Des vêtements devenus linceul autour d’un cadavre sans nom. Vendredi 25 mai, sur le flanc italien des Alpes, pas loin de Bardonecchia (bourgade frontière d’où partent les migrants qui rallient la France par le col de l’Echelle), un corps sans vie, recroquevillé dans une anfractuosité du sol, est retrouvé par un chasseur. Selon la police transalpine, il « aurait passé l’hiver là ».
« Cet homme a dû se perdre, puisqu’il a été retrouvé sur le chemin qui remonte vers Modane », spécule Sylvia Massara, une Italienne qui s’interroge sur cette mort : « Le froid ou l’épuisement ? » Elle qui a essayé de dissuader ceux qui se croyaient immortels après le Sahara et la mer d’effectuer des traversées hivernales savait que les Alpes sont une petite Méditerranée, neigeuse l’hiver, rocailleuse l’été ; mais meurtrière en toute saison et capable d’engloutir jusqu’au nom de ses victimes.
Pour l’heure, la police italienne tente de décrypter les empreintes de la main la moins abîmée du cadavre, de faire résonner les stries encore lisibles des doigts avec un nom, une date de naissance enfouis quelque part dans un fichier. « Cela permettrait au moins de contacter un consulat, qu’une famille puisse faire le deuil d’un fils ou d’un frère », ajoute Mme Massara.
Cette mort sur le flanc italien a encore ajouté à la douleur du Briançonnais. Côté français, deux décès ont ponctué le mois de mai. Si ces cadavres ont conservé un prénom et un nom, reste à écrire leur histoire : celle du Sénégalais Mamadou-Alpha Diallo et celle de la Nigériane Blessing Matthew. Alors, à l’instar de l’Antigone de Sophocle, capable de l’impossible pour offrir une sépulture à son frère, l’association Tous migrants veut rendre une justice posthume à ces « victimes des politiques migratoires ».
La frontière tue en silence
Mamadou-Alpha Diallo aurait dû s’établir en Espagne. C’était le rêve de ce garçon d’une vingtaine d’années. Mais, le 19 mai, son corps est retrouvé sans vie, au-dessus des Alberts, un village avant Briançon. Trois jours plus tôt, Ibrahim, son ami, était « arrivé complètement hagard au Refuge solidaire », se souvient une bénévole. « Il n’avait pas mangé depuis longtemps, était tellement choqué qu’il était incapable d’avaler. Il a parlé de son ami, qui, tombé, ne s’était pas réveillé. C’était très confus. »
Mamadou-Alpha et Ibrahim voyageaient ensemble depuis leur village, comme ce dernier l’a confié à Max Duez, un des médecins du refuge. « On est partis à cinq. On a traversé ensemble le désert. En Libye, on n’était déjà plus que tous les deux », a-t-il raconté au chirurgien retraité qui nous relit ses notes. Après la Libye, il y a eu la traversée, les « deux mois au campo en Italie, avant de reprendre la route ».
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