Agadez, Niger. Drogues, armes et migrants, trafics en tous genres

Agadez, « porte du Sahara ». À la frontière entre la Libye, l’Algérie et le Mali, cette région du nord du Niger est traversée par toutes sortes de trafics, avec parfois des conséquences dramatiques sur la population. Reportage.

Rue d’Agadez.
Willemstom sur Flickr

« Ça, c’est de la bonne », souffle Rabé, en laissant une grande bouffée de fumée s’échapper de ses narines. « Cette ganja-là, elle nous vient du Ghana. Elle est bien meilleure que celle du Nigeria », ajoute le trentenaire en tapotant son joint contre le sol, avant de le passer à son voisin de gauche. En ce printemps 2019, ils sont une demi-douzaine de jeunes hommes dans cette chambre de moins de six mètres carrés. Installés sur des matelas aux couleurs vives à même le sol, le dos contre le mur, certains effritent, d’autres tirent sur leur pétard et les derniers contemplent les nuages de fumée qui s’amassent dans la pièce exigüe. Il fait chaud. L’atmosphère est lourde. L’air est enivrant.

« Moi, je fume le cannabis depuis que j’ai neuf ans », assure Sitomas, mais maintenant, je prends aussi du Tramadol. Je paie 1500 francs CFA [2,30 euros] le comprimé », ajoute-t-il. Les autres l’écoutent, un peu curieux. Il est le seul dans cette pièce à consommer cet antidouleur aux vertus hallucinatoires. « Il prend ça pour avoir une force supplémentaire », explique son ami Harouna, comme pour le justifier. « Il travaille dans la construction et le Tramadol l’aide à porter les sacs et l’argile, poursuit-il. Mais je regrette d’avoir connu cette drogue. Je ne peux pas passer une journée sans en prendre », ajoute Sitomas.

Calé sur un coussin, Scorpion, le dealer, celui qu’ils appellent « Boss » les écoute. Lui, il ne vend que du cannabis, mais il peut indiquer les lieux où se procurer d’autres substances. « Ici, c’est un carrefour, tu peux tout trouver. L’héroïne et la cocaïne c’est pour les riches. Pour les pauvres, il y a le Tramadol, la ganja et la colle », explique-t-il.

« Je préfèrerais mourir »

Dans la ville d’Agadez, dans le nord du Niger, la drogue se vend aux abords des marchés, à la gare routière ou via des dealers plus discrets qui n’acceptent de commercer qu’avec des consommateurs qui leur ont été présentés au préalable. Ils connaissent par cœur ces maisons en briques d’adobe et savent quelle porte de tôle franchir pour fournir leurs clients, qui s’empressent de cacher dans leur matelas les précieux petits sacs en plastique qu’ils viennent d’acquérir.

À la tombée du jour, les psychotropes, le cannabis et le crack se trouvent au marché de nuit ou dans les bars. Le nombre de consommateurs augmente. « Mes amis [avec qui je me drogue] sont nombreux. Il y a de petites filles, de nouvelles recrues. Il y en a qui ont 15 ans, 16 ans », explique Adila, une jeune fille maigre vêtue d’un pagne turquoise. Avant de prendre le crack, elle a essayé la colle et le Tramadol. Elle témoigne, installée sur une chaise en plastique, chez une femme qui l’a aidée lors de son dernier accouchement. À 22 ans, Adila a déjà donné naissance à six enfants. Seul deux d’entre eux sont encore en vie. Pour avoir de quoi payer sa dose de crack à 25 000 FCFA (38 euros), la jeune fille se prostitue. Elle ne sait plus quoi faire pour mettre fin à la dépendance. « Je préfèrerais mourir que de vivre cette vie, parce que j’ai vu beaucoup de choses », assure-t-elle, les yeux remplis de larmes.

À destination du Maghreb

Toutes les drogues qui circulent dans la région d’Agadez ne sont pas destinées à y rester. Bon nombre d’entre elles ne font que traverser le nord du Niger. Le Tramadol, le Diazépam, l’amphétamine et la métamphétamine passent par les pays du sud de l’Afrique de l’Ouest pour remonter vers le Maghreb. Ils sont généralement convoyés en petite quantité à bord de camions de marchandises, de bus ou de motos.

Aujourd’hui, c’est le Tramadol qui est la drogue la plus prisée dans la région. En 2018, l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) a saisi plus de 16 millions de comprimés au Niger. Le Tramadol est consommé tant pour ses vertus hallucinogènes que pour ses effets dopants. Certains, comme Sitomas, l’utilisent pour faire face à des travaux manuels épuisants. Les groupes armés de la région en ont aussi fait leur stimulant de prédilection. « Les milices ont besoin de drogues pour tenir debout. Moi, à Sabha, j’ai vu des miliciens toubous, ils sont assis et chacun a devant lui sa dose de Tramadol. Ils parlent, mais ils disent n’importe quoi », explique Adoum Moussa, chercheur indépendant à Agadez.

Complicité des autorités et des forces de sécurité

Le cannabis qui circule à Agadez a quant à lui été produit dans la région. Certaines plantations de chanvre indien ont même été découvertes au Niger. Mais le Niger est aussi traversé par un trafic important de cannabis et de résine de cannabis qui s’étend du Maroc à l’Égypte. Malgré le manque de preuves, la complicité des autorités, des forces de sécurité et de la justice dans cette contrebande est souvent pointée du doigt par la société civile nigérienne. Il en est de même pour ce qui concerne le trafic de cocaïne, qui traverse l’Afrique de l’Ouest avant d’arriver en Europe. « Un cartel ne vient pas s’installer dans un pays comme ça. Il prépare le terrain. Il crée des amitiés. Il structure un réseau et lorsqu’il arrive à s’installer cela veut dire qu’il pense avoir acquis une certaine immunité », déclare un policier désirant rester anonyme.

Depuis le toit de Radio Sahara à Agadez, Ibrahim Manzo Diallo, journaliste d’investigation, va dans le même sens. Il explique comment se passe la traversée du Sahara pour les narcotrafiquants : « Ils ont deux options : les armes et l’argent ». Les armes servent à se défendre contre les « intercepteurs », de plus en plus nombreux dans le nord du Niger. Ils sont spécialisés dans l’attaque de convois de drogue et revendent ensuite les marchandises qu’ils ont interceptées. L’argent serait utilisé pour corrompre les forces de sécurité en cas de rencontre fortuite dans le Sahara. « J’ai longuement discuté avec un convoyeur et il m’a expliqué cela. Il m’a dit que, des fois, ils ont même le temps de prendre le thé avec les militaires. Ils causent. Ils leur donnent de la viande de biche. Les militaires leur donnent des cigarettes ou de l’eau, du jus, tout ça. Ensuite, le chef reçoit son enveloppe. Et cette enveloppe c’est pour lui. Ensuite, on donne aux militaires. Individuellement », développe Ibrahim Manzo Diallo.

Des armes comme des chaussures

Les armes utilisées pour protéger le convoyage de drogue viennent généralement de Libye. « Non, les armes, si tu veux ça, c’est comme des chaussures là-bas. Tout de suite, tu dis que tu veux une kalash, tu veux un pistolet, on va t’amener ça tout de suite », explique un revendeur d’armes à Agadez. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, les armes émanant de la Libye se déversent dans le Sahel. Au Niger, elles sont convoyées en direction du Ghana et du Nigeria, mais servent aussi à la population locale. « Avec la dislocation de l’État libyen, où il n’y a plus d’État, avec le conflit au Mali, l’imperméabilité des frontières, le Tchad, le Darfour lointain, Boko Haram… Tous ces foyers de tension font qu’il y a une circulation des armes et la volonté même de se sécuriser. Parce que dans beaucoup de cas, les gens ne comptent plus sur l’État pour garantir leur propre sécurité », analyse Aklou Sidi Mohammed, vice-président du Conseil régional d’Agadez.

La pauvreté conduit aussi de plus en plus de personnes à s’armer dans la ville du nord du Niger. La désertion des touristes suite à l’insécurité dans le Sahel, la fermeture de certains sites d’orpaillage et l’interdiction de pratiquer une activité économique liée à la migration, ont coupé de nombreux pères de famille et des jeunes de leurs sources de revenus. De plus en plus d’Agadéziens s’arment pour voler ou commettre des actes de banditisme. Les autres veulent avoir de quoi se défendre.

Du désœuvrement aux groupes armés

Aux alentours de minuit, dans une maison du centre-ville, Azoua , un jeune revendeur d’armes accepte de raconter comment se passe son métier. « J’ai des amis qui apportent les armes en brousse. Parfois, ils m’appellent, parfois, ils les enterrent et me donnent la position. Ensuite, moi je les revends »,explique-t-il. Ses pupilles sont dilatées et il balance nerveusement sa jambe contre le sol. « J’achète les pistolets à 100 000 FCFA [153 euros] et je les revends 150 000 FCFA [229 euros]. Pour une kalash, je l’achète à 300 000 FCFA [458 euros] et je la revends 350 000 [434 euros] »,ajoute Azoua. Cependant, ce bénéfice ne lui permet pas de subvenir entièrement à ses besoins et, à 27 ans, Azoua aimerait bien vivre d’un autre métier. «  Moi, avant, j’étais chauffeur. Je travaillais dans la migration. Mais depuis que c’est interdit, je suis au chômage ».

Depuis novembre 2016 et le sommet européen de La Valette, le Niger lutte activement contre le trafic de migrants dans la région. De nombreux Agadéziens qui vivaient de la migration se sont retrouvés dans l’illégalité. Certains passeurs et chauffeurs continuent de convoyer les migrants vers l’Europe clandestinement, mais une grande partie d’entre eux ont abandonné ce métier. L’Union européenne leur a promis une aide à la reconversion, mais jusqu’à présent, seules quelques centaines de personnes sur plusieurs milliers de candidatures ont pu en bénéficier. Certains ex-professionnels de la migration menacent donc de reprendre leurs activités tandis que d’autres se sont tournés vers de nouveaux trafics, comme le transport d’armes et de drogues.

Cependant, la grande majorité des anciens acteurs de la migration et des jeunes d’Agadez se retrouvent inoccupés. « Ces gens peuvent tomber dans les bras de certains marchands d’illusions », prévient le journaliste Ibrahim Manzo Diallo. « Je ne parle pas de trafiquants de drogue, je ne parle pas non plus de trafiquants d’armes, je parle des terroristes qui pullulent au nord-Mali, qui pullulent au sud de la Libye et qui peuvent rapidement infester cette région d’Agadez »,ajoute-t-il. Pour l’heure, Azoua, lui, rêve d’être chauffeur pour une ONG « Nous, on veut de l’aide. On veut un boulot. Si j’ai trouvé quelque chose, je vais laisser la vente d’armes », affirme-t-il.

Dans leur repère, Rabé et Sitomas lancent eux aussi un appel au Niger pour la création d’emplois : «  Certains parmi nous savent très bien travailler. On connait beaucoup de choses. Mais comme il n’y a pas d’emploi, on est ici, comme obligés de se péter la gueule ».

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