A peine descendus de leurs bus, ils se regroupent et entonnent des slogans simples comme la contre-révolution : « Askariya ! » (le pouvoir aux militaires !). « Islamiya ! » (le pouvoir à l’islam). Voilà qui tranche avec la phrase qui a envahi les rues de Khartoum depuis près de deux mois : « Madaniya ! » (le pouvoir aux civils).
Ils sont venus de régions rurales. L’un d’entre eux dit même : « Ne cherchez pas mon village, il n’est pas sur la carte », et il semble s’en excuser. On les a tassés dans tout ce qui roulait pour les acheminer à Khartoum juste avant le coucher du soleil, vendredi 31 mai, à un moment où la phase suspendue de transition démocratique, au Soudan, semble sur le point de virer.
Du défi dans les yeux
Vers quoi, on l’ignore encore. Mais leur présence surprise dans les rues de la capitale pour un voyage organisé avec « package » rupture du jeûne-prière-manifestation, sous le regard de caméras et de drones, avant qu’ils remontent en courant dans leurs vieux bus et disparaîssent dans la fumée et les klaxons vers d’autres occupations, est le symptôme que le processus démocratique soudanais est en danger.
De la centaine de véhicules, il est descendu quelques bons milliers de personnes. Plutôt masculins. Des jeunes qui jettent des regards en tous sens, légèrement désorientés dans la grande ville, le front emperlé de sueur, un petit drapeau soudanais obligeamment fourni à la main. Des hommes plus âgés aussi, jellabiya – vêtement traditionnel – à la blancheur fanée, turban sur la tête, un peu de colère et du défi dans les yeux.
Leurs accompagnateurs se font discrets, mais leurs moyens de transports affichent la couleur politique : on y a fixé des banderoles avec les photos de deux figures de l’armée qui commandent le Conseil militaire de transition (TMC), le général Abdel-Fattah Al-Burhane et Mohammed Hamdane Dagolo « Hemetti », l’homme qui dirige aussi la principale force visible dans la capitale soudanaise, les Forces de soutien rapide (RSF). Jusqu’ici, le TMC avait pour vocation de s’effacer rapidement après le coup d’Etat du 11 avril.
Palais à deux têtes
Les ruraux qui envahissent les rues du centre sont là pour signifier une possible divergence du programme. Un test. Collectivement, ils ressemblent un peu au visage de la contre-révolution : on les a convoyés pour leur faire dire à quel point ils croient plus au pouvoir des militaires, à la prédominance du respect de l’islam qu’à toute autre considération présidant à l’organisation de la société soudanaise. Et qu’ils se contrefichent de la série de choses qui se discutent dans les rues de Khartoum nuit et jour, à moins de quinze minutes de marche.
Il vous reste 58.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.