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La Coupe du monde célèbre le football et les femmes

Du 7 juin au 7 juillet, la France organise la huitième Coupe du monde féminine de football, qui devrait battre des records de médiatisation et d’audience. Et contribuer à faire avancer le combat pour l’égalité

Des joueuses en région parisienne, le 6 mai 2019. — © FRANCK FIFE/AFP
Des joueuses en région parisienne, le 6 mai 2019. — © FRANCK FIFE/AFP

Protégé de la pluie par un film plastique, le tapis rouge est prêt. Prêt à accueillir vendredi soir les invités VIP du match France-Corée du Sud, en ouverture de la huitième Coupe du monde féminine de football. Pour l’évènement, le Parc des Princes a caché son habillage habituel aux couleurs du PSG sous la livrée officielle de la «Women’s World Cup». Le slogan: «Dare to shine» («Oser briller»). La touche française apparaît dans la typo, que l’on croirait tracée au rouge à lèvres sur un miroir.

Le match d’ouverture ne se dispute pas au Stade de France. L’enceinte dyonisienne, construite pour la Coupe du monde masculine de 1998, a été jugée démesurée (80 000 places). Mais le site prévu à l’origine, le stade Jean-Bouin (20 000 places), s’est révélé très rapidement sous-dimensionné. Va donc pour le Parc des Princes, le stade de l’Euro 1984, le premier titre du football français. C’était l’époque du début de la starification des joueurs, de l’apparition des droits télé, de l’entrée de l’industrie dans le sport. A bien y réfléchir, le football féminin en est exactement à ce moment-là de son histoire.

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Il ne faut pas retenir qu’il a trente ans de retard sur son grand frère mais plutôt se dire qu’il est au début d’une accélération brutale de son développement. Les droits TV des matchs coûtent environ dix fois moins que ceux de la Coupe du monde masculine en Russie mais dix fois plus que ceux de la précédente Coupe du monde féminine en 2015 au Canada. En France, la FIFA versera aux équipes une manne globale de 50 millions de francs. C’était 400 millions en Russie pour les garçons mais 15 millions il y a quatre ans.

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La difficile conquête du Sud

La manière dont la France s’est prise au jeu d’une pratique qu’elle a longtemps méprisée est également spectaculaire. Une quinzaine de rencontres, sur les 52 prévues, se joueront à guichets fermés et la Fédération française de football (FFF) projette un taux de remplissage final de 70 à 80%. Les médias français, qui n’étaient que quatre à suivre la Coupe du monde 2011 en Allemagne, se passionnent pour la compétition. L’Equipe y dépêche ses meilleurs plumes et TF1, qui diffusera 25 matchs dont tous ceux des Bleues, son duo de commentateurs vedettes, après avoir réservé les honneurs du journal de 20 Heures à l’annonce de la liste des 23 sélectionnées.

En vingt ans, le football féminin est devenu un spectacle de qualité et un sport de très haut niveau. Mais il a encore besoin de plus d’engagement et d’encouragement

Noël Le Graët, président de la Fédération française de football

Les visages des Tricolores apparaissent en une des magazines, au cul des bus, dans des pubs sur smartphone. L’immense Nike Store du Forum des Halles expose les maillots des équipes, avec des coloris et des coupes spécialement conçus. Tout n’est pas rose: les ventes de billets marchent moins bien à Nice, même pour l’équipe de France, et les organisateurs ont soigneusement évité Marseille et son Vélodrome (67 000). «L’équipe de France féminine n’a jamais rempli un stade dans le Sud», a déploré sur France Inter Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF.

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Le football féminin a d’abord été une passion anglo-saxonne et scandinave. Mais c’est en train de changer. L’Italie, pionnière dans les années 1970, revient à la Coupe du monde après vingt ans d’absence. L’Espagne a battu en mars le record du monde d’affluence pour un match de clubs (60 739 spectateurs, Atlético Madrid-FC Barcelone). L’Angleterre a vu la banque Barclays lâcher 13 millions de francs pour accoler son nom à celui de la Women’s Super League. Neuf pays se battent déjà pour organiser la prochaine édition en 2023.

«Entraîneure» ou «entraîneuse»?

Bien sûr, il y a là pas mal d’opportunisme et un peu de «football washing» mais n’est-ce pas la marque des grands joueurs que de saisir les occasions qui se présentent? Le plus réjouissant est que cette effervescence fait avancer l’égalité hommes-femmes, sur les terrains de sport comme en dehors. Lorsque la France se passionne, c’est à sa manière. Depuis quelques semaines, le football féminin a droit de cité dans les librairies, à la radio, au théâtre, à la télévision (trois documentaires). On débat pour savoir s’il faut dire «entraîneure» ou «entraîneuse», on se plaint des questions rétrogrades d’une interview, on regrette que les joueuses ne promeuvent souvent qu’une vision somme toute très classique de la femme, on polémique sur l’égalité des primes ou sur la non-revendication de l’égalité des primes. Une réalité émerge et devient visible.

Cette Coupe du monde qui s’annonce la plus médiatisée de toutes (la FIFA espère passer le cap du milliard de téléspectateurs) donnera aussi aux petites filles du monde entier des modèles à punaiser et dont s’inspirer. En marge de la compétition, la FIFA a tenu les 6 et 7 juin le premier colloque de son histoire uniquement dédié au football féminin. «Qui aurait pensé il y a quelques années que les femmes du monde entier se réuniraient à Paris pour célébrer le football?» a souligné la secrétaire générale de la FIFA Fatma Samoura, mesurant le chemin parcouru.

«Les temps changent, rapidement et positivement, note le président de la Fédération française Noël Le Graët. En vingt ans, le football féminin est devenu un spectacle de qualité et un sport de très haut niveau. Mais il a besoin d’encore plus d’engagement et d’encouragement, ce qui est d’abord une question de volonté. L’excuse des clubs ou des associations, c’est toujours le manque de terrains, de vestiaires, d’argent. Aux fédérations de donner l’impulsion, en accordant des moyens et en promouvant plus de femmes à tous les échelons.»

Des larmes à la FIFA

Au colloque de la Porte de Versailles, il y avait la secrétaire générale de la FIFA, la vice-présidente et la secrétaire générale de la FFF. Mais les femmes ne représentent que 0,17% de la gouvernance du foot européen, selon une note de l’Unesco diffusée en début de semaine. «Depuis deux ans, je travaille à la FIFA comme directrice du football féminin et c’est le job le plus difficile de ma carrière. C’est parfois dur, très dur», avoua, au bord des larmes, la Samoane Sarai Bareman dans un accès de franchise qui rompait avec le discours officiel.

Mais l’histoire est en marche. Dans vingt ans, la Coupe du monde féminine sera à n’en pas douter le deuxième évènement le plus profitable et le plus médiatisé après la Coupe du monde masculine. Les autres sports diront que l’on parle trop des footballeuses, qu’elles sont trop payées, qu’il y a bien d’autres sportives méritantes. Et certaines, un peu âgées et douées de mémoire, auront le droit d’en sourire.