Personne ne voulait vraiment les écouter, ou les prendre au sérieux. « La cathédrale est debout depuis plus de huit cents ans, elle ne va pas brûler comme ça », recevaient régulièrement en guise de réponse les anciens chefs d’équipe du PC sécurité de Notre-Dame, qui, à longueur de notes et de rapports, alertaient sur un système de protection incendie qu’ils jugeaient trop bancal. Lundi 15 avril, lorsque les flammes ont ravagé la toiture de l’édifice sur lequel ils ont veillé des journées entières et dont ils connaissaient les moindres recoins, un sentiment de gâchis a gagné ces spécialistes de la sécurité, la plupart ex ou encore employés de la société privée Elytis.
Les premiers éléments de l’enquête qui leur sont parvenus – laquelle écarte toujours, à ce jour, l’acte criminel – n’ont rien arrangé. Une mauvaise interprétation du signal au moment du déclenchement de l’alerte a considérablement retardé l’intervention des secours, comme l’ont déjà évoqué Marianne et Le Canard enchaîné. La personne en poste au PC ce jour-là, à peine formée, ne connaissait pas bien les lieux. Grâce à de nombreux témoignages, Le Monde a pu reconstituer cette demi-heure où tout a basculé et prendre la mesure, documents à l’appui, des failles du système que ces hommes dénonçaient.
Notre-Dame, monument historique le plus visité d’Europe, est l’unique cathédrale en France à être dotée d’un PC sécurité. Le local est installé dans le presbytère, cette petite maison côté Seine qui ne jouxte pas tout à fait l’église mais abrite l’appartement du gardien.
En 2014, lorsque la société Elytis s’y installe, deux de ses salariés sont prévus par vacation. Dans le jargon de la protection incendie, le Ssiap 2, chef d’équipe, veille sur le SSI (système de sécurité incendie), cette espèce de grande armoire sur laquelle des voyants et un petit écran s’allument en cas de « feu », ou de « dérangement ». Le Ssiap 1, lui, fait des rondes, et doit effectuer la « levée de doute », en moins de cinq minutes, lorsque l’alerte retentit. Mais, rapidement, le dispositif est allégé : un seul salarié Elytis par vacation et, en appui, un surveillant de la cathédrale formé aux bases de la sécurité incendie.
Une demi-heure de perdue
Lundi 15 avril, M. D., employé d’Elytis (nous avons fait le choix de ne pas publier les noms des agents) prend son poste à 7 h 30. A 15 h 30, comme personne ne le relève, il enchaîne avec la deuxième vacation, celle qui se termine à 23 heures. Ce sont ses premières heures au PC de Notre-Dame : il a déjà travaillé trois jours, depuis le début du mois, mais n’a encore jamais fait le tour complet du bâtiment.
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