités. Pourquoi ne pas dire, par exemple, «penderie» ou «garde-robe» à la place de «dressing», «faire les magasins» plutôt que «shopping»? Les formulations sont certes plus longues, mais elles ont le don de la précision...

Soyons snobs et parlons français!

En réalité, ce phénomène a deux explications, continue Linda Giguère: l’évolution de nos modes de vie et le besoin de montrer que l’on est de son temps. C’est un fait. L’anglais est la langue du numérique. Le français se modernise donc au gré des nouveautés, ici technologiques. Comme souvent, la révolution langagière se fait alors le reflet de la révolution sociétale. Le terme «phubbing» qui est la contraction du mot phone (téléphone) et snubbing (snober) a été créé pour caractériser l’attitude de celui ou de celle qui ignore autrui en consultant son téléphone».

L’«-ingisation» est aussi et soi-disant une manière d’être «hype». Linda Giguère l’explique très bien. Le «batch-cooking» désigne le fait de se préparer des plats pour la semaine. «En français, c’est la corvée du dimanche soir, mais avec le -ing, ça devient un moment de plaisir, de détente et de partage.» Idem pour les fooding, brunching et topping.

Mais allons, ce qui est à la mode est déjà dépassé. Alors soyons snobs, et parlons français!

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