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Le fabuleux destin d’Albert Koski

Le fabuleux destin d’Albert Koski
Le fabuleux destin d’Albert Koski © Patrick Fouque/Paris Match
Benjamin Locoge

Il a l’âge de se raconter. Pendant des années, Albert Koski a fui la presse et les médias. « Je suis né sur le quai de gare de Bialystok, dans un train en partance pour les camps de concentration. Ma mère ne m’en a jamais parlé, je ne l’ai su qu’après sa mort. Mais, sortant de là, j’ai eu des visions toute ma vie de la cruauté. Ça permet d’apprendre beaucoup sur la nature humaine. Mais cela a aussi fait que je n’ai pas parlé. Beaucoup de juifs n’ont pas raconté leur truc… » Albert Koski a été de 1972 à 1987 le plus grand producteur de concerts de rock en France via sa société KCP. Sans lui, Led Zeppelin, les Rolling Stones, les Who, Bruce Springsteen, Pink Floyd, Lou Reed ou Bob Dylan auraient tout simplement zappé l’Hexagone de leurs tournées. « Quand je me suis lancé, en 1972, les agents anglais ne voulaient plus venir en France. Il n’existait pas de structures pour accueillir les artistes. Tout était à faire. Alors j’ai tout monté moi-même, au point d’avoir le monopole sur tout le monde du rock d’alors. »

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La route pour en arriver là a pourtant été longue. A la fin de la guerre, les Koski n’ont plus rien. Ils vivent près de Vienne, leur patrie, ont tout perdu, à commencer par l’espoir. « Un matin à côté de la gare, je repère une fille de mon âge dans une petite robe. Je la suis pour tenter de l’embrasser. On se retrouve sur les quais, où étaient entreposés des dizaines de wagons pleins d’anciens billets qui ne valaient plus rien. Dans ma course, je glisse sur une crotte. Je sens dans cette merde une capote anglaise. J’avais vu dans les camps les juifs mettre leur argent dedans. Je comprends immédiatement ce que c’est. Je ramène l’ensemble à ma mère. Il y avait 500 dollars dedans, soit l’équivalent de 500 000 dollars actuels. Nous étions sauvés. » Encore aujourd’hui Albert voue une admiration sans bornes à sa mère. « C’est elle qui a sauvé mon père, enterré vivant, prêt à être exécuté par les nazis, en allant quémander sa tête. Si on s’est échappés du goulag, c’est aussi grâce à elle. Quand elle est morte, mon père a épousé une cousine en Israël et il a été enterré avec elle. Je n’ai pas compris. Mais c’est ça la vie. »

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La vie va toutefois lui réserver de belles surprises. Quand les Koski s’installent en France en 1951, le jeune Albert est pris sous la coupe de United Jewish Appeal, organisme créé après la guerre pour aider les juifs. « Je me suis retrouvé fin 1956 dans le Missouri pour voir si j’étais apte à suivre des études aux Etats-Unis. Et c’est comme ça que je suis arrivé à New York au moment où Elvis Presley faisait son apparition. C’était un grand boum. » Albert enchaîne les petits boulots, vend des chaussures aux dames sur Madison Avenue et passe ses étés en France. C’est sur un paquebot néerlandais le ramenant à New York qu’il rencontre sa première épouse, dessinatrice pour « Vogue ». Il a 19 ans, il est amoureux et, grâce à elle, il fait la connaissance des jeunes photographes de l’époque : Irving Penn, Richard Avedon, David Bailey. « Les mecs étaient payés à la séance et ne touchaient aucun droit. Je gagnais bien ma vie à Wall Street, mais je leur ai proposé d’être leur agent en Europe, il m’a fallu trois ans pour y parvenir. Quand j’ai réussi, les mecs sont devenus milliardaires du jour au lendemain. Et moi, je ne touchais rien. J’étais vraiment trop con. »

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Quand Marc Bolan montait sur scène, il se prenait 2500 petites culottes dans la figure. J'ai compris que ce job était pour moi

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Koski a néanmoins un joli carnet d’adresses. « Via Bailey j’ai rencontré Mick Jagger au début des années 1960. Il sortait avec une fille et moi avec la sœur. Ça nous a rapprochés. Il ne m’a jamais payé un café, mais nous sommes restés copains. » Après une expérience foireuse à Hollywood en tant qu’agent d’Antonioni – « mais qui m’a permis de passer un an avec Steve McQueen à Los Angeles », Albert est de nouveau sans le sou. « Dans ces moments-là, il n’y a souvent personne pour vous tendre la main. Mais j’ai quand même appelé une copine qui s’occupait des tournées de Bowie et de T.Rex en Angleterre. Je ne connaissais pas ce monde, elle m’a dit de venir, je suis resté un mois et demi avec Marc Bolan, qui mesurait 1,60 mètre, dont les cheveux partaient dans tous les sens. Mais quand il montait sur scène, il se prenait 2 500 petites culottes dans la figure. J’ai compris que ce job était pour moi. »

Les Hells Angels lui vouent une reconnaissance éternelle

Ce job en réalité est celui de producteur : l’homme qui trouve une salle pour y faire jouer ses poulains. Hormis l’Olympia et le Palais des Sports, Paris ne possède alors aucune salle de concert. Koski met la main sur le Pavillon de Paris, à la Villette, ancêtre du Zénith, et s’arrange avec les autorités pour mener sa barque. « Un soir, le courant était coupé. J’ai appelé Giscard, car j’avais organisé un concert de Santana pour les jeunesses giscardiennes, en lui demandant de m’aider. Il l’a fait. Mais je tenais mon affaire. Quand ça n’allait pas, ça giclait aussitôt. » Avec 7 800 sièges, le Pavillon de Paris est le lieu parfait pour toutes les vedettes d’alors. « Le gros problème était la sécurité. On faisait entrer jusqu’à 13 000 personnes, c’était chaud. Un soir de concert des Stones, un camion manque de renverser une fillette. Je me suis jeté pour la rattraper. C’était la gamine d’un Hells Angels. Le mec m’a dit : “On t’aidera jusqu’à la fin de tes jours”, et il a tenu parole. » L’argent gagné à Paris lui permet de produire aussi des concerts en province, comme celui de Bowie à Marseille qui a failli ne jamais avoir lieu. « Les membres de la sécu locale avaient planqué des billets dans leurs chaussettes, c’était l’anarchie. J’ai vu ma dernière heure arriver. Mais on a fini par faire le concert. Bowie en a souvent reparlé. »

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Jacques Higelin ne m'aimait pas parce que j'avais tout fait pour lui

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L’aventure KCP connaît une fin brutale en 1987. « Jean-Claude Camus, mon ennemi juré [il a encore du mal à prononcer son nom], a adressé une lettre au fisc pour dire que j’avais des comptes planqués en Suisse. L’administration a envoyé 22 agents lors d’un concert de Santana. Ils n’ont rien trouvé. Puis ils sont venus chez moi et ont tout bloqué. Comme j’étais un homme de parole, je n’avais par exemple pas de contrats avec les Stones, ma parole ne valait plus rien. J’ai tout perdu. » Albert mettra dix ans à se relever entre pontages et opérations. « Mais je me suis bien marré », philosophe-t-il aujourd’hui, ravi de raconter son amitié avec Eric Clapton, « un homme sublime », sa détestation de Roger Waters, le fondateur de Pink Floyd, qui milite contre la tenue de concerts en Israël, ou sa tristesse envers Jacques Higelin : « Je l’ai emmené partout, de Mogador à Bercy, mais il ne m’aimait pas parce que j’avais tout fait pour lui. »

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Albert s’est, depuis, reconverti dans la production de films auprès de la femme sa vie, la réalisatrice Danièle Thompson avec qui il est en couple depuis quarante-quatre ans. Depuis vingt ans, il utilise les souches de billet de ses concerts qu’il explose sur des toiles avec l’aide de Xavier Bourré. Ou fait sérigraphier les affiches qu’il créait souvent lui-même. Ce sont ces œuvres qu’il se décide enfin à montrer. Pour mieux se raconter publiquement. Il était temps. 

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