En position assise et assisté d’une sage-femme, l’accouchement est à l’époque une étape périlleuse. Malgré la parution des premiers traités d’obstétrique – notamment le Rosengarten d’Euchaire Rösslin (1513) présenté dans l’exposition, et un ouvrage rédigé par Louise Bourgeois, sage-femme de Marie de Médicis –, une femme sur dix meurt encore en couches…
Face à une précieuse « vaisselle d’accouchée » en majolique italienne, destinée à servir à la mère de la nourriture revigorante, un charmant tableau de Lambert Sustris (La Naissance de Saint Jean-Baptiste, XVIe siècle) raconte les différentes étapes d’une naissance : la mère alitée, prête à déguster son repas de relevailles, le premier bain du nouveau-né, la nourrice allaitant devant l’âtre… Pour permettre à la mère de préserver sa poitrine et ses activités, le recours à une nourrice (pourtant nocif pour la santé des petits) est systématique. C’est même dans la chambre de cette inconnue que loge le bébé.
Question hygiène, les conditions sont effroyables. On ne désemmaillote le bambin pour lui changer ses langes qu’une fois par semaine. Pire : l’enfant est lavé une seule fois à la naissance, puis plus du tout jusqu’à l’âge de 7 ans ! Seulement essuyé et jamais lavé, par crainte de l’eau porteuse de maladies, le petit reste couvert d’une couche de crasse, de croûtes et de poux, que l’on croit protectrice…
Chez les enfants, la mort fait des ravages : un sur quatre décède avant d’avoir vécu un an, et la moitié d’entre eux avant l’âge de dix ans. Blasés, les parents en concluent qu’il faut en faire beaucoup et ne pas trop s’y attacher. Pour protéger sa progéniture, on fabrique des amulettes. En témoignent un bel ensemble de hochets gris-gris et un remarquable portrait de princesse peint par le cercle de Frans Pourbus le Jeune. Richement vêtue d’un bonnet en plumes de héron et d’un tablier brodé, la petite tient un joujou orné d’une dent de loup, destinée à la préserver des maladies.
Prêtée par le musée de Flandre, une rare Vierge à l’Enfant de Gérard David représente Marie donnant la becquée au petit Jésus, munie d’un simple bol en céramique et d’une cuillère en métal. Bols, biberons en grès ou en terre cuite… Même chez les rois, la vaisselle et les ustensiles utilisés pour les repas du bébé (souvent une bouillie à base de lait, farine et miel) restent très basiques, si bien qu’ils ont longtemps échappé à l’attention des archéologues.
Par-dessus leurs langes, les nourrissons sont emmaillottés comme des momies avec de longues bandelettes de tissu. « L’idée était de raidir le corps de l’enfant pour qu’il prenne une posture droite qui le distingue de l’animal », explique Elisabeth Latrémolière, conservatrice en chef du château et commissaire de l’exposition. Dès l’âge d’un an, les filles portent un tablier, un bonnet de lingerie et des robes à cerceaux semblables à celles de leurs mères. Affublés de longues robes à col blanc jusqu’à l’âge de 7 ans, les garçons s’habillent ensuite comme des hommes miniatures avec pourpoint, hauts de chausse et petite épée à la ceinture.
Les rejetons des têtes couronnées ne voient leurs parents qu’en de rares occasions. Tous grandissent ensemble dans une grande nurserie, la « maison des Enfants royaux ». À leur service, près de 250 personnes – gouverneurs, maîtres d’hôtel, nourrices, valets, enfants d’honneur, secrétaires, fourriers, écuyers, aumôniers, médecins, portiers, pâtissiers, lavandières… – s’activent nuit et jour !
Aux XVe et XVIe siècles, l’enfant est encore vu comme un être infirme et inachevé. Malgré tout, c’est à cette période que commencent à naître le sentiment de famille et un intérêt porté à cet âge… D’où l’apparition, à la Renaissance, des premiers portraits d’enfants seuls. Destinés à renforcer le prestige royal ou à arranger des mariages à distance dès le berceau (parfaitement décrit dans L’Échange des princesses de Chantal Thomas, 2013), ces tableaux les représentent dans des poses sérieuses et des habits précieux qui tranchent avec l’air tendre des jeunes modèles, à l’image du portrait du petit Henri IV en chapeau à plume, dont les grands yeux perdus fuient ceux du spectateur (ill. plus haut). Les parents ne sont pas pour autant insensibles : commandés par François Ier aux Clouet ou par Catherine de Médicis à Germain Le Mannier, des portraits plus intimes et sentimentaux, dessinés au crayon, font leur apparition pour pallier l’absence des précieuses têtes blondes.
Pour avoir un aperçu de leur quotidien, il faut regarder du côté des dessins et des gravures. À la plume, Jean Cousin saisit une fratrie sur le vif, prise dans le tourbillon du jeu. Les plus grands jouent à la guerre, le plus jeune apprend à marcher… tandis qu’au premier plan, nu comme un ver, l’un d’eux fait des pâtés avec ses excréments ! Dînette, poupées, soldats, tambour, billes, toupie, cheval-bâton… Certes variés, les jeux sont de courte durée. Dès l’âge de 6–7 ans, filles et garçons sont séparés et n’ont plus le droit de jouer qu’à des jeux d’adultes, comme les cartes ou le croquet. Absents de l’iconographie de l’époque, les enfants pauvres, souvent maltraités et envoyés très tôt au travail, s’amusent encore moins…
Très tôt, les enfants de sang bleu jouent dans la cour des grands. Pour se préparer à leurs futures fonctions, les princes apprennent à lire dans les livres d’histoire, les textes antiques et les livres d’heures, sortes de manuels de piété enluminés. Dès 6 ans, ils revêtent des armures miniatures (dont trois superbes exemples sont exposés à Blois) pour apprendre l’art de la guerre. Les filles, elles, étudient les langues, la philosophie et la rhétorique. À 13 ans, Marie Stuart déclame déjà devant la cour une oraison funèbre en latin écrite de sa main ! Au même âge, les garçons sont envoyés sur le champ de bataille. Fini de rire…
Enfants de la Renaissance
Du 18 mai 2019 au 1 septembre 2019
Château royal de Blois • 6 Place du Château • 41000 Blois
www.chateaudeblois.fr
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