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Libération
Chronique «à l'heure arabe»

Détenues syriennes : après la prison, la stigmatisation

A l'heure arabedossier
Toutes les semaines, chronique de la vie quotidienne, sociale et culturelle dans les pays arabes.
par Hala Kodmani
publié le 1er juin 2019 à 16h50

Selma avait 19 ans quand elle a été arrêtée en 2013 par les services de sécurité du régime syrien à Damas. Elle a passé un an en prison à assister à des «tortures indescriptibles» selon ses mots, dont des viols des autres détenues politiques. «Relâchée au bout d'un an, j'ai rassemblé le peu qu'il me restait de force physique et mentale. Mais j'ai quitté ma petite prison pour une plus grande. J'ai souffert du mépris des gens et fait face à de nombreuses accusations voilées.» Considérées comme «souillées» ou ayant perdu leur honneur, du fait des viols éventuels, les anciennes prisonnières sont souvent rejetées par leurs familles. Pour échapper à son environnement, Selma a décidé de s'exiler en Turquie où elle s'est mariée et a donné naissance à un enfant. Mais la moindre dispute avec son mari se termine par : «Il ne te suffit pas que je t'ai épousé, alors que tu as été en prison !»

«Mise à l’écart»

Ce témoignage a été recueilli parmi des dizaines d'autres dans le cadre d'une campagne intitulée «Survivantes ou pas encore» sur le sort des détenues syriennes qui, une fois libérées, doivent affronter de nouvelles souffrances. A l'initiative de l'ASML (Association syrienne des médias libres) pour la formation de Syriennes au journalisme, l'équipe de reporters exclusivement féminine de Womenofsyria.com s'est intéressée ces dernières semaines à la question largement méconnue de la difficile réintégration au sein de la société des anciennes prisonnières. Car «la sortie de prison marque la fin d'une épreuve terrible, mais aussi le début d'une autre étape de violence et de souffrance», observe ce collectif. En effet, la société et les familles sont loin de réserver l'accueil réconfortant auquel s'attendraient légitimement les femmes «libérées».

Plus de 10 000 femmes, dont 837 mineures, ont été détenues en Syrie depuis le début du conflit en 2011. 80% d'entre elles ont connu les redoutables geôles du régime de Bachar al-Assad et les autres celles des groupes extrémistes dans les zones rebelles. Ainsi, Oum Mohamad, a été détenue pendant deux mois par l'Etat islamique qui contrôlait Raqqa. Son mari avait été assassiné en prison peu avant qu'elle ne soit arrêtée. «J'ai été abusée physiquement, émotionnellement et psychologiquement, résume la jeune mère de deux enfants. A la fin de chaque journée, ils m'injuriaient alors que j'étais au sol, la faim me tordant le ventre.» Oum Mohamad raconte aussi sa sortie de prison : «J'ai été mise à l'écart par la société, par mes proches et par mes voisins. Ils me considéraient comme une prostituée. Ils ont même interdit à leurs enfants de jouer avec les miens.»

La série de témoignages bouleversants a été publiée dans plusieurs médias alternatifs syriens et arabes depuis le 15 avril. La campagne a d’ailleurs initié un mouvement de la société civile, avec des sit-in dans plusieurs localités du nord de la Syrie. Les acteurs de la société se sont rassemblés autour de militantes féministes, d’anciennes détenues et de journalistes, afin de rechercher ensemble des solutions.

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