Fouilles au corps, violences… A Calais, la police harcèle aussi les associations d’aide aux migrants

Un CRS pulvérise du gaz lacrymogène sur des migrants à Calais, en juin 2015.

Un CRS pulvérise du gaz lacrymogène sur des migrants à Calais, en juin 2015. PHILIPPE HUGUEN / AFP

Un rapport d’Amnesty International montre comment les personnes qui aident les réfugiés et les migrants à Calais et Grande-Synthe sont prises pour cible par la police et la justice.

Les associations qui viennent en aide aux réfugiés et aux migrants à Calais et à Grande-Synthe subissent les foudres des services de police. Résultat ? Elles peuvent difficilement remplir leurs missions d’aide et d’assistance aux plus démunis. C’est le principal enseignement d’un rapport d’Amnesty International rendu public mercredi 5 juin.

Les enquêteurs de l’ONG se basent sur plusieurs missions d’observation organisées dans le Pas-de-Calais et le Nord entre août 2018 et janvier 2019. Sur place, Amnesty International a conduit pas moins de 38 interviews de bénévoles qui viennent en aide aux migrants et qui ont eu maille à partir avec les forces de l’ordre.

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Contrôles d’identité à répétition, insultes, violences physiques…

Le rapport se base également sur plusieurs enquêtes, conduites par d’autres ONG. A commencer par celle menée par l’Auberge des migrants, Utopia 56, Help Refugees et Refugee Info Bus. Publiée en août 2018, sur le même sujet, elle recense 646 cas de comportements abusifs de la part de policiers, à l’encontre de bénévoles, entre novembre 2017 et juin 2018. Au programme : amendes de stationnement injustifiées, photos et vidéos prises par des policiers avec leurs téléphones personnels, contrôles d’identité à répétition, fouilles de véhicules, insultes, menaces, et plusieurs cas de violences physiques. Le rapport d’Amnesty poursuit ce travail pionnier et livre de nouveaux cas à l’appui.

Exemple avec Yolaine Bernard, bénévole historique de l’association Salam. En juillet 2017, elle est témoin d’une altercation entre des policiers et deux autres membres de cette même structure. Le ton monte. Les premiers pulvérisent du gaz lacrymogène dans le visage des seconds. Depuis, la sautillante Calaisienne a perdu le compte des entraves qu’elle a subies dans le cadre de son travail associatif :

« Les migrants sont régulièrement gazés, nous recevons sans cesse des amendes pour le stationnement, des policiers de toute sorte nous filment et nous prennent en photo tous les jours, et ils nous soumettent constamment à des contrôles d’identité sans jamais nous montrer aucun document officiel ni mandat. »

Selon Eléonore Vigny, chargée du travail de plaidoyer et des questions juridiques pour l’Auberge des migrants, de nouvelles « méthodes de harcèlement » sont également apparues à Calais :

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« En avril et en mai 2018, il y a eu aussi plusieurs fouilles au corps, pratiquées en particulier sur des femmes bénévoles, souvent par des policiers de sexe masculin. On a aussi assisté à une escalade des insultes, et des gens ont été poussés, parfois au point de tomber. Début juin, une bénévole a été tenue à la gorge. Et, ces derniers temps, nous avons reçu plus de menaces de poursuites judiciaires, ainsi que de menaces d’arrestation. »

Poursuites judiciaires contre les bénévoles

Mais, à Calais, la police ne fait pas que harceler les militants associatifs. Elle les poursuit également en justice. Le 13 juin s’ouvrira le procès de Tom Ciotkowski au tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer. Ce jeune militant britannique est poursuivi pour « outrage et violence ». Fin juillet 2018, il est témoin d’une scène particulièrement choquante : un policier donne un coup pied à une bénévole qui participait à une distribution alimentaire, avant de s’en prendre à l’un de ses collègues. Le policier pousse Tom, alors en train de filmer la scène, qui tombe à la renverse. Le jeune homme est ensuite emmené au commissariat et maintenu en garde à vue pendant trente-six heures. Il a porté plainte en mai auprès de l’Inspection générale de la police nationale.

Tom Ciotkowski n’est pas le premier à subir l’ire des autorités. Amnesty rappelle la situation de Loan Torondel et Mathilde Robert, deux anciens membres de l’association l’Auberge des migrants, l’une des plus anciennes à venir en aide aux migrants dans le Calaisis. Le premier a été poursuivi puis condamné en diffamation pour un tweet dans lequel il sous-entendait, photo à l’appui, qu’un policier était sur le point de confisquer une couverture à un migrant lors d’une distribution alimentaire. La seconde a reçu une lettre de la part de la préfecture du Pas-de-Calais l’enjoignant à supprimer un tweet dans lequel elle affirmait que des CRS avaient déversé des seaux d’eau dans la tente de migrants, avant de jeter leurs affaires dans une mare.

Harcèlement des migrants

Le rapport témoigne également de l’ampleur de la stratégie de harcèlement de la préfecture du Pas-de-Calais à l’encontre des migrants. Selon des données récoltées par plusieurs associations dans un précédent rapport, et citées par Amnesty, pas moins de 279 évacuations de camps de migrants ont eu lieu au cours des trois premiers mois de l’année 2019. Cette pratique est la conséquence de la stratégie mise en place par l’Etat à la suite du démantèlement de la jungle en 2016. Cette dernière vise à éviter la constitution de nouveaux campements en menant des expulsions quotidiennes. Ismail, exilé soudanais interrogé par Amnesty en août 2018, raconte :

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« Ils viennent tout le temps prendre nos affaires. Il faut y être préparé et garder son sac sous la main. Chaque matin, je démonte ma tente et je la cache en lieu sûr, avec mon sac de couchage. Si je ne le faisais pas, ils détruiraient ma tente et l’emporteraient, avec tout ce qu’il y a à l’intérieur. J’essaie de les éviter. »
(PHILIPPE HUGUEN / AFP)

(PHILIPPE HUGUEN / AFP) PHILIPPE HUGUEN / AFP

« Amnesty International a pu confirmer que les personnes en mouvement continuaient de souffrir de comportements abusifs de la part de la police », explique les auteurs du rapport, dénonçant de nombreux faits de violences policières, tant en centre de rétention que dans les rues de Calais. Selon un précédent rapport, 90 % des migrants de Calais ont déjà reçu des jets de gaz lacrymogène. « C’est dangereux de marcher seul par ici, il faut rester en groupe », explique Suleymane, un migrant soudanais de 17 ans. « Il y a deux jours, j’ai été arrêté par des policiers en civil, qui m’ont emmené en voiture. J’ai été abandonné loin de là. J’ai dû marcher pendant huit heures pour revenir ici. On ne m’a pas remis de papier », rebondit Ibrahim, 25 ans, lui aussi ressortissant soudanais.

Contacté par l’ONG, le ministère de la Justice a annoncé avoir reçu seulement 11 plaintes pour pratiques abusives de la police entre 2016 et 2019. Seule l’une d’entre elles a fait l’objet de poursuites judiciaires.

Climat délétère

Conclusion ? Calais est toujours vécu comme une terre inhospitalière, tant pour les exilés que pour leurs défenseurs. Hisham Aly, coordinateur pour le Secours catholique à Calais, explique :

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« On nous accuse constamment d’attirer les migrants ici, mais c’est ridicule de croire qu’ils viennent juste pour quelques points d’eau, des repas et des douches extérieures. »

Preuve de cette atmosphère délétère, devant les locaux de l’association, le jeune homme a trouvé des bouchons de liège dans lesquels étaient plantés des clous.

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