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Arrêter de soigner les personnes âgées pour préserver la planète : bienvenue dans le monde merveilleux des écologistes néerlandais
©ED OUDENAARDEN / ANP / AFP

Le meilleur des mondes

Une députée écologiste néerlandaise a provoqué un tollé en proposant de réduire les soins pour les plus de 70 ans.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une députée écologiste néerlandaise a provoqué un tollé en proposant de réduire les soins pour les plus de 70 ans. Cette députée jure que sa proposition n’est pas guidée par des motivations économiques. Pourtant il y a là quelque chose de contestable. Pourquoi ?

Bertrand VergelyEn Angleterre, actuellement, la médecine britannique a décidé de ne pas se lancer dans des opérations chirurgicales lourdes à partir d’un certain âge. En France, quand certaines personnes âgées sont atteintes d’un cancer à évolution lente, d’une façon générale, les médecins décident de ne pas proposer à ces personnes des chimiothérapies.  En Angleterre comme en France, quand les médecins décident de ne pas pratiquer des traitements lourds afin de soigner les personnes âgées, ce n’est pas du cynisme de leur part ni une volonté d’en finir de façon brutale, mais une réaction de sagesse. Il est fatigant de se soigner. Toute opération génère un choc. Parfois, certaines personnes âgés meurent parce qu’elles suivent un traitement fatigant ou parce qu’elles subissent un choc après une opération. D’où ce paradoxe : il arrive à la médecine de soigner en freinant la médecine.

Dans le cas de la députée néerlandaise et de sa proposition, il faut voir deux choses.

D’abord, une volonté de freiner la médecine en invitant celle-ci à un peu de décroissance. Ce qui n’est pas idiot. Le capitalisme est guidé par une quête effrénée de progrès et de profit. La médecine a tendance aujourd’hui à calquer ce modèle en devenant une médecine non seulement de performance mais de prouesse. Le médecin devenant un virtuose de la chirurgie et du traitement, on aboutit à des drames. Hyper-compétents, hyper-brillants, les médecins parviennent à faire vivre des patients qui en un autre temps seraient morts. Comme on dit, ils ont l’art de rattraper ces patients  par les cheveux. Quand un patient peut vivre une vie vivable, tant mieux, bravo, chapeau. Respect et admiration pour le médecin-artiste et le chirurgien-virtuose. Mais, quand, comme dans le cas de Vincent Lambert, le génie médical et opératoire conduit à faire vivre à un patient une vie qui n’est pas vivable, on s’interroge. Le progrès infini en médecine comme le profit infini en économie est-il souhaitable ?

On pensait jusqu’à présent que l’écologie concernait uniquement la sphère économique. Or, avec la proposition de la députée écologiste néerlandaise, voilà que celle-ci s’invite dans le domaine de la médecine en proposant une décroissance médicale et non plus économique. Ce qui est totalement nouveau.

Autre aspect de la proposition de la députée néerlandaise. Jusqu’à présent, c’était la droite  qui tenait des propos malthusiens en déclarant qu’il y a trop d’humains sur la planète. C’était elle qui se déclarait favorable à l’euthanasie en pensant que la vieillesse délabrée est trop longue et trop coûteuse. Or, voilà qu’une députée écologiste de gauche renouvelle cette thématique  en lui donnant des couleurs écologiques.

À la base de cette révolution, une idée simple : ce n’est pas la vieillesse et les vieux qu’il convient d’attaquer et de mettre en question. Les pauvres ! Ils sont déjà assez accablés comme ça ! Ne les accablons pas davantage ! C’est le pouvoir médical qu’il importe de questionner.

Qui fait que la vieillesse est si lourde à porter ? Les vieux ? La vieillesse ? Non. Ce sont les jeunes et, derrière eux, le capitalisme avec sa dynamique de progrès et de performance. C’est parce que les jeunes ont décidé de s’éclater en se lançant dans une médecine du brio, de la prouesse et de la performance, que la vieillesse et les vieux éclatent.

Dernièrement, dans l’ouvrage qu’ils ont consacré à  l’Intelligence Artificielle et à la guerre qui se joue au niveau mondial à ce sujet, Laurent Alexandre et Jean-François Coppée ont dit en substance : on ne va pas quand même empêcher les chercheurs en informatique de jouer ! On tient là le cœur du problème qui est le nôtre.

Le monde est guidé par le divertissement, disait Pascal Notre monde est guidé par le jeu et notamment le jeu scientifique. La preuve : tout le monde joue. Dans le métro, dans le RER, dans les trains, dans la rue, le jour, la nuit, tout le monde joue. Tout le monde joue parce que le monde est dominé par des joueurs surdoués en Chine et en Amérique qui, chaque jour, inventent de plus en plus de jeux afin que tout le monde joue.

L’homme ludique domine notre monde. En économie, c’est lui qui veut de plus en plus de profits. En médecine, c’est lui qui veut de plus en plus de progrès afin de vivre de plus en plus longtemps pour jouer de plus en plus.

La députée néerlandaise a provoqué une polémique avec se proposition de réduire les soins pour les plus de 70 ans. Cette proposition dérange. Rien de plus normal. Elle révèle l’absence de pensée qui sévit partout.

Normalement, c’est la culture chrétienne qui s’élève contre l’euthanasie et l’absence de soins pour les personnes âgées. Avec la culture chrétienne, c’est la culture démocratique des droits de l’homme qui s’élève contre l’absence de soins donnés aux plus âgés au nom du devoir d’assistance à personnes en danger. Or, que voit-on avec la proposition de la députée écologiste néerlandaise ? Celle-ci explique tout bonnement qu’il va falloir revoir l’approche chrétienne des soins prodigués aux personnes âgées et la culture démocratique d’assistance à personnes en danger, ces deux cultures faisant le jeu de la médecine capitaliste éprise de brio et de prouesse. Que la religion et la morale  fassent le jeu du progressisme ne gêne pas le progressisme. En revanche, cela gêne la religion et la morale. D’où la polémique afin de la faire taire. Ce qui se comprend.

Derrière la polémique que cette proposition a provoquée, qu’y a-t-il en profondeur ?

Il y a un problème qu’il va falloir un jour oser regarder en face.

Nous vivons, guidés par une culture religieuse et morale fondée sur la loi. Dans cette culture, il est dit que s’agissant de la vie, il est possible de savoir ce qu’elle est. Comme il est possible de savoir ce qu’elle est, il est possible de régler la vie par des lois  applicables à tous. S’agissant de la vieillesse et de la mort, il est ainsi pensé que l’on peut savoir ce que sont celles-ci et, à partir de ce savoir, ol est possible d’instituer des lois qui règlent les questions qu’elles posent.

Jusqu’à présent, la culture a reposé sur l’idée que la vie est bonne et qu’il faut la protéger. Problème toutefois : que veut dire protéger ? Protéger qui et protéger comment ?

Tant que la médecine n’a pas été capable de guérir en faisant preuve de performance et de prouesse, cela n’a pas posé problème. Protéger n’avait pas de conséquences dramatiques. Cela n’obligeait pas quelqu’un à vivre. Quand, toutefois, la médecine est devenue performante, les choses ont changé. Des cas sont apparus où, en sauvant quelqu’un et donc en ne le condamnant pas à mort, on le condamnait à vie. Témoin le cas Vincent Lambert. D’où cette question : que faire ?

Depuis des années, on ne sait pas quoi faire. Comme on veut protéger la vie parce qu’il est bon de la protéger, mais comme on veut que la vie soit vivable et pas simplement conservée, on oscille entre la loi qui protège la vie et l’euthanasie qui défend la vie vivable.

La vie ? La vie vivable ? La vie vivable ? La vie ? On ne sait pas quoi faire. Rien d’étonnant à cela : on veut généraliser. On veut trouver une loi valable une fois pour toutes qui règle la question.

Disons le nettement : c’est impossible. Prenons la proposition de la députée néerlandaise. Quand elle propose d’arrêter les oins après 70 ans, pourquoi généralise-t-elle ? Il y a des gens qui, après 70 ans, sont en pleine forme. Il n’y a aucun sens à ne pas vouloir les soigner. En revanche, par fois, à 50 ans, il est inutile de vouloir soigner. Nous avons du mal à penser ainsi parce que nous avons du mal à accepter de ne pas savoir en avançant au coup par coup. En France, cette difficulté vient de ce que la France n’est pas une terre où l’on se concerte et dans laquelle on a l’habitude de dialoguer.

La question de la fin de vie relève aujourd’hui de l’indécidable et lindécidable du cas par cas. Nul ne peut savoir a priori ce qu’il faut faire. Conserver la vie copute que copute ? Arrêter les soins après 70 ans ? L2galiser l’euthanasie ? Nous ne savions pas. Nous cherchons la règle miracle sans parvenir à la trouver. Ce qui est un signe.

La vie se crée en permanence à chaque instant. La règle pour la vie  est de ce fait celle de la vie même. C4est en vivant la vie de ‘intérieur que l’on sait la bonne règle. Pour avoir accompagné ma mère  j’ai pu vérifier la pertinence de cette attitude. Personne ne sait le jour ni l’heure, disaient les médecins. Tant que l’on ne sait ni le jour ni l’heure, nous soignons. Quand on connaît le jour et l’heure, on arrête de s’obstiner. Cette démarche est sage. Elle montre que la règle à propos de la vie est dictée par la vie même de l’intérieur de la vie.

La façon dont notre époque perçoit la mort est-elle problématique ?  

La façon dont on aborde la mort aujourd’hui est inséparable de la façon dont on aborde la vie. À cet égard, notre époque oscille entre deux rapports à la vie. D’un côté, il y a la vie vivante, de l’autre la vie vivable. Quand il est question de la vie vivante, on a, comme principe, de la conserver. Quand il est question de la vie vivable, le principe est de la supprimer.  

Le refus de l’euthanasie repose sur la conservation de la vie vivante, alors que l’euthanasie repose sur la suppression de la vie au nom de la vie vivable. L’idéal serait que l’on puisse vivre à la fois la vie vivante et la vie vivable. En gros, c’est le cas pour la majorité des humains que nous sommes. En conservant la vie, nous conservons une vie vivable. En retour, la vie vivable que l’on vit ne remet pas en cause la vie vivante. Tout change quand on a affaire à des cas extrêmes.

Il arrive qu’en voulant conserver la vie vivante, en fait on rende la vie invivable. Témoin le cas Vincent Lambert. Inversement, il arrive qu’en voulant supprimer la vie invivable au nom de la vie vivable, on remette en question le principe de la conservation de la vie.

Ce dilemme à propos de la vie et de la mort n’est pas étonnant. Le rapport que l’on a avec celles-ci est  purement extérieur et technique. Nous ne sommes pas dans la vie mais dans l’usage de la vie et étant dans l’usage de la vie nous réfléchissons sur la commodité. Ainsi, il est commode que l’on puisse protéger la vie et la conserver, mais il est également commode que la vie soit vivable. Aussi cherche-ton à allier la conservation commode de la vie avec la commodité de sa vivabilité.

Il nous manque de savoir être dans l’esprit de la vie et de la mort et pas simplement dans leur usage. « Nul ne sait ce que peut le corps », dit Spinoza. Qui sait e que peut l’esprit de la vie ? Qui sait ce que peut l’esprit de la vie ?  Marie de Hennezel l’a montré dans ses ouvrages. Quand la vie comme la mort sont vécues de façons intimes on voit apparaître des résurrections surprenantes. Ou, à l’inverse, il n’est pas besoin de tuer pour qu’une personne parte. Il ne fait pas négliger les aspects techniques de la vie et de la mort. Mais ne néglige-t-on pas beaucoup l’esprit de la vie et de la mort ? N’est-ce pas pour cela que, dans nos sociétés modernes et démocratiques, la mort est tellement problématique ?

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