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L'ONG WWF mène-t-elle des programmes de stérilisation forcée aux abords de parcs nationaux en Inde ?

Une émission d'investigation néerlandaise accuse le WWF de financer la persécution de villageois indiens habitant à proximité de réserves naturelles et d'encourager les populations à avoir recours à des méthodes de stérilisation pour limiter la démographie.
par Jacques Pezet
publié le 5 juin 2019 à 11h07

Question posée le 21/05/2019

Bonjour,

Votre question fait référence à l'article publié par Atlantico le 19 mai, intitulé : «L'association WWF accusée de soutenir des programmes de stérilisation forcée aux abords de parcs nationaux en Afrique et en Inde». Le site d'informations reprend les résultats d'une enquête menée par l'émission d'investigation néerlandaise Zembla, qui soutient que l'ONG de protection de la nature WWF serait impliquée dans des programmes de stérilisation des populations vivant autour de parcs nationaux en Inde.

Des villageois expulsés au profit des animaux sauvages

CheckNews a regardé l'intégralité du programme diffusé le 16 mai par la chaîne de télévision NPO2 sur «les victimes du WWF». L'émission met surtout en avant les témoignages des habitants vivant aux alentours du parc de Kaziranga, tout à l'est de l'Inde, où vivent à l'état naturel des rhinocéros et des tigres. Les habitants racontent avoir été violemment délogés pour élargir la réserve naturelle. Dans la vidéo suivante, le premier homme déclare : «Nous leur avons dit : Si vous voulez passer, vous devez d'abord nous tuer. Quand ils n'ont pas pu nous faire sortir, ils ont ouvert le feu. Deux personnes sont mortes. Ils ont aussi utilisé des balles en caoutchouc. De nombreuses personnes ont été blessées.» Un deuxième homme ajoute : «Ils ont utilisé beaucoup de violence pour nous chasser du village», en brandissant des factures d'électricité et des documents qui attestent que les paysans vivaient sur ces terres depuis plus de soixante ans.

Des villageois soupçonnés de braconnage battus et tués

Le documentaire a également diffusé les témoignages d'un paysan qui assure avoir été battu par des gardes du parc naturel, qui l'accusaient d'être un braconnier et d'un homme, Kachu, qui les accuse d'avoir tué son fils : «Il avait trois ou quatre blessures par balle. Il avait reçu des coups de machette dans les mains. Ils l'ont abattu et l'ont traité de braconnier de rhinocéros. Si mon fils était un braconnier, je ne serais pas allé au poste de police pour récupérer son corps.» Le reportage précise que les morts liées aux rangers du parc sont nombreuses, notant que «selon les chiffres des rangers eux-mêmes, 50 personnes ont été tuées par les gardes forestiers de 2014 à 2016». L'émission note alors que le WWF a financé l'entraînement des gardes, très militarisés, pour protéger les parcs naturels et rappelle qu'une enquête du site américain Buzzfeed accusait aussi le WWF de financer des forces paramilitaires dans le même parc en Inde, mais aussi en Afrique, dont les méthodes violentes incluent la torture ou le viol pour lutter contre le braconnage.

La question des stérilisations des habitants aux alentours des réserves d'animaux, qu'Atlantico mettait en avant dans son titre, est évoquée à la fin du documentaire néerlandais. En partant de documents corédigés par le WWF «sur la façon dont la contraception peut être intégrée dans la conservation de la nature» ou sur une évaluation menée en 2008, notamment en Inde, sur les projets de planning familial, dont la stérilisation est une des méthodes évoquées, l'émission a réussi à retrouver un médecin qui dit avoir été employé par le WWF entre 2005 et 2011. Il raconte qu'en plus de son travail classique de médecin, «parfois, je m'occupais aussi de planification familiale. Pour la planification familiale, j'ai fait de la stérilisation sans scalpel chez les hommes. Un petit trou est fait dans la peau du scrotum […] La procédure ne prend que cinq à dix minutes». Le médecin explique ensuite qu'il ne s'est pas enrichi avec ces pratiques puisqu'il déclare n'avoir touché que 600 roupies, soit environ 8 euros par opération.

Incitation

Contrairement à ce qu'indique le titre d'Atlantico qui parle de «programmes de stérilisation forcée aux abords de parcs nationaux», le documentaire ne mentionne pas de contrainte pour effectuer de telles opérations. Il s'agit d'incitation ou d'encouragement à avoir recours à la vasectomie. Le médecin interrogé par Zembla explique d'ailleurs qu'il a souvent des difficultés à convaincre les hommes de se faire opérer : «Il est difficile de leur faire comprendre que ce n'est pas mauvais pour eux. Au contraire, vous vous sentez beaucoup mieux. Et tu aimes beaucoup plus coucher avec ta femme. Après l'opération, ils sont convaincus.»

Après la diffusion de ce reportage, Stephen Corry, directeur de Survival International, une ONG de défense des droits des peuples autochtones, a condamné la politique de contrôle des naissances à proximité des réserves naturelles comme «totalement contraire à l'éthique» et déclaré : «Pouvez-vous imaginer le WWF promouvoir la stérilisation des femmes vivant à proximité des parcs nationaux en Europe ou aux Etats-Unis ? Le fait qu'ils le considèrent comme acceptable en Inde et en Afrique est du racisme pur et simple.»

«Pas d’objectif»

Contactée par CheckNews, WWF International répond que l'organisation s'engage à travers le monde dans des projets de population santé environnement (PSE), qui permettent, entre autres, de mettre en place des systèmes d'approvisionnement d'eau, de développement de centre de soins et d'éducation, ainsi que des «services de santé reproductive incluant la planification familiale».

Sur ce point et sur l'exécution de vasectomies, telles que présentées dans le documentaire, l'organisation répète que «WWF ne fixe pas d'objectif en matière de planification familiale et ne fait pas de plaidoyer en faveur de ces objectifs, pas plus qu'il n'offre de services de planification familiale». Le WWF explique que «certains projets PSE comportent une composante de planification familiale», qui peut se traduire par un accès facilité des communautés «à l'information et aux services de santé», tout en précisant que «la fourniture de services de santé relève de la compétence des experts du secteur».

Pas responsable

Après la diffusion du documentaire, la branche néerlandaise du WWF avait déjà réagi en répondant aux accusations de non-respect des droits de l'homme et de promotion de la stérilisation des populations vivant à proximité des parcs. Elle expliquait que pour les cas de violences et d'abus, elle menait des enquêtes indépendantes, insistant sur le fait que ses employés et ses partenaires «tels que les rangers sur le terrain» devaient respecter «les droits et le bien-être des populations autochtones et des communautés locales». Sur la contraception, elle répondait comme à CheckNews, que «WWF n'intervient pas dans les soins médicaux, par exemple si quelqu'un souhaite utiliser un contraceptif. Ceci est la responsabilité d'un médecin».

La position du WWF est donc de dire qu’elle finance des projets PSE, où parfois des opérations de planning familial peuvent être conduites, mais que l’organisation n’est pas responsable des vasectomies ou d’autres méthodes de contraceptions, qui relèvent des compétences et des décisions des médecins, subventionnés par l’organisation.

L'émission Zembla a réagi à cette réponse en expliquant que «Zembla n'affirme nulle part que le WWF interfère avec les soins médicaux dispensés dans les postes de santé. Nous avons parlé à un médecin en Inde engagé par le WWF pour participer à un projet PSE incluant également la planification familiale. Le médecin affirme qu'il a également effectué des traitements de vasectomie dans le cadre du projet de planification familiale. L'évaluation des projets PSE et le manuel de planification familiale montrent que la stérilisation fait partie des méthodes de planification familiale utilisées dans les projets PSE».

Cordialement

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