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LIBÉRATION DE LA FRANCE

Débarquement : Bernard Dargols, un Français parmi les GI's

En juin 1944, le Français Bernard Dargols débarquait en Normandie avec l'armée américaine, dans le cadre de l'opération "Overlord". Après avoir longtemps gardé le silence, l'ancien GI raconte désormais avec passion son incroyable aventure.

Stéphanie Trouillard/FRANCE24 Bernard Dargols dans son appartement en région parisienne.
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Le vendredi 6 juin, Bernard Dargols sera à Ouistreham aux côtés de nombreux chefs d’État pour la grande cérémonie internationale commémorative du Débarquement en Normandie. En 2009, il était déjà présent au cimetière américain de Colleville-sur-Mer pour les 65 ans du Jour J. Il avait alors été salué personnellement par le président Barack Obama.

"Je m’en souviens bien. Mais pour lui, j'imagine que c’est autre chose ! ", lâche-t-il en souriant. Bernard Dargols est modeste. Pourtant, il est l’un des héros de la Libération. Chevalier de la Légion d’honneur, ce Français, âgé de 94 ans, a débarqué en juin 1944 sur une plage normande sous l’uniforme américain.

Installé au milieu du salon de son appartement de banlieue parisienne, l’ancien soldat ne se fait aujourd'hui plus prier pour raconter son incroyable aventure. Autour de lui, quelques photographies placées sur la commode et des médailles exposées dans une vitrine témoignent de son engagement. Sur son pull, le vieil homme arbore fièrement l"Indian Head" (tête d’indien), le symbole de la 2e division d’infanterie américaine dont il fit partie.

Le choix de l’armée américaine

Né à Paris en 1920 d’une mère anglaise et d’un père russe, Bernard Dargols n’était pas destiné à une carrière sous les drapeaux. Avant la Seconde Guerre mondiale, sa famille est installée dans le Marais et possède une affaire d’importation de machines à coudre. En décembre 1938, il part en stage aux États-Unis dans le but de se perfectionner. Le jeune "parigot" débarque à New York. Il a alors 18 ans. "L’Amérique, c’était un rêve qui me tombait sur la tête", raconte-t-il à FRANCE 24, des étoiles dans les yeux. "J’étais épaté par la largeur des rues, la hauteur des gratte-ciels !".

Mais "l’american dream" est vite assombri par les effluves de la guerre. À des milliers de kilomètres de ses proches, le Français assiste, impuissant, à la défaite française et s’inquiète de plus en plus pour sa famille d’origine juive : "À l’époque, le seul moyen de voir des images d’actualité, c’était d’aller au cinéma. Et qu’est-ce que je vois à l’écran ? Pétain en train de serrer la main à Hitler à Montoire et qui préconise une politique de collaboration avec l’Allemagne. Je me suis alors dit que jamais je ne combattrai avec l’armée de Pétain".

Bien décidé à se battre pour libérer son pays, Bernard Dargols frappe dans un premier temps à la porte des Forces Françaises Libres du général de Gaulle, puis à celle du consulat britannique à New York. Alors que les mois passent dans l’angoisse, ces camarades de travail lui conseillent de s’engager avec l’armée américaine : "J’ai attendu très peu de temps car le 7 décembre 1941, les Japonais ont attaqué l’Amérique, faisant des milliers de victimes. La guerre a alors été déclarée. J’ai été au bureau d’inscription locale et on m’a dit qu’on allait m’appeler. Au bout d’un an, ce fut effectivement le cas". L'enfant de la place des Vosges intègre alors un camp d’entraînement de l’US Army à Fort-Dix dans le New Jersey puis à Croft en Caroline du Sud. Pendant plusieurs mois, il apprend le B.A.-BA de la vie militaire : "Apprendre à marcher en rang, faire des demi-tours ou encore mettre l’uniforme".

"Nous avons débarqué au milieu d’un bombardement"

En avril 1943, les choses sérieuses commencent. En raison de ses compétences linguistiques et de sa connaissance de la France, Bernard Dargols est affecté dans un camp de renseignements militaires. Sa future mission ? Recueillir des informations auprès de la population française dans l’éventualité d’un débarquement. À quelques mois du Jour J, les soldats ne connaissent pas les détails des préparatifs, mais ils sentent que l’issue est proche. À la fin de l’année, la division du "frenchy" prend le large pour le Pays de Galles. Les dernières semaines sont intensives, les hommes sont soumis à rude épreuve : "On avait bâti un semblant de bout de plage en pente pour apprendre à foncer avec les jeeps sans s'embourber".

Le 5 juin, l’attente se termine enfin. Bernard Dargols prend place dans un Liberty ship (bateau de la liberté) au milieu de centaines de soldats de la 2e division d’infanterie américaine. Au bout de trois jours, l’armada arrive enfin en vue des côtes françaises. Presque six ans après l'avoir quittée, il s’apprête à fouler de nouveau sa terre natale à Omaha Beach. "À cent mètres de la plage, alors que la mer était mauvaise, on nous a fait descendre par une échelle de corde dans une barge de débarquement", se souvient l’ancien GI avec toujours la même intensité. "Nous avons débarqué au milieu d’un bombardement que je n’oublierai jamais. Il provenait des navires de guerre alliés, surtout américains, qui tiraient au-dessus de nos têtes. Ils faisaient des victimes parmi la population française, détruisaient des immeubles, mais tout cela dans le but de nous permettre de débarquer plus facilement en France".

Bernard Dargols devant sa jeep "La Bastille" en 1944.
Bernard Dargols devant sa jeep "La Bastille" en 1944. Archives familiales Bernard Dargols

Le Parisien déraciné est alors submergé par l’émotion : "J’étais quand même parti comme un jeune homme de 18 ans et là je revenais à 24 ans avec une mitraillette et un pistolet. (...) J’entendais aussi des villageois parler français, cela me faisait tout drôle". Mais le GI surentraîné, membre du Military Intelligence Service, n'a pas le temps de s'émouvoir. Son colonel lui ordonne immédiatement d’obtenir des renseignements dans la ville voisine de Formigny. "Cela a été ma plus grande trouille ! Il m’a dit ‘Bernard, on t’attendait. Maintenant, c’est à toi de jouer !", raconte-t-il. "Je lui ai demandé si les Allemands étaient partis. Il m’a répondu que ce n’était pas sûr ! (…) Avec mon copain policier militaire, on est entré prudemment dans la ville, mais petit à petit ce sont des villageois, des enfants qui se sont approchés de nous".

Des retrouvailles après six ans

De village en village, en Normandie, en Bretagne, puis dans les Ardennes, le soldat collecte des informations sur la position des troupes allemandes, sur la localisation des dépôts de carburants ou encore sur l’emplacement d’éventuelles mines. Un travail crucial pour permettre l’avancée des forces alliées. Ce n'est qu'en septembre 1944 qu'il rejoint Paris. Si ses deux frères et son père ont pu partir pour les États-Unis, il a peu de nouvelles de sa mère. Le coeur battant, il retourne dans le quartier de son enfance, place des Vosges. Sa mère l'attend. "Cela a été l’un des moments les plus émouvants, pour elle comme pour moi", se remémore-t-il pudiquement. L’expatrié découvre alors l’ampleur du drame qui a touché sa communauté et la peur quotidienne de ces longues années : "Ils ont arrêté mes grands-parents, mes oncles… J’ai le numéro de leurs convois, mais ce n’est pas ça qui va les ramener".

Jusqu'en janvier 1946, le GI Dargols poursuit son travail au sein du service de contre-espionnage de l’armée américaine (le Counter Intelligence Corps) avant d’être finalement démobilisé. Pendant des années, il garde pour lui cet incroyable parcours militaire. Sa femme, une jeune compatriote rencontrée à New York au sein de l’Association Jeunesse Française Libre, n’en revient toujours pas de ce silence. "On allait très souvent chez des cousins près de Caen et jamais il ne m’a dit que c’était là qu’il avait débarqué. Je savais certaines choses mais pas énormément. Les enfants aussi ignoraient ce que leur père avait fait", souligne Françoise Dargols en le regardant avec affection.

"Ce n’était pas tourné dans un film à Hollywood"

Ce n’est qu’en 1984, pour le 40e anniversaire du Jour J, que Bernard Dargols commence enfin à se livrer : "Quand j'ai vu qu'on me demandait d'apporter mon témoignage à des enfants, à des lycéens, des collégiens, là cela a commencé à m'intéresser. (…) Je fais comprendre aux élèves que ce j’ai vécu, ce n’était pas tourné dans un film à Hollywood. La trouille au ventre… La guerre, c'est une tragédie qui affecte encore plus les civils que les militaires. Un témoignage, c’est mieux que de lire un roman".

Pour conserver cette mémoire, il s’est même confié dans un livre écrit par sa petite-fille Caroline Jolivet ("Un GI français à Omaha Beach"). D’école en école, de conférence en conférence, il raconte avec de nombreux détails mais aussi beaucoup d’humour sa contribution à la Libération de la France. En ce mois de juin, ses pas le guideront une nouvelle fois sur la plage d’Omaha Beach. Soixante-dix ans après, l’émotion est toujours aussi forte. "Il y a des fois où j’ai envie de pleurer parce que je me dis que passer trois ans à combattre des barbares, c’est un temps inutile", confie-t-il les larmes aux yeux. Mais rapidement, l’ex-GI se reprend et lâche dans un éclat de rire : "Comme je dis souvent, qu’est-ce que je suis content que ce soit nous qui ayons gagné !"
 

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