Non, la démographie n’est pas la cause cardinale du désastre écologique

@ Christine Marcandier

Contester le désastre n’est plus guère possible. La vie est en train de s’effondrer sur Terre. La très prudente ONU parle de menace existentielle directe, les scientifiques pointent le risque d’extinction d’un million d’espèces à court terme. Il ne reste plus que quelques marginaux insignifiants pour douter de la gravité de la situation. En revanche, tout est plus complexe dès qu’il s’agit de penser les causes ou de proposer les solutions.

Dans un article précédent, j’ai expliqué pourquoi je pense qu’il faut s’attaquer aux conséquences plutôt que de hiérarchiser les causes. Mais il est un argument qui revient comme un leitmotiv : toute la faute reposerait sur la démographie galopante. Comprendre : c’est à l’Afrique et à l’Inde de faire des efforts, certainement pas à nous ! L’Europe est le plus gros pollueur de la planète quand on intègre sur les deux cents dernières années, et les États-Unis le sont si l’on intègre sur les cent dernières années. Mais, évidemment, nous ne serions pas les « vrais coupables », nous les occidentaux… Il faudrait, une fois de plus, regarder ailleurs et faire payer les plus pauvres.

Premièrement, la démographie mondiale n’augmente pas de façon exponentielle, contrairement à d’autres grandeurs très inquiétantes. Bien que les marges d’erreurs soient importantes, les études récentes suggèrent une stabilisation, suivie d’une lente décroissance, à l’horizon 2050. Nous ne sommes pas actuellement sur une trajectoire divergente.

Deuxièmement, le fait est qu’occuper l’espace disponible et surexploiter les ressources est un fondamental très ancré dans l’esprit humain. Rien ne laisse sérieusement penser que la vie sauvage ne serait pas tout autant dévastée dans un monde peuplé d’un petit nombre d’humains surpuissants et « dérégulés ».

Troisièmement, l’idée qu’en étant moins nombreux nous pourrions inconséquemment nous conduire de façon parfaitement insoucieuse – continuer à nous vautrer dans une hubris débridée de réification des autres vivants et de pollution joyeuse – est une erreur axiologique. C’est considérer la nature comme une ressource et non pas comme un étant qui vaut en lui-même. C’est supposer que tant que le système est stable aucun mal n’est commis. Ce qui est littéralement faux : les pires horreurs peuvent perdurer bien longtemps et la pérennité est tout sauf un critère de légitimité.

Les exactions locales ne sont jamais dissoutes dans le brouillard global. Croire que des humains moins nombreux ne changeant pas leurs habitudes constituerait une solution, c’est se focaliser sur les espèces et oublier les individus, c’est penser purement en termes macroscopiques en négligeant l’échelle propre du vivant. Nous tuons actuellement mille milliards d’animaux sensibles par an sans que cela soit nécessaire. Sans rien changer à nos modes vie, nous en tuerions donc cinq cents milliards en étant deux fois moins nombreux. Le problème serait-il résolu ? N’est-ce pas plutôt dans une révolution de notre être-à-l’autre que se trouve la voie signifiante ?

Quatrièmement, un plus grand nombre d’humains se comportant de manière moins délirante et plus respectueuse (des autres et de la nature – dont nous ne sommes finalement qu’une partie) conduirait évidemment à un impact fortement diminué. Les marges de progression sont tellement immenses qu’il serait aisé de faire baisser la pollution, le réchauffement climatique, l’hécatombe des populations animales et les violences intra-humaines en étant 30% plus nombreux qu’aujourd’hui. La révolution à opérer concerne une remise en cause profonde de notre manière d’habiter l’espace, pas à nous assurer que nous soyons suffisamment peu nombreux pour pouvoir le saccager encore quelques années de plus.

Cinquièmement, quand bien même nous limiterions arbitrairement le nombre d’humains, le dogme de la croissance – économique, capitalistique, technologique – tel qu’en vigueur conduirait mécaniquement à une flambée exponentielle de l’impact (c’est mathématiquement inéluctable dès lors que l’augmentation est proportionnelle à la valeur atteinte). Le désir de donner la vie étant l’un des fondamentaux du vivant, ne serait-il pas plus raisonnable de limiter la velléité de certains à prendre l’avion régulièrement ou notre pulsion de développement incessant de nouvelles générations de téléphones portables ? N’est-il pas plus sensé de freiner notre besoin d’avoir que notre désir d’être ?

Sixièmement, oui, l’histoire coloniale qui est la nôtre rend toute « leçon » donnée aux peuples que nous avons tant violentés presque insupportable. Et strictement inaudible. La réflexion qui doit être menée quant à la natalité dans les pays les plus concernés ne peut qu’y être menée in situ.

Septièmement, si le désir d’endiguer la croissance démographique nous gagnait réellement et sincèrement (je suis personnellement favorable à la sortie des politiques « natalistes »), n’oublions pas que les solutions sont bien connues : éducation, assurance maladie et mise en place d’un système de retraite efficace (afin que les enfants ne soient plus la seule « garantie » en cas de coup dur et pour les vieux jours). Autrement dit, là aussi, le combat écologique est cousin de la lutte sociale.

De grâce, si le sort de la vie sur Terre vous importe, cesser de croire que la démographie est le problème et donc que, naturellement, nous – fiers Européens – n’avons aucun problème.