Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Amani Al-Ali, la liberté au bout du crayon

Depuis sa ville d’Idlib, dans une région contrôlée par les djihadistes, cette Syrienne de 35 ans traduit son expérience de la guerre en dessins.

Par 

Publié le 01 juin 2019 à 08h30, modifié le 01 juin 2019 à 21h35

Temps de Lecture 3 min.

Amani Al-Ali caricature aussi bien le régime d’Assad que les groupes djihadistes présents dans la province d’Idlib.

Habituée au bruit des bombardements et aux affrontements armés qui secouent sa ville d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, Amani Al-Ali prend les armes à sa façon. Depuis trois ans, cette trentenaire passe ses journées à caricaturer le régime du président Bachar Al-Assad et les groupes djihadistes présents dans sa région. En partageant sur Facebook ses dessins, souvent teintés de noir et de rouge, couleurs de l’obscurantisme et du sang, Amani Al-Ali commence à se faire un nom.

« Je mène la guerre sur deux fronts, les forces armées, qui nous terrorisent, et la société, arriérée. Les femmes ne sont pas censées être indépendantes. » Amani Al-Ali

« Je dessine ce qui se passe autour de moi : le pouvoir qui ordonne de bombarder ma ville, les groupes terroristes qui prétendent partager notre religion alors qu’ils ne cherchent qu’à extorquer de l’argent », explique la jeune femme, contactée par téléphone. L’un de ses dessins montre ainsi un homme barbu et entièrement vêtu de noir dont les conseils en religion sont transformés en billets par une broyeuse.

Dernières zones du pays encore tenues par l’opposition, Idlib et sa province sont passées, en 2017, sous le contrôle total de l’organisation djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham, ex-branche syrienne d’Al-Qaida. Depuis, les millions de civils qui vivent encore dans la région voient se succéder les offensives djihadistes et les frappes des forces progouvernementales syriennes et russes.

Depuis le 30 avril, ces dernières ont intensifié leurs bombardements, en vue de reprendre l’intégralité du territoire syrien. Des opérations menées en violation du cessez-le-feu instauré en septembre 2018 entre la Russie et la Turquie. Le gouvernement syrien aurait même eu recours à l’arme chimique, le 19 mai, lors d’une attaque dans le nord de la Syrie, non loin d’Idlib, selon le département d’État américain.

Des cours en cachette

Amani Al-Ali a décidé, il y a trois ans, de traduire ce quotidien éprouvant en images. Elle a commencé à prendre des cours de dessin en cachette, dans une école maternelle. Le début, pour elle, d’une autre lutte, plus personnelle. « J’ai passé un accord avec un professeur de dessin pour que nos leçons restent secrètes. Mes parents croyaient que j’étais bénévole auprès d’enfants », explique-t-elle. Trois mois plus tard, elle leur a révélé la vérité. Son père ne lui a pas adressé la parole pendant plusieurs mois.

L'un des nombreux dessins réalisés par la dessinatrice syrienne.

« Mes parents ont peur du regard de la société. L’idée de la fille indépendante qui apprend à dessiner par elle-même les effraie. » Et de poursuivre : « Je mène la guerre sur deux fronts, les forces armées, qui nous terrorisent, et la société, arriérée. Les femmes ne sont pas censées être indépendantes ; moi, je n’ai pas peur de l’être et de dire ce que je pense. » A 35 ans, elle est l’une des seules femmes de sa région encore célibataire. « Dans notre société, les filles se marient dès l’âge de 20 ans. Je suis très contente d’être seule, de pouvoir dessiner sans que personne ne m’impose d’arrêter », confie-t-elle.

La dessinatrice, qui a réalisé près de 200 caricatures sur le régime syrien, est menacée de mort par les partisans de Bachar Al-Assad sur Facebook.

Malgré son courage, Amani Al-Ali craint parfois pour sa vie, à cause de ses dessins. « La peur m’empêche de sortir de chez moi. Lorsque je le fais, mon frère ou mon père m’accompagne, raconte-t-elle. Il m’arrive de faire seule de petits trajets, mais je reste très prudente. Je préviens systématiquement mes parents pour qu’ils sachent où je vais. »

Près de 2 500 personnes suivent son travail sur Facebook, également diffusé par Horrya Press, un site d’information en ligne fondé en 2015 par des journalistes et des militants syriens opposés au président Assad. Ces derniers connaissent un problème de financement et ne peuvent plus payer la jeune femme. Elle continue cependant de travailler, bénévolement, avec eux.

Une exposition en préparation

La dessinatrice, qui a réalisé près de 200 caricatures sur le régime syrien, est menacée de mort par les partisans de Bachar Al-Assad sur Facebook. Ce qui ne la freine pas dans sa création. Elle a publié trois de ses caricatures dans un journal aux Pays-Bas. D’Idlib, elle est également parvenue à exposer ses dessins en Angleterre, lors d’une rétrospective sur la révolution syrienne.

Depuis quatre mois, la jeune femme prépare une exposition en Turquie, qui s’articulera autour de la relation hommes-femmes en Syrie. Amani Al-Ali espère quitter son pays bientôt. « Je ne sais pas quand je sortirai, mais je suis certaine de le faire. Ce n’est pas une vie, ici. Je compte demander asile à la France, je sais que les Français aiment bien les artistes », plaisante-t-elle. Plus tard, elle réalisera son autobiographie en bande dessinée : « Malgré les bombardements sur ma ville et les réticences de mes proches, j’ai continué à faire ce que j’aimais. Mon histoire mérite d’être racontée. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.