Naufrage en Vendée : «Quand un marin est en danger, on va le chercher»

    Les trois sauveteurs morts en tentant de venir en aide à un pêcheur, vendredi aux Sables-d’Olonne, étaient des marins expérimentés qui n’ont pas hésité à intervenir malgré les risques.

     Les proches des trois sauveteurs morts en mer ont raconté le courage et l’altruisme de ces héros.
    Les proches des trois sauveteurs morts en mer ont raconté le courage et l’altruisme de ces héros. Reuters/Regis Duvignau

      Malgré la mer déchaînée et des creux de six mètres, malgré des rafales de vents dépassant parfois les 100 km/h, ils n'ont pas tergiversé une seconde. En un instant, tous ont hoché la tête, et ont décidé de faire démarrer le Jack Morisseau, un canot de réserve de la Société nationale de secours en mer (SNSM) amarré aux Sables-d'Olonne (Vendée). Quelques minutes plus tôt, le Cross (Centre régional opérationnel de secours de sauvetage) d'Etel (Morbihan) avait signalé un chalutier de 12 m en détresse à l'entrée du port. « Si vous pouvez y aller, c'est bien, mais si vous ne pouvez pas… » glisse l'opérateur aux sauveteurs.

      Les sept bénévoles de la SNSM n'hésitent pas. Moins de deux milles plus tard, leur embarcation chavire. Quatre marins parviennent à rejoindre la côte à la nage. Trois autres n'ont pas la même chance. Yann Chagnolleau, Alain Guibert, et Dimitri Moulic restent prisonniers dans la timonerie du Jack Morisseau. Ceux qui seront décorés de la Légion d'honneur à titre posthume avaient 55, 51 et 37 ans.

      « Vous savez, ces hommes, c'était dans leur ADN d'aider les autres, souffle Nathalie Moulic, la belle-sœur de Dimitri. Ce n'est pas une tempête qui allait empêcher Dimitri d'aller porter secours à un marin en difficulté. » Tous ces courageux qui sont sortis affronter les flots vendredi matin étaient des « marins expérimentés parfaitement entraînés », assure la SNSM.

      Une décision collective

      C'est d'ailleurs « sans aucun état d'âme » que tous ont tenté d'aller secourir ce pêcheur en détresse. « Une décision collective, souligne Christophe Monnereau, président local de la SNSM présent sur le bateau vendredi matin. Les sauveteurs ne se posent pas de question, les pompiers de Paris avec Notre-Dame ne se sont pas posés de question. Tout le monde a fait ce qu'il fallait. »

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      Rapidement pourtant, l'opération tourne au drame. A peine sorti du port, le Jack Morisseau est tabassé par les vagues. « Les carreaux ont implosé », raconte David, un des rescapés. L'eau envahit le moteur, les circuits électriques. En quelques minutes, « le bateau n'était plus manœuvrable, détaille Christophe Monnereau. On essayait tant bien que mal d'écoper l'eau qui était à l'intérieur, mais voilà… Une déferlante est venue et nous a couchés… »

      Les quatre survivants, présents sur le pont du bateau, sont éjectés à la mer. Une chance. « Malheureusement, les autres étaient à l'intérieur », souffle Christophe Monnereau. « On a eu une putain d'étoile, sanglote David, très ému. Eux, ils ne l'ont pas eue … Je pense à Yann, à Alain, à Dimitri… »

      Par amour des autres et de la mer

      Tous étaient volontaires, bénévoles et prêts à risquer leur vie pour aider un marin confronté à des avaries ou une météo violente. Dimitri Moulic, père de deux jeunes enfants, avait toujours eu ce lien spécial avec l'océan. « La mer, c'est important dans la famille, c'était toute sa vie, glisse Jean-Yves, son père, entre deux sanglots. C'était mon fils, je suis fier de lui. Il est parti… »

      Mécanicien, Dimitri travaillait avec son frère dans une entreprise des Sables-d'Olonne. C'est cet amour des bateaux, de la mer, des marins, qui l'avait poussé à rejoindre récemment à la SNSM. « Son père était pêcheur, son frère était pêcheur, ses cousins aussi, raconte Nathalie. Dimitri avait toujours voulu faire partie de la SNSM, c'était dans son tempérament de vouloir aider les autres, c'est pour ça qu'il s'est engagé. »

      La mer, Alain Guibert avait commencé à la prendre « lorsqu'il avait 14 ans, explique Frédéric, son frère. C'était toute sa vie. » Ancien marin pêcheur reconverti en armateur, cet homme de 51 ans avait rejoint la SNSM il y a peu de temps, après avoir laissé les rênes du bateau à son fils. « C'était indispensable pour lui de continuer à aller en mer, c'est pour ça qu'il est devenu sauveteur, souligne Frédéric. Il connaissait bien les dangers mais voulait aider les autres. »

      Des habitants émus et fiers

      Patron pêcheur aguerri et jeune grand-père, Yann Chagnolleau avait, lui aussi, passé sa vie en mer. « Ce sont tous des marins, des hommes courageux, souffle Nathalie Moulic. Comme tous ceux qui sont partis avec lui, je sais que Dimitri n'aurait pas pu rester à terre alors qu'il y avait un marin en difficulté. Il a grandi comme ça. Quand un marin est en danger, on va le chercher. »

      Une mentalité propre aux gens de mer, qu'Alain Guibert avait, lui aussi, ancrée en lui. « Pour mon frère, laisser un camarade en difficulté était inconcevable, explique Frédéric Guibert. C'était un marin mon frère, c'est comme ça dans ce monde, quand quelqu'un est en danger, on tente d'aller le chercher. Ils savent que quand ils partent, ils s'exposent à un risque. On n'en parlait pas mais il le savait, il vivait avec. Je suis très fier de lui. »

      Une fierté et une émotion qui ont gagné toute la ville des Sables-d'Olonne ce samedi. Dans la matinée, l'autre vedette de la SNSM, actuellement à quai pour des travaux, est devenue un mausolée. De nombreux habitants sont venus accrocher des fleurs sur le bastingage du bateau, qui a orné ses drapeaux d'un crêpe noir. Une émouvante minute de silence a par ailleurs eu lieu à midi, lorsque le glas de l'église a retenti.

      Au milieu de la rue, leur sac de courses posé au sol, plusieurs habitants, émus, n'ont pu retenir leurs larmes. Et leur colère. Plusieurs Sablais déplorent ainsi l'inconscience de Tony, 59 ans – un marin expérimenté toujours porté disparu - qui a pris la mer malgré la tempête Miguel et les vents très violents.

      « Mon frère est mort pour un idiot »

      Une « imprudence dramatique, que déplore aussi Frédéric Guibert. Mon frère est mort pour un idiot qui a pris la mer malgré le danger. Il a mis des vies en jeu, c'est affreux… Aujourd'hui, il y a des familles en deuil. »

      Reste que pour les proches des défunts comme pour les survivants qui ont raconté le sauvetage, ne pas tenter de venir en aide au pêcheur était inconcevable, contraire à toutes les règles tacites des marins ou des gens de montagne. « La mer c'est comme ça, souffle Nathalie Moulic. Même quand quelqu'un fait une connerie, on va le chercher… Dimitri et ses camarades ont essayé, ce sont des héros… »

      Une enquête a été confiée à la gendarmerie maritime. « Dans ce genre de cas, il convient surtout de vérifier qu'il n'y a pas eu d'erreur, que le bateau avait par exemple tous les équipements de sécurité, confie un gendarme spécialisé. C'est important pour les familles et la SNSM. »