Avortement: pas de retour en arrière!

L’interdiction d’avortement si le cœur fœtal est présent représente un danger réel pour les femmes victimes par exemple d’une grossesse extra-utérine qui ne pourraient être soignées en raison de la présence d’un cœur fœtal.

OPINION / Il s’est dit et écrit beaucoup de choses sur le droit des femmes à un avortement libre et gratuit au cours des dernières semaines.


Des états américains nous ramènent dans un passé pas si lointain avec la position extrême du « heartbeat bill », soit l’interdiction d’avortement si le cœur fœtal est présent. Cette position rétrograde et populiste représente un danger réel pour les femmes victimes par exemple d’une grossesse extra-utérine qui ne pourraient être soignées en raison de la présence d’un cœur fœtal.

La dérive qu’entraînent ces lois est évidente : les médecins qui pratiquent des avortements cesseront de le faire de crainte de se retrouver en prison. Les plus téméraires continueront d’en pratiquer, sans échographie, afin de ne pas confirmer la présence de battements cardiaques.

Les faits rencontreront vite la réalité : cela se déroulera dans des endroits clandestins, des complications surgiront et l’avortement illégal – qui tue les femmes – reviendra.

Entre l’Église et les soins

J’ai fait ma surspécialisation au Kentucky, dans les années durant lesquelles Bill Clinton cherchait la voie de son premier mandat. J’ai alors participé à toutes ces discussions autour de la couverture universelle en santé, qu’ici, nous considérons comme un acquis éternel.

Je me rappelle ma stupéfaction devant ces manifestations familiales sur le boulevard Mohamed-Ali, tous les samedis matin. Les participants brandissaient d’immenses affiches de photos de bébés en train de se faire démembrer.

Je me rappelle qu’on m’avait bien interdit de prononcer le mot « avortement » auprès de mes patientes adolescentes, dans ma clinique de contraception, au risque d’y perdre son financement par l’État.

Je me rappelle aussi que les infirmières m’avaient sérieusement avisée que si je continuais, il y avait aussi des risques pour ma sécurité. Cela, peu importe la nature de la grossesse, on devait tout simplement ne pas parler de ces choses- là.

Je me rappelle de voir mon nom, ainsi que celui de quelques collègues, dans le journal local du dimanche, le Louisville Tribune, en page centrale : Physicians pro-abortion! On m’avait alors recommandé d’aller chez mon marchand d’armes le plus proche. Et de fréquenter l’église de mon quartier...

C’est alors que j’ai décidé fermement de faire tout ce que je pouvais pour protéger le droit à l’avortement des Québécoises.

Soigner sans crainte

Qu’en est-il ici ? Malgré les apparences, rien n’est acquis. Rien du tout.

Le populisme a envahi les réseaux sociaux, la politique et les politiciens. De voir le vice-président américain affirmer qu’il est pro-vie en plein point de presse aux côtés du premier ministre canadien est surréaliste. Cela me donne des frissons et me confirme qu’il existe un risque bien réel que les femmes perdent cet acquis.

L’intimidation

Les commentaires désobligeants envers les courageux médecins qui pratiquent des avortements tardifs les inciteront peut-être à délaisser cet acte de peur de subir de malheureuses conséquences pour leur réputation et leur santé mentale.

De l’infirmière qui ne peut avoir d’enfant, au gynécologue parent d’un enfant trisomique, les professionnels de la santé posent des gestes difficiles qui bousculent leurs propres valeurs avec, comme seule priorité, le bien-être de leurs patientes.

Il n’y a que peu de soutien psychologique pour eux. Il est difficile de leur demander de laisser chaque jour leurs sentiments au vestiaire et de les reprendre après leur quart de travail... Pour pleurer en douce le soir, en cachette.

Si la brutalité de certains gestes gynécologiques peut froisser des politiciens, le médecin et son équipe connaissent mieux que quiconque le bien-être physique, psychologique et social de la patiente. Laissons-les faire leur travail. L’État n’a pas sa place dans le choix des femmes.

Le Québec a toujours protégé ses femmes et ses enfants. Freinons dès maintenant ce débat. Freinons tout retour en arrière, pour continuer de protéger les droits des femmes.

L'auteure est Diane Francœur, M.D., FRCSC, MHCM, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.