Les inégalités sociales se creusent en Ile-de-France

19 % de la population française y vit, 30 % du PIB y est produit mais les écarts entre riches et pauvres sont de plus en plus importants en région parisienne. Une étude publiée ce lundi révèle les dessous de cette évolution depuis le début des années 2000.

 Saint-Ouen. Le quartier des Docks a vu arriver une population plus aisée. Ici, la livraison du premier immeuble.
Saint-Ouen. Le quartier des Docks a vu arriver une population plus aisée. Ici, la livraison du premier immeuble. LP/Jean-Gabriel Bontinck

    L'Ile-de-France, la région la plus riche de France mais aussi la plus inégalitaire. C'est ce qui ressort d'une étude* de l'Institut d'Aménagement et d'urbanisme (IAURIF), rendue publique ce lundi, et qui porte sur la période 2000-2015. « Les espaces aisés se sont consolidés par enrichissement et diffusion de la richesse dans les territoires limitrophes un peu moins aisés, quand des pans urbains entiers se sont au contraire paupérisés », pointe cette étude réalisée par Mariette Sagot.

    LP/Infographie
    LP/Infographie LP/Jean-Gabriel Bontinck

    Le grand écart des revenus. Le taux de pauvreté est à la hausse depuis la crise de 2008, et dépasse le taux national (15,9 % en 2015 soit un point de plus). L'appauvrissement des ménages s'est renforcé dans les communes les plus modestes de banlieue, au nord de Paris jusqu'à l'est du Val-d'Oise, et au sud, en amont de la Seine (ouest du Val-de-Marne, nord-est de l'Essonne jusqu'au secteur d'Evry).

    C'est à Paris que l'on trouve le plus de ménages très aisés (18,4 %), le plus de cadres (25,9 %) et le moins d'ouvriers (7 %). La Seine-Saint-Denis, département où les enfants en bas âge sont les plus nombreux, concentre aussi les ménages franciliens les plus pauvres, et deux fois moins de ménages aisés que le taux régional. Les foyers les plus pauvres sont plus nombreux à se loger dans le privé, dans des habitats souvent dégradés.

    Mis à part les Yvelines, la grande couronne reste privilégiée par les ménages aux revenus moyens. En Seine-et-Marne, la part des plus pauvres tend à baisser, tandis qu'en Essonne et dans le Val-d'Oise, c'est la proportion des plus aisés qui diminue.

    Baisse du pouvoir d'achat dans la moitié des communes pauvres. 1 856 000 habitants, soit 15 % des Franciliens, ont vu leur pouvoir d'achat diminuer en quinze ans, et la pauvreté s'est accrue dans huit communes déjà pauvres (Grigny, Villiers-le-Bel, Pierrefitte, La Courneuve, Clichy-sous-Bois, Stains, Aubervilliers, Bobigny).

    Dans 26 autres villes considérées comme pauvres (769 00 habitants), le revenu s'est en revanche plus accru qu'en moyenne. C'est le cas à Chanteloup-les-Vignes (78) ou Saint-Ouen-l'Aumône (95), où la disponibilité foncière a permis de développer le parc locatif privé. De fait, la construction et les choix des types de logements nouveaux apparaissent comme des leviers de transformation sociale.

    Une gentrification par quartier seulement. La gentrification, c'est à dire l'embourgeoisement de quartiers (déjà aisés, mixtes ou pauvres) se constate dans plusieurs villes à l'échelle d'un seul quartier ou d'une partie d'arrondissement parisien. A noter, l'arrivée de ménages très aisés et une baisse de la pauvreté à Paris (Xe, XIe, XIIe), Puteaux, Bois-Colombes, Asnières, Suresnes (92), Joinville-le-Pont (94).

    Des secteurs moins aisés se sont aussi embourgeoisés depuis le début des années 2000, au nord est de Paris (surtout le XVIIIe arrondissement), Colombes (92), Malakoff, Maisons-Alfort (94) ou Les Lilas (93) avec une baisse de la pauvreté. En revanche sur Arcueil, Cachan, Le Kremlin-Bicêtre et Fontenay sous-Bois (94), la pauvreté n'a pas baissé. A Pantin, Bagnolet, Romainville, Le Pré-Saint-Gervais (93), Bagneux (92), Villejuif (94), les indicateurs pointent même une paupérisation.

    * « Gentrification et paupérisation au cœur de l'Ile-de-France, évolutions 2001-2015 ». www.iau-idf.fr

    « UN ÉVENTAIL DE RÉMUNÉRATIONS PLUS LARGE QU'AILLEURS, PROPICE AUX INÉGALITÉS »

    Martin Omhovère, directeur du département Habitat et Société de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la région Ile-de-France, décrypte pour nous l'étude concernant les évolutions des richesses en Ile-de-France.

    Martin Omhovère, directeur du département Habitat et Société de l’IAU Idf. LP/C.S.
    Martin Omhovère, directeur du département Habitat et Société de l’IAU Idf. LP/C.S. LP/Jean-Gabriel Bontinck

    Pourquoi le fossé des inégalités sociales s'est-il creusé en quinze ans ?

    Depuis la crise de 2008, l'Île-de-France a perdu 69 000 emplois. Si le regain économique a été plus rapide qu'ailleurs en France, il a aussi été plus pauvre en emplois et le taux de chômage (8,8 % en 2015) y est encore nettement plus élevé qu'au début des années 2000. Ensuite, l'Ile-de-France, qui abrite 19 % de la population française et produit 30 % du PIB, présente un système économique fortement créateur de richesses propres aux grandes métropoles. Cela se traduit par un éventail de rémunérations plus large qu'ailleurs en France, et propice aux inégalités. Avec plus de cadres qu'ailleurs, le niveau de vie des Franciliens les plus riches est supérieur de près d'un quart à celui des autres Français les plus riches en 2015. Pour les plus pauvres, c'est l'inverse avec des niveaux de vie inférieurs de 5 % à ceux des autres Français les plus pauvres. Le fossé s'explique enfin par les effets des mutations sociales, notamment la croissance des ménages dont les ressources reposent sur un seul adulte du fait de l'instabilité des unions.

    Comment expliquez-vous l'embourgeoisement de certains quartiers seulement au sein d'une ville ?

    Géographiquement, les quartiers qui se « gentrifient » sont les plus proches de secteurs déjà très valorisés. Ainsi, des communes à la jonction de territoires socialement très différents connaissent des évolutions contrastées. C'est renforcé par la structure du parc immobilier, le parc social est beaucoup moins sujet à la transformation de son peuplement. Or, dans beaucoup de communes franciliennes, le parc social ancien est concentré dans certains secteurs, ce qui renforce les évolutions différenciées avec les quartiers accueillant du logement privé, sujet,lui, aux évolutions des marchés immobiliers.

    Que deviennent les plus modestes, doit-on s'attendre à ce qu'ils s'éloignent ?

    Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette trajectoire est plutôt celle des classes moyennes souhaitant accéder à la propriété. Ce processus n'est pas nouveau, le grand mouvement d'accession à la propriété en maison individuelle des années 1970 à 1990 s'était accompagné d'un éloignement du centre, mais il rimait alors avec un nouveau mode d'habiter. Aujourd'hui, à moins d'accéder au logement social et d'en rester locataires, beaucoup de familles qui souhaiteraient se maintenir en cœur d'agglomération et vivre en appartement n'en ont plus les moyens. Les plus pauvres et précaires trouvent refuge dans le parc locatif privé dégradé, voire indigne, que l'on retrouve dans les centres-villes anciens ou le pavillonnaire vétuste.

    Quel impact peuvent avoir les transports comme le supermétro et les grands projets à venir ?

    Probablement accentuer des évolutions contrastées : embourgeoisement de ceux bénéficiant d'une accessibilité améliorée et située à proximité des zones déjà valorisées. Mais l'accès aux transports ne se traduira sans doute pas toujours par un enrichissement, notamment dans les secteurs les plus pauvres de la région. Ces zones, dont le parc de logements est souvent dégradé risquent de continuer à jouer un rôle d'accueil des plus fragiles.