Massacre d’Oradour-sur-Glane en 1944 : «Je doute qu’un SS soit un jour condamné»

Andreas Brendel, procureur général de Rhénanie-du-Nord-Westphalie chargé de la poursuite des crimes nazis, a enquêté sur le massacre d’Oradour, le 10 juin 1944. Il admet que la probabilité d’un procès en Allemagne est quasi-nulle, faute de preuves suffisantes.

 Oradour-sur-Glane est un symbole de la barbarie nazie.
Oradour-sur-Glane est un symbole de la barbarie nazie. Domaine public/Dna-Dennis

    Le massacre d'Oradour-sur-Glane, perpétré quelques jours après le débarquement de Normandie, est le symbole de la barbarie nazie en France. Il y a soixante-quinze ans, le 10 juin 1944, une centaine de soldats de la 3e compagnie du régiment « Der Führer » appartenant à la division SS « Das Reich » engage une expédition punitive. Ils détruisent le village de Haute-Vienne en exécutant 642 civils dont plus de 400 femmes et enfants brûlés dans l'église.

    Un village laissé en l'état par la volonté du Général de Gaulle, pour que les générations suivantes se souviennent, et où aura lieu aujourd'hui, comme chaque année le 10 juin, une cérémonie « sobre et immuable ».

    Des cadavres à Oradour-sur-Glane, après le massacre perpétré par les nazis le 10 juin 1944. Lapi/Roger-Viollet
    Des cadavres à Oradour-sur-Glane, après le massacre perpétré par les nazis le 10 juin 1944. Lapi/Roger-Viollet Domaine public/Dna-Dennis

    En 1953, 13 Alsaciens enrôlés de force dans la division SS (les « Malgré-nous ») ont été condamnés à Bordeaux (Gironde). Du côté allemand, on ne compte qu'un seul procès, dans l'ancienne Allemagne de l'Est communiste, celui de Heinz Barth, condamné en 1983 à perpétuité en RDA et libéré en 1997 pour raison de santé. Il a pu néanmoins toucher une pension « d'invalide de guerre » jusqu'en 2000, avant qu'on la lui supprime. En République fédérale (Allemagne de l'Ouest), aucun responsable n'a jamais été condamné ou extradé vers la France. L'ouverture d'une enquête en 2010 contre six anciens membres de la 3e compagnie du régiment « Der Führer » n'a jamais abouti, faute de preuves. La cour d'appel de Cologne a confirmé en 2015 la suspension d'un volet de l'enquête, mais le procureur Andreas Brendel, chargé de la poursuite des crimes perpétrés par les nazis, a continué ses poursuites.

    Où en est votre enquête lancée en 2010 ?

    Elle est toujours en cours. Au départ, nous avons identifié une centaine de personnes qui étaient susceptibles d'avoir participé au massacre. Certains étaient décédés, d'autres n'étaient plus en mesure d'être interrogés. Nous avons procédé à des perquisitions et nous avons mis en examen plusieurs d'entre eux. Mais les procédures ont été annulées, faute de preuves suffisantes.

    Existe-t-il encore une chance de voir un ancien SS rendre des comptes sur le plus grand massacre nazi jamais perpétré en France ?

    Je doute qu'un responsable vivant soit encore condamné en Allemagne. Nous n'avons pas suffisamment de preuves pour les mettre en examen. Par ailleurs, en raison de leur grand âge, les poursuites deviennent impossibles. Nous ne savons même pas, à l'heure actuelle, s'ils sont encore vivants. La procédure prendra vraisemblablement bientôt fin, sans doute quand le dernier soldat de cette compagnie disparaîtra.

    Pourquoi l'Allemagne a mis autant de temps pour engager les poursuites ?

    Il a toujours été très difficile de trouver des preuves. Avec la Guerre froide, l'accès aux archives était impossible, notamment en Allemagne de l'Est mais aussi à Moscou. La communication était compliquée entre l'Ouest et l'Est. Par ailleurs, il a fallu longtemps prouver la responsabilité individuelle dans les camps de concentration, ce qui rendait les instructions extrêmement difficiles. Beaucoup de criminels nazis ont été protégés après la guerre en Allemagne, comme le commandant SS Heinz Bernard Lammerding, principal responsable du massacre d'Oradour-sur-Glane. Il a réussi à mener une carrière d'hommes d'affaires après la guerre, avant de mourir de sa belle mort dans son lit à Düsseldorf.

    Après la guerre, la justice allemande a négligé les poursuites concernant les massacres en France et en Italie. Mais je ne peux pas vous dire si les responsables ont été protégés. C'est un travail d'historien. Il faudrait faire des recherches.

    Le «kapo» John Demjanjuk, dit «Ivan le terrible» ou Oskar Gröning, le «comptable d'Auschwitz», ont été condamnés ces dernières années en Allemagne. Pourquoi pas des bourreaux d'Oradour-sur-Glane ?

    Demjanjuk et Gröning étaient des employés qui travaillaient à l'intérieur du camp de concentration. Il était donc plus facile de prouver leur complicité pour assassinats. Concernant les soldats SS de la 3e compagnie du régiment « Der Führer », il fallait prouver qu'ils étaient présents ce jour-là dans le village, et qu'ils ont tué des civils. Certains soldats n'ont pas participé aux massacres parce qu'ils montaient la garde en dehors du village par exemple. D'autres affirment qu'ils n'ont pas tiré. La recherche des preuves, auprès des survivants par exemple, est très difficile pour un crime qui remonte maintenant à soixante-quinze ans.