Une étape incontournable pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : Arolsen

Petite localité du land de Hesse, entre Dortmund et Göttingen, la ville de Bad Arolsen a longtemps constitué une étape incontournable pour celles et ceux qui travaillent sur la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’agisse d’historiens ou de généalogistes d’ailleurs. C’est en effet là que sont conservés les kilomètres linéaires d’archives – 26 pour être exact – relatives aux victimes de la répression et des persécutions nazies, soit un total de 17,5 millions de personnes, ces notions étant comprises dans un sens large. Mais, grâce à la magie de la numérisation et de la mise en ligne sur internet, le voyage en Allemagne n’est aujourd’hui plus complètement nécessaire : ce ne sont en effet pas moins de 13 millions de documents qui sont aujourd’hui disponibles en quelques clics, prêts à être soumis à la sagacité des chercheurs.

Fiche du célèbre déporté rennais Honoré Commeurec. Centre international de documentation des persécutions nazies.

D’allure classique, le site du Service international de recherche, aujourd’hui dénommé Archives d’Arolsen, est très simple d’utilisation et permet d’accéder à de nombreux parcours de Bretons : résistants déportés mais aussi requis du travail forcé. Pour autant, bien qu’aisément accessibles, ces informations doivent appeler deux remarques préliminaires. La première, évidente mais qu’il convient toutefois d’avoir bien en tête, est que les 13 millions d’archives numérisées et aujourd’hui disponibles en ligne ne représentent qu’une partie des fonds constitués et conservés par le Centre international de documentation des persécutions nazies. Autrement dit, et pour l’exposer en des termes plus explicites, le déplacement à Bad Arolsen constitue encore une étape incontournable pour une recherche approfondie.

En second lieu, il convient d’avoir à l’esprit que les parcours que ces archives donnent à voir sont des reconstructions. En effet, le Service international de recherches est institué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour documenter le sort des victimes du national-socialisme. Autrement dit, en compilant des documents récupérés dans des prisons et dans des camps du Reich, dans différents organismes chargés du rapatriement des survivants ou de leur prise en charge sociale après le conflit, ce site renseigne avant tout sur la manière dont fonctionne le Service international de recherche. Ce n’est que par la bande qu’il donne à voir la Résistance ou la répression de l’occupant nazi. C’est là une nuance subtile mais elle toutefois de taille.

Il n’en demeure pas moins que ces archives sont d’une grande richesse et rendront bien des services, tant aux historiens qu’aux généalogistes. En considérant par exemple le cas de Daniel Le Flanchec, emblématique maire de Douarnenez déporté par mesure de répression à Buchenwald, on peut ainsi consulter une sélection de documents le concernant qui retracent – succinctement – son parcours au sein du système concentrationnaire nazi. Derrière une apparence de normalité bureaucratique, qui ne doit absolument pas tromper tant il s’agit là d’une caractéristique essentielle de l’hydre de mort nazie, se cache la réalité d’une nébuleuse de camps destinée à éliminer les détenus qui y sont déportés. Ces sources sont donc très délicates à manier et ne sauraient remplacer le témoignage des survivants. Le numéro matricule – dans le cas de Daniel Le Flanchec 43369 – dit finalement peu de choses de toute la logique de déshumanisation qui se cache derrière cette série de chiffres. Aussi ne pouvons-nous donc que nous féliciter du e-guide proposé par le Centre international de documentation des persécutions nazies, sorte de tutoriel qui décrit précisément chaque type de document consultable sur le site. C’est là une initiative qu’il faut saluer tant ce type de médiation en ligne, pourtant essentielle, est malheureusement trop souvent absente ou lacunaire.

Fiche relative au déporté Daniel Le Flanchec. Centre international de documentation des persécutions nazies.

L’intérêt de ces archives est essentiellement biographique. Arolsen est donc incontournable pour les généalogistes mais aussi pour les historiens engagés dans une démarche prosopographique. Mais, là encore, le croisement des sources et l’interopérabilité des bases de données est une dimension essentielle. En conséquence, ces archives ne peuvent être considérées sans un amont (on pense bien entendu aux livres-mémoriaux de la déportation partie de France mais aussi aux archives de l’occupation, aux bases de données répertoriant les Résistants et bien entendu aux outils biographiques documentant l’avant-guerre, à l’instar du Maitron) et, plus rarement, sans un aval. Bien entendu, dans le cadre de déportés, qu’il s’agisse de répression ou de persécution, ce cas de figure est plus rare. Mais en ce qui concerne les réquisitions pour le travail forcé, les taux de mortalité sont heureusement beaucoup moins élevés, ce qui invite tout naturellement à interroger les archives des anciens combattants et victimes de guerre. Malheureusement, celles-ci sont encore trop peu accessibles en ligne.

Erwan LE GALL